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un étranger qui vit dans la plus grande familiarité avec les Indigènes, qui est appellé à toutes les parties d'amusemens qu'ils font dans les campagnes; et serait-il éloigné de leur accorder tout l'intérêt qu'ils inspirent, il y serait forcé par leur honnête prévenance et leur douceur. Je me crois donc bien fondé à connaître leurs habitudes, et je vais tâcher de les rendre avec toute la vérité qu'il me sera possible. Je remonterai premièrement à l'institution de la République, et je trouve que l'agriculture y est honoré, comme je premier et le plus noble des arts: que des fêtes sont instituées en son honneur où tous les ans un cultivateur méritant reçoit en cette île, des marques de considération, et j'ai assisté à un repas où j'ai vu un cultivateur vénérable assis à la droite du Premier Chef de l'Etat. Dans les Habitations, les cultivateurs se présentent comme propriétaires indivis. Leurs obligations sont réciproques; les droits du cultivateur sont la portion pour la quelle il amende dans les revenus de l'habitation; les douceurs qu'il en retire, par l'extension de la faculté d'y cultiver pour son compte, les jardins à vivres qu'il peut entretenir. Les heures de son travail sont fixées suivant le cours ordinaire du soleil: aucune contrainte ne l'y oblige, si ce n'est l'usage et la raison. Une femme est elle enceinte, elle se retire du travail commun de l'habitation pour la conservation de son fruit; est-elle accouchée, elle donne à son enfant tout le temps nécessaire d'acquérir des forces: si un cultivateur se sent malade, il lui suffit de le savoir, pour recevoir tous les soins que I'humanité prescrit : est-il vieux et infirme, sans perdre ses avantages sur l'habitation, il est considéré comme invalide. Le soldat, l'officier, l'ouvrier, né sur une Habitation, il y conserve tous ses droits de résidence, s'il se conduit bien, et ne cesse de faire partie de la famille. La plupart

y sont

des cultivateurs ont des bestiaux qui paissent en commun avec ceux des propriétaires. La persuasion, la justice et les bons traitemens. sont les moyens que les lois procurent aux propriétaires pour maintenir et conserver les cultivateurs, et la prison, punition qui n'arrive que três - rarement, est la peine la plus inflictive contre les paresseux et les insurbordonnés ; dans les montagnes cette situation est absolument la même, şi ce n'est que les douceurs encore plus abondantes et que le cultivateur y partage le café qu'il recueille par moitié avec le propriétaire. L'exportation extraordinaire des grains, surtout depuis la guerre entre l'Angleterre et l'Amérique, provenant pour la plus grande partie de l'industrie des cultivateurs; les immenses Cargaisons anglaises qui se débitent tous les ans à Hayti, et dont ils sont les principaux consommateurs, prouvent jusqu'à quel point ils sont heureux dans leur situation actuelle, aussi sans contredit, la Classe des cultivateurs, de ces nouveaux propriétaires, est-elle la plus heureuse, et c'est la réflexion que tout le monde a faite en lisant l'ouvrage de M. H. Henry. Il suffit de les voir sur leurs Habitations, de participer à leurs plaisirs champêtres, de considérer leur élégante simplicité, quand ils viennent dans les villes porter le surplus de leurs besoins, la gaieté qui les anime, cette heureuse fécondité, véritable source du bonheur, pour être persuadé qu'ils n'ont ien à désirer dans leur état présent; et en admettant le calcul de M. H. Henry qui réduit la population d'Hayti des quatre vingt-dix neuf centièmes par les orages de la révolution, il en résulterait qu'elle s'est renouvellée presque en entier, car je mets en fait qu'il existe plus d'un demimillion d'âmes à Hayti, qui sont nées par conséquent dans es principes ou dans le cours de la révolution et depuis

que la liberté générale a été décrétée, et qui sont entièrement étrangers à l'ancien régime. Que l'on considère la jeunesse vigoureuse qu'on voit dans les villes, qu'on jėte un coup d'oeil dans les rangs des troupes, l'on s'assurera de la vérité de ce que j'expose, et que les raisonnemens de l'auteur appartienment à des temps biens différens de ceux d'aujourd'hui, et qu'il parle aux cultivateurs un langage qu'ile ne peuvent comprendre. Il parait, malgré toute la douceur des Haytiens, que rien ne leur est plus cher que la libertè; ils portent leur idée à cet égard au dernier degré d'enthousiasme, et elle est tellement gravée dans les coeurs, que si on leur proposait le choix de la mort ou d'y renoncer, je doute qu'ils n'hésitassent à accepter le premier parti.

Quant à la sixième classe qui se compose des individus nuisibles (dit l'auteur, qui ne fait que la signaler aux autres, pour se mettre en garde contre les pièges qu'elle pourrait leur tendre) je pense avec lui qu'elle est peu nombreuse, et je suis bien loin de lui attribuer d'autre intention qui rappellât au lecteur la fable des chiens qui gardaient les brebis et que les loups demandaient en ôtage.

Me voici parvenu à expliquer la manière dont l'expérience m'a fait considérer les Habitans d'Hayti, en état de société, c'est-à-eux à me juger : et si j'obtiens leurs suffrages, que diront-ils de l'écrit de M. H. Henry? Ils penseront qu'il a puisé ses renseignemens au milieu d'hommes prévenus ou trompés, soit par de faux principes ou des espérances peu satisfaites, et qui permettent malheureusement à leurs passions d'étouffer les conseils de la raison.

Heureusement que ce sont les réflexions d'un particu lier, qui peut-être avec des vues honnêtes, raisonne sur des suppositions qu'on lui aura représentées comme des

vérités et qui ne peuvent rien changer à ce qui existe. Il est permis de penser, après tout ce qui vient de se passer en France, où l'on a vu tant de ménagemens, de sacrifices et d'égards pour ne pas contrarier ni choquer ce qu'une longue habitude et le cours de la révolution avaient consacré, on en agira de même envers les Habitans d'Hayti, car ils ne peuvent être coupables envers le Gouvernement Français, tel qu'il est actuellement établi, puisqu'ils ne se sont séparés de la France qu'après sa suspension. Quels droits n'auraient - ils donc pas à sa considération s'il est juste? Quels reproches pourraient-ils attendre de celui qui règne? Même simultitude de malheurs ; et lorsque des rapprochemens pour lesquels il a fait tous les premiers pas procurent le bonheur et la paix à une portion d'hommes, comment les Habitans d'Hayti privės du droit sacré de Citoyens, seraient-ils traités, non sous les rapports de cette noble qualité, mais sous ceux de leur épiderme? Il faudrait donc se résoudre à les voir attaqués et poursuivis comme des bêtes farouches parcequ'ils ne vou draient pas être esclaves! « non seulement, dit l'auteur, ils » seraient menacés de toutes les forces disponibles de la » France qui se renouvelleraient sans cesse pour les barceler, elle serait aidée, s'il le faut, par les autres Puissances » Coloniales, qui ont à craindre pour leurs possessions, l'exemple trop dangereux de l'indépendance d'Hayti, par » les Anglais mémes qui ne refuseraient pas à la France tous les secours dont elle pourrait avoir besoin dans cette cir» constance. Une force maritime pour bloquer tous les ports » de l'Ile, destinée à approvisionner et récruter l'Armée employée à combattre; lui fournir les secours néces»saires pour résister aux influences malignes du climat

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etla mettre à l'abri des maladies, qui ne font souvent » tant de ravages, que parce qu'on néglige d'employer », les préservatifs dont l'art et l'expérience ont enseigné » l'usage; des transfuges qui s'empresseront de joindre » l'armée française, aussitôt que les privations, la misère et le découragement commenceront à se faire sentir ».

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Je repondrai à tout ce que ces menaces et ces disposi tions ont d'effrayant, si elles étaient exécutées, que bien loin de disposer les esprits à la soumission, elles ne feraient que les irriter d'avantage, parce qu'ils ne verraient contre eux que des projets de haine, de vengeance et d'asservissement: ils se croiraient d'autant plus dans la nécessité de résister, qu'ils parraissent savoir à qui ils auraient affaire, et que le fruit de leur soumission, de la manière dont l'auteur l'entend, serait pour eux à peu-près la même chose, excepté qu'elle coûterait moins de peines.

Il s'agit de savoir si de semblables moyens seraient just.es et raisonnables de la part de la France, ils ne lui obtiendraient aucun résultat utile, puisque la destruction mar→ cherait en avant de ses Armées, et que le mal qu'elles pourraient faire aux Haytiens ne les garantiraient pas de celui qu'elles en éprouveraient sans aucun avantage pour l'avenir, si ce n'est le cruel plaisir d'exterminer la race exis◄ tante de ces insulaires et provoquer la mort de tant de Inilliers de Français, qui après avoir arrosé de leur sang toute l'Europe, viendraient encore le répandre sous cette partie de la Zone Torride pour consacrer: quoi! des systêmes dictés par l'avarice et les préjugés.

Il est peu probable que le Gouvernement anglais se prétât à de pareils arrangemens, la libéralité de ses principes est trop connu,

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