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jamais offense. Plusieurs d'entr'eux m'ont dit qu'au retour de l'ordre général, ils espéraient que leur sort serait discuté avec une profonde maturité; qu'ils seraient nécessai rement cousultés; que toute mesure hostile et prématurée serait rejetée; et qu'on écarterait avec soin les haines, les préventions, et surtout toute idée de système en travaillant à un rapprochement fondé sur les rapports du commerce et de l'industrie: car il est bien difficile de pouvoir posséder à deux mille lieues d'un pays, après une longue série d'années et d'interruption de communication, une omniscience sur le véritable état des choses qui s'y passent et d'y apporter des remèdes souvent pires que le mal: ce qui est toujours arrivé de la part du Gouvernement Français dans tout le cours de la révolution des Colonies. Ils se - sont dits: Nous sommes arrivés au moment d'une grande crise politique; soyons sages et étroitement unis; ayons confiance en nous-mêmes, en la justice de notre cause, et préparons-nous à une décision dont l'issue ne peut que nous être favorable, quand nous serons mieux connus; car il est de certains pas rétrogrades qu'on ne peut plus faire et qu'il appartient à la justice des Souverains de ne pas méconnaître.

C'est ainsi que j'ai jugé l'esprit public à Hayti, lorsque l'arrivée à la Famaïque d'une délégation envoyée par Sa Majesté Louis XVIII, chargée de traiter avec ce· Gouvernement a été annoncée. Cette nouvelle n'aproduit. aucune impression défavorable chez les Haytiens ; leurs 'yeux ont été souvent tournés vers le rivage pour voir arrýver les Députés : des dispositions honorables ont été faites pour les recevoir, et une communication électrique de sensibilité, d'égards, de prévenance et de tout ce que le droit des gens a de plus sacré, s'est insinue dans tous le3.

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eurs. Cette attente jusqu'à présent a été trompée ; et je le regrette, d'après la sensation qu'a produite un écrit inteTM tulé: Considérations offertes aux Habitans d'Hayti sur leur situation actuelle et sur le sort présumé qui les attend.

J'y ai vu un acte peu propre à ramener les esprits, sura tout dans les circonstances actuelles ; et ses conséquences mauraient allarmé pour la tranquillité publique, si je n'avais pas apperçu dans l'esprit du peuple une sage circonspection et une opinion bien décidée de nejamais se diviser. Cette idée m'a encouragé, puisque la liberté la plus indefinie d'exprimer ses pensées, existe sous ce gouver, nement, et qu'elle n'entraine à aucun danger ; et je me suis proposé de hasarder, avec tout le ménagement que je dois au pays, et sur un objet aussi délicat, quelques observations que je vais exposer avec confiance.

L'auteur, M. H. Henry, après quelques considérations générales, dictées par l'intérêt que lui inspirent les mal heurs de ce pays, auquel il est cependant étranger, entre en matière et considère sa population, comme devant être divisée en six classes.

« La première se compose (dit-il, ) de ceux qui par leurs » talens ou leur courage, ont été appellés aux premiers emplois civils ou militaires des gouvernemens actuels. «La seconde de ceux qui possèdent, légalement, des propriétés en meubles ou immeubles.

« La troisieme: des individus qui étaient libres, avant la révolution, et qui exercent une profession indus trieuse quelconque,

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La quatrième des soldats qui forment ce qu'on appelle troupes régulières d'Hayti,

La cinquième: de ceux qui sont employés à la culture

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» ou à d'autres travaux, et qu'on désignait autrefois sous

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» le nom de NEGRES D'HABITATIONS.

« La sixième, il faut le dire, de ces êtres malfaisans et », sanguinaires, ennemis de l'ordre et du travail, qui se » rencontrent dans toutes les classes et dans tous les pays, » durant les révolutions, et qui font sans cesse de vains » efforts pour puiser leur bien être particulier dans le mal» heur général. Cette dernière ( qui d'ailleurs, j'aime à le » croire, est peu nombreuse parmi vous,) par le peu d'in» térêt qu'elle inspire, ne mérite pas de fixer maintenant » notre attention Contentons-nous donc d'examiner d'un » oeil impartial, s'il est plus avantageux pour les cinq pre» mières classes de persister dans l'état présent des choses de rentrer sous les lois de l'ordre et du devoir ».

» que
J'ai répété mot à mot ce que dit M. H. Henry, parce que
j'ai pensé que son écrit ne serait peut-être pas lu par tout
le monde, et que celui-ci imprimé dans le pays, serait plus
généralement connu. J'ai voulu en cela rendre un hom
mage public à la vérité et au caractère des Haytiens, qui
seront à même de juger, si, dans la manière dont je vais
tacher d'expliquer la situation où ils se trouvent placés,
j'ai réussi à la décrire avec justesse et clarté, d'autant que
je ne pourrai pas rélater avec la même exactitude les déve-
loppemens de l'auteur, que je considérerai sous un point de
vue général, sans m'écarter de leur véritable sens, me
référant à cet égard à l'Ecrit lui-même et à la finesse de tact
des indigènes, qui ont le coup d'œil très-juste, et qui,
aussi sincèrement disposés à la paix que je le crois, me
Sauront peut-être quelque gré de ma réserve dans cette
discussion.

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Il n'existe réellement à Hayti, proprement dit, qu'une seule classe d'homines, qui sont mus par les memes prin

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cipes, les mêmes rapports entr'eux, et le même épiderme, à quelques nuances près, confondu dans le grand tout de la population, avec laquelle ils concourent par les liens du sang et de la famille, à former le Gouvernement. C'est en vain qu'on a essayé à en faire des classes séparées; on les a toujours vus réunis quand il a été question de les accabler. Jamais distingués dans les supplices et les proscriptions, ils ont toujours résisté courageusement ensemble, et tout ce qui a été fait à leur égard en sens contraire, n'a jamais pu affaiblir ce premier besoin : celui de la nécessité de se préter mutuellement la main pour leur propre conservation C'est dans cet esprit qu'ils ont agi simultanément dans la dernière reprise d'armes contre les Français, et cimenté pour jamais ce pacte d'union dont ils ne se sont jamais. écartés du moins dans la République d'Hayti où j'écris. Les élémens du Gouvernement s'y forinent donc de la masse du peuple, sans distinction de nuance ni de privilège, car il n'en existe pas; et jamais égalité ne fut plus parfaite, jusque dans l'exercice du pouvoir suprême, puisqu'il est électif.

Les Chefs civils et militaires sont bien certainement ceux que dénomine M. H. Henry « que leurs talens ou leur cou» rage ont admis à exercer les premiers emplois : —« leur » existence est sans cesse, empoissonnée par le trouble, » au milieu des haines et des jalousies de toute espèce. » Cette anxiété, ces chagrins des Chefs sont momentane »ment tempérés par l'apparence de respect que la crainte » arrache aux subordonnés; par la jouissance que leur » permet le séjour des villes, par l'aisance que leur pro» duit le revenu des Douanes et celui des habitations, dont ils se sont provisoirementemparés. Que ne doi

vent-ils

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pas espérer s'ils donnent les premiers l'exemple

de l'adhésion aux lois de la métropole ? des postes ou des emplois (peut-être moins brillans, mais certainement > plus solides et plus honorables:) Peuvent ils hésiter un > instant entre l'honneur et l'opprobre, les récompenses. » et les châtimens ? etc, etc, etc.

On peut appeler, sans craindre de trop avancer, les Chefs à Hayti, les premiers parmi leurs égaux. Ils ont bien le droit de les commander dans tout ce qui regarde le Gouvernement de la Communauté, réglé sur les bases qu'elle en a elle-même posées; mais ils n'ont pas celui de stipuler pour elle sans son consentement, de l'engager ni de la compromettre ; il faut nécessairement qu'ils agissent dans le sens qui lui convient et qu'elle adhère à tout ce qui pourrait être fait sur le changement de son état actuel. Les ressources dupays, résultant de la culture des terres dont les produits sont exportés, fournissent il est vrai aux dépenses publiques et à l'entretien des fonctionnaires. Il a bien fallu que les habitations fussent cultivées au profit de ceux qui les ont conquises les armes à la main et qui les possédent, pour que la République ait pu se soutenir jusqu'à présent avec tant d'avantage. L'usage que ces chefs font de ces avantages est si modéré, les principes de celui qui les préside sont si connus, qu'on ne peut croire qu'ils puissent tenir au pouvoir par de sem blables considérations. D'ailleurs, on ne leur a rien proposé et je suis bien éloigné de leur supposer l'intention de se refuser à consacrer par leurs efforts le bonheur de leurs concitoyens, s'ils prévoyaient pouvoir l'établir d'une manière sure et durable avec la garantie convenable.*

La seconde classe, celle des propriétaires, de quelque nature que soient ces propriétés, « elles sont perdues

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pour ceux qui suivront le parti des rebelles; s'il en

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