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bien. Tout le monde fçait que, tant que le gouvernement féodal a été en vigueur dans la France, l'autorité de nos rois, quant à l'exercice, étoit prefque nulle parce que chaque feigneur avoit, dans fa terre, tout à la fois le pouvoir militaire & le pouvoir civil. Tout le monde fçait encore que la puiffance du monarque n'a repris fon état naturel, que quand elle a pu venir à bout de divifer l'exercice de ces deux fonctions.

Si M. Crévier avoit borné fa critique à ce genre de reproches, on n'auroit fait nulle mention de fon ouvrage, & on l'auroit faiffé dans l'oubli qu'il mérite. Mais il n'eft pas poffible de lire de fang-froid les imputations atroces dont cet écrivain a effayé de charger un homme refpectable pour Iui, à tous égards, dans un temps où nous n'étions pas encore accoutumés à foutenir les regrets que fa perte nous avoit caufés, & où la mort lui avoit ôté la faculté de faire rentrer ce téméraire dans le devoir.

Il dénonce au public l'auteur de l'Esprit des Loix comme un petit maî

tre, un homme vain, mauvais citoyen; ennemi de la faine morale & de toute religion. Si les fiècles paffés ne fourniffoient pas des exemples de pareils prodiges, pourroit on croire que la France eût produit, en même temps, M. de Montefquieu & M. Crévier: mais, fi la Grèce eut un Platon, elle eut un Zoïle.

M. de Montefquieu eft un petit-maltre! Et pourquoi l'eft-il? Il a commencé fon livre XXIII par l'invocation que Lucrèce adreffe à Vénus. Cette déeffe fabuleufe eft l'emblême de la fécondité; tous les animaux font appellés à la population par l'attrait du plaifir. L'auteur de l'Esprit des Loix, au lieu de rendre, par fes propres expreffions, cette penfée qui entre dans fon plan, a emprunté celles d'un poëte il n'a pas cru qu'il fût indigne de fon fujet d'égayer l'imagination de fon lecteur par un image riante, fans être indécente ; &, pour cela, il eft un petit-maître! On riroit de l'idée ridicu le de ce profeffeur, s'il n'avoit excité l'indignation par les injures groffières dont il a chargé fon adversaire.

M. de Montefquieu eft un homme vain! L'auteur de l'Esprit des loix étoitit donc un homme vain, pour avoir écrit cette phrafe à la fin de sa préface: Quand j'ai vu ce que tant de grands ❤ hommes, en France, en Angleterre & en Allemagne, ont écrit avant moi, « j'ai été dans l'admiration, mais je n'ai « point perdu le courage. Et moi auffi je fuis peintre, ai-je dit avec le Corrège «. Un auteur ne peut donc, fans vanité, croire que fes ouvrages ne font pas fans mérite? Mais tous ceux qui ont publié leurs écrits, fans en excepter les plus grands faints, font donc cou→ pables de vanité: car, qui a jamais donné fes productions au public, fans croire qu'elles avoient au moins un dégré de bonté? Si M. Crévier n'avoit pas eu cette vanité, il ne se seroit pas érigé en cenfeur d'un ouvrage que tous les grands hommes ont admi ré & admirent.

C'eft encore, fuivant M. Crévier; un trait de vanité dans M. de Montefquieu, d'avoir dit qu'il finiffoit le traité des fiefs où la plupart des auteurs l'ont commencé. Mais M. de Montef

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quieu a dit une vérité pour M. Crévier, il a prouvé fon ignorance. La plu part des auteurs qui ont écrit fur les fiefs, n'ont examiné que les droits féodaux, tels qu'ils exiftent aujourd'hui. Ils ont cherché les motifs de décifion, fur les conteftations que cette matière occafionne, dans les difpofitions recueillies par les rédacteurs des coutumes, & fe font peu embarraffés de connoître la fource de ce genre de poffeffions. M. de Montefquieu l'a cherchée cette fource: il a ouvert les archives des premiers âges de notre monarchie, il a fuivi graduellement les révolutions que les fiefs ont effuyées ;: & a defcendu jufqu'au moment où ils ont commencé à prendre la forme à laquelle les coutumes les ont fixés. Il eft donc vrai qu'il a fini le traité des fiefs où la plupart des auteurs l'ont commencé ; & c'eft par vanité qu'il l'a dit! De quelle faute M. Crévier s'eftil rendu coupable, quand il a parlé en pédagogue d'une chofe qu'il ne connoiffoit pas ?

C'eft ainfi que notre fatyrique prouve que M. de Montefquieu eft petit

maltre & vain. On s'attend, fans doute, que les preuves qu'il va donner des deux autres reproches, ont une force proportionnée à la nature de l'accufation. Perfonne ne fe permet de déférer un citoyen comme ennemi du gouvernement & de la religion, s'il n'a en main de quoi le convaincre à la face de l'univers de deux crimes qui méritent l'animadverfion de toutes les focié tés, & les peines les plus graves.

mier. »

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Voyons comment il établit le preL'oppofition décidée de l'auteur au defpotifme, dit-il, fentiment louable en foi, l'emporte au delà des « bornes. A force d'être ami des hom-« mes, il ceffe d'aimer, autant qu'il le « doit, fa patrie. Toute fon eftime, di- « fons mieux, toute fon admiration eft « pour le gouvernement d'une nation voi- « fine, digne rivale de la nation Fran- « çoife; mais qu'il n'eft pas à fouhaiter « pour nous de prendre pour modèle à « bien des égards. L'Anglois doit être flatté, en lifant l'ouvrage de l'Efprit des loix; mais cette lecture n'eft ca; e pable que de mortifier les bons François c

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