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voulu servir d'instrumens aux blancs pour opérer leur destruction.

Quoi donc, vont s'écrier Colombel et

:

les noirs ont

Milcent, n'est-il pas vrai que
détruit beaucoup d'hommes de couleur dans
nos guerre civiles; comment pouvez-vous donc
dire que les hommes de couleur doivent leur
conservation aux généraux noirs? Nous leur
répondrons si des hommes de couleur ont
été détruits, c'est par la faute des généraux
de couleur Rigaud et Pétion; parce que, s'ils
avaient résistés à la séduction des blancs,
comme les généraux noirs, il n'y aurait point
eu de guerre civile. Et il est si vrai que
les
hommes de couleur doivent leur conservation,
aux généraux noirs, Toussaint, Dessalines
et Henry Christophe, que s'ils avaient eu la
faiblesse de prêter l'oreille aux insinuations
perfides des blancs, et se laisser séduire
il n'existerait plus d'hommes de couleur.....
et les blancs seraient au comble de leurs vœux,
Mais ces généraux patriotes, sages et prudens
ont senti que les intérêts des deux classes
étaient liés indissolublement ; et si les géné-
raux de couleur eussent été aussi patriotes

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aussi sages, aussi prudens, et qu'ils n'eussent pas été dominés par un esprit d'ambition démesurée, nous eussions restés constamment d'accords, toujours unis, et nous n'aurions pas eu à déplorer les maux de la guerre civile. C'est à l'époque de cette prise d'armes générale, dout nous avons déjà parlé, que la mort nous délivra de Leclerc. Nous ne dirons rien de son caractère personnel, sinon que c'était un ange de bonté en comparaison du monstre qui lui a succédé (1).

Le général en chef de l'armée des indigenes rallia bientôt tous les partis; instrumens volontaires et involontaires, tous furent obligés ou de fuir avec les français, ou de se jetter dans les bras de leurs frères, qu'ils avaient combattus avec tant d'aveuglément; trop heureux encore de trouver un refuge assuré auprès d'eux.

Pétion, fut un des instrumens volontaires, qui se rendirent au général Dessalines, pour éviter la mort dont il était menacé; ce géné ral l'accueillit avec bonté, l'admit dans son intimité, lui voua une amitié tendre et pater nelle qui ne se démentit jamais. Il était loin

(1) Rochambeau

de penser qu'il accueillait dans son sein le monstre qui devait un jour le faire assassiner, et qui réservait le même sort à son successeur!

Enfin, après avoir éprouvé toutes les vicissitudes de la fortune et nous être abreuvé dans la coupe du malheur; après avoir été pendant douze ans le jouet et la victime de toutes les factions qui s'étaient succédées à Saint-Domingue; après avoir versé notre sang dans les combats, par mille blessures, et sans aucune utilité réelle pour notre pays; nous étions parvenus à combattre pour nos vrais et véritables intérêts; nous n'étions plus des instrumens que l'on faisait mouvoir pour notre propre destruction, pour une cause qui nous était étrangère. Pour la première fois nous faisions une guerre nationale; nous combattions pour nos droits, pour la liberté, pour l'indépendance, pour notre patrie, pour nousmêmes, afin de nous soustraire à la mort et à la tyrannie de nos bourreaux. Les français étaient d'un côté, les indigènes de l'autre ; la haine et la vengeance enflammaient notre courage; l'amour de la patrie et de la liberté guidait nos pas! Nous avions nos propres injures et

nos frères impitoyablement égorgés à venger; Nous nous précipitions aux combats avec des cris d'allégresse; nous combattions corps à corps; chacun était jaloux d'immoler son ennemi, et chacun brûlait de verser son sang pour la patrie, la liberté et l'indépendance! Heureux encore de pouvoir verser jusqu'à la dernière goutte pour une si belle cause! Après une lutte terrible et sanglante, les opprimés et les victimes étaient restés les vainqueurs et les seuls maîtres du champ de bataille !

nous

Le voile de l'erreur et du mensonge s'était enfin déchiré: au soleil radieux de l'indépendance, toutes les factions se dissolvèrent comme un vent impétueux disperse les nuages; notre atmosphère épurée par la victoire, commençâmes à respirer l'air pur de la liberté et de l'indépendance! Victorieux, environnés des débris des vaincus, nous portions fièrement nos regards autour de nous! Les 40,000 ex-colons, grands-planteurs et petits-blancs, la belle et nombreuse armée dite expéditionnaire, tout avait disparu de notre sol; l'affreux systeme colonial, l'esclavage, les préjugés de

couleurs et le commerce prohibitif, étaient détruits de fond en comble; le fantôme de la France, dette chimère qui nous avait si long-temps égarés, s'était évanoui à nos yeux; dans notre enthousiasme, nous élevâmes sur leurs débris encore fumans la Colonne immortelle de notre indépendance !

Enfans libérés d'Hayti, prosternons-nous aux pieds de l'Eternel, et rendons-lui mille actions de grâces! admirons la profondeur de ses desseins, et les voies impénétrables qu'il emploie pour délivrer les opprimés et châtier les oppresseurs !..

Nous étions les victimes et les instrumens aveugles dont les ex-colons se servaient pour consommer notre propre ruine, et eux-mêmes étaient les instrumens que Dieu employait pour nous délivrer. Ils s'étaient servi de nous comme de vils instrumens pour assouvir leurs passions; et sans le vouloir, ils nous ont conduits à la liberté. Frappés d'un esprit de vertige et d'aveuglément, ils voulurent nous ravir ce bien précieux et combler la mesure de leurs injustices et de leurs iniquités, et ils nous conduisirent encore, contre leur gré, à l'indépendance !

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