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l'accufer devant les Romains ? Malheu reux ! qui vouloient être citoyens fans qu'il y eût de cité, & tenir leurs richeffes de la main de leurs deftructeurs ! Bientôt Rome leur demanda pour ôtages trois cent de leurs principaux citoyens, elle fe fit livrer les armes & les vaiffeaux; & enfuite leur déclara la guerre. Par les chofes que fit le défefpoir dans Carthage défarmée (f), on peut juger de ce qu'elle auroit pu faire avec fa vertu, lorfqu'elle avoit fes forces.

(f) Cette guerre dura trois ans.

CHAPITRE IV.

Du principe de l'aristocratie. COMME il faut de la vertu dans le gouvernement populaire, il en faut aussi dans l'ariftocratique. Il eft vrai qu'elle n'y eft pas fi abfolument requife.

Le peuple, qui eft, à l'égard des nobles, ce que les fujets font à l'égard du monarque, eft contenu par leurs loix. Il a donc moins befoin de vertu que le peuple de la démocratie. Mais, comment les nobles feront-ils contenus?

Ceux qui doivent faire exécuter les loix contre leurs collègues, fentiront d'abord qu'ils agiffent contre eux mêmes. Il faut donc de la vertu dans ce corps, par la nature de la constitution.

Le gouvernement ariftocratique par lui-même une certaine force que la démocratie n'a pas. Les nobles y forment un corps, qui, par fa prérogative & pour fon intérêt particulier, réprime. le peuple: il fuffit qu'il y ait des loix, pour qu'à cet égard elles foient exécutées.

Mais autant qu'il eft aifé à ce corps de réprimer les autres, autant eft-il difficile qu'il fe réprime lui-même (a). Telle eft la nature de cette conftitution, qu'il femble qu'elle mette les mêmes gens fous la puiffance des loix, & qu'elle les en retire.

Or, un corps pareil ne peut se réprimer que de deux manières; ou par une grande vertu, qui fait que les nobles fe trouvent en quelque façon égaux à leur peuple, ce qui peut former une grande république; ou par une vertu moin.

(a) Les crimes publics y pourront être punis, pare ce que c'eft l'affaire de tous les crimes particuliers n'y feront pas punis, parce que l'affaire de tous eft de ne les pas punir,

dre, qui eft une certaine modération qui rend les nobles au moins égaux à euxmêmes; ce qui fait leur confervation.

La modération eft donc l'ame de ces gouvernemens.J'entens celle qui eft fondée fur la vertu, non pas celle qui vient d'une lâcheté & d'une pareffe de l'ame.

CHAPITRE V.

Que la vertu n'eft point le principe du gouvernement monarchique.

DANS les monarchies, la politique fait faire les grandes chofes avec le moins de vertu qu'elle peut; comme, dans lés plus belles machines, l'art emploie auffi peu de mouvemens, de forces & de roues qu'il eft poffible.

L'état fubfifte indépendamment de Pamour pour la patrie, du defir de la vraie gloire, du renoncement à foi-même, du facrifice de fes plus chers intérêts, & de toutes ces vertus héroïques que nous trouvons dans les anciens, & dont nous avons feulement entendu parler.

Les loix y tiennent la place de toutes ces vertus, dont on n'a aucun be

foin; l'état vous en difpenfe: une action qui fe fait fans bruit, y eft en quelque façon fans conféquence.

Quoique tous les crimes foient publics par leur nature, on diftingue pourtant les crimes véritablement publics d'avec les crimes privés; ainfi appellés, parce qu'ils offenfent plus un particulier, que la fociété entière.

Or, dans les républiques, les crimes privés font plus publics; c'eft-à-dire, choquent plus la conftitution de l'état, que les particuliers: &, dans les monarchies, les crimes publics font plus privés; c'eft-à-dire, choquent plus les fortunes particulières, que la conftitution de l'état même.

Je fupplie qu'on ne s'offense pas de ce que j'ai dit; je parle après toutes les hiftoires. Je fçais très-bien qu'il n'eft pas rare qu'il y ait des princes vertueux; mais je dis que, dans une monarchie, il eft très-difficile que le peuple le foit (a).

Qu'on life ce que les hiftoriens de tous les temps ont dit fur la cour des

(a) Je parle ici de la vertu politique, qui eft la vertu morale, dans le fens qu'elle fe dirige au bien général; fort peu des vertus morales particulières ; & point du tout de cette vertu qui a du rapport aux gérités révélées. On verra bien ceci au liv. V¿ c. ll.

monarques; qu'on fe rappelle les converfations des hommes de tous les pays fur le miférable caractère des courtilans: ce ne font point des chofes de spéculation, mais d'une trifte expérience.

L'ambition dans l'oifiveté, la baffeffe dans l'orgueil, le defir de s'enrichir fans travail, l'averfion pour la vérité; la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon de tous fes engagemens, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la ver tu du prince, l'efpérance de fes foibleffes, & plus que tout cela, le ridicule perpétuel jetté fur la vertu, forment, je crois, le caractère du plus grand nombre des courtifans, marqué dans tous les lieux & dans tous les temps. Or, il est très-mal aifé que la plupart des principaux d'un état foient malhonnêtes gens, & que les inférieurs foient gens de bien; que ceux-là foient trompeurs, & que ceux-ci confentent à n'êtte que dupes.

Que fi, dans le peuple,il fe trouve quelque malheureux honnête homme (b), le cardinal de Richelieu, dans fon teftament politique, infinue qu'un monarque

(b) Encendez ceci dans le fens de la note précédente.

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