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donnaient les assauts. Les postes les plus dan gereux et les feux les plus meurtriers leur étaient réservés, sous le prétexte qu'ils avaient une connaissance parfaite des localités du pays.

Cependant le gouverneur Toussaint, aux sollicitations réitérées du général Leclerc, se décida à traiter de la paix; il choisit pour son négociateur le général Henry Christophe, et le général Leclerc prit le général Hardy.

Toussaint avait déja reçu de Henry de longs et signalés services; il connaissait sa probité, sa loyauté et son caractère incorruptible. Sans doute Leclerc connaissait aussi Hardy ot avait ses raisons pour justifier son choix. Ces deux généraux s'abouchèrent; la torrespondance qui eut lieu à cette occasion a été rendue publiqué, par la voie de l'impression; elle fait autant d'honneur au général Christophe, qu'elle couvre de honte et d'infamie le général Leclerc, qui ensuite osa lui proposer d'arrêter le gouverneur Toussaint! Par suite de cette négociation et après trois mois de guerre, le gouverneur Toussaint con

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clut la paix avec le général Leclerc, et se soumit avec les généraux sous ses ordres.

Alors le désarmement des cultivateurs s'opéra ; ils rentraient de toutes parts sur leurs habitations et se livraient aux travaux des cultures.

Tout était pacifié; encore quelques années, que dis-je ? encore quelques mois de dissimulation, c'en était fait de notre liberté!.... Lorsque l'on nous aurait présenté de nouvelles chaînes d'esclavage, nos bras désarmés n'auraient plus été en mesure de pouvoir les repousser; il aurait fallu les reprendre et rentrer dans le néant d'où nous sortions; il aurait fallu rentrer encore dans ce cercle horrible de larmes, de peines et d'ignominie, il aurait fallu encore vivre et courber sa tête sous le joug de ces despotes, supporter leur orgueil, leur dédain et notre humiliation. Non, non, non, plutôt mille coups de poignard dans le cœur !!!

Les passions effrénées qui dominent les ex-colons et l'inflexibilité de leur caractère, devaient encore nous sauver ! Dieu juste et puissant Dreu rénumérateur, vengeur des

crimes et des parjures, tu souflas dans leurs cœurs cet esprit de vertige, cette soif de l'ava rice, de la haine et de la vengeance qui les aveuglaient, et tu fis contribuer leurs vices même à notre délivrance!

Point d'esclavage, point de colonies, s'écriaient ces furieux; il faut que les noirs soient tous esclaves, ou il faut qu'ils soient tous noyés, pendus et brûlés. Il faut en faire un bois-neuf, ajoutaient-ils (1)!

Le temps des ménagemens était passé; ils engagèrent le général Leclerc à prendre les mesures les plus violentes contre les inforaunés haytiens.

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Le gouverneur Toussaint est arrêté, lié et garrotté, comme un criminel, embarqué pour France avec ses officiers et sa famille, dans l'instant où il était à table chez le général Brunet: vous osez m'arréter; vous déshonorez un officier d'honneur, s'écriait l'infortuné gouverneur Toussaint, au géné→ ral Brunet et à ses aides de camp qui faisaient l'office de gendarmes et de bourreaux; est-ce ainsi que vous observez la foi des traités; vous êtes des traîtres at

(1) Bois-neuf, veut dire dessoucher un terrein et e pas y laisser une trace,

des parjures; le Ciel est juste; je serav vengé. Ce furent les dernières paroles que

ce grand homme prononça sur la terre de sa patrie, sur cette terre qu'il avait conquise pour la France, et qui était encore remplie de son nom, de ses services et de ses exploits ! H fut vengé sans doute, mais il ne lui fût pas donné de voir ce beau jour de la vengeance,

Dès ce moment le signal des proscriptions fut donné d'un bout de l'île à l'autre.

les

Le détail des horreurs et cruautés de tous genres qui font frémir la nature épouvantée, nous éloignerait de notre objet; il nous suffit de dire que les femmes les enfans vieillards, qui avaient été jusqu'alors épargnés dans nos guerres, amis ou ennemis, tous. furent envoyés pêle-mêle, et confondus ensemble, à la mort, qui les attendait sous les formes les plus hideuses. Arrêter, noyer ou pendre signifiait la même chose. Ces barbares avaient créé un nouveau vocabulaire. Noyer deux cents individus, c'était un coup de filet national; pendre c'était monter en grade; être dévoré par les chiens, c'était descendre dans. l'arène; fusiller c'était laver la figure avec du plomb; et brûler enfin, c'était opérer chaudement; l'ancien régime était réorganisé.

Tout negre ou mulâtre, qui était esclave avant la révolution, rentrait sous les lois de son maître, qui le louait, le vendait, en tirait le parti qu'il voulait.

Nos malheurs étaient parvenus à leur, comble; les insurrections partielles commencérent à éclater de toutes parts.

Leclerc vit alors Dessalines pour la première fois, (dit Boisrond Tonnerre, de qui nous empruntons ce passage, de ses mémoires pour servir à l'histoire d'Hayti page 45), « Il com» mençait à se façonner à la cruauté colo»niale, et par conséquent avait appris de ses conseils, que pour vaincre à St-Domingue » deux classes d'hommes réunies pour mainte

nir la liberté, il fallait les diviser, Il s'atta⟫cha donc à mettre la dernière main au projet » commencé par Hédouville. Leclerc flatta

Dessalines, le combla d'éloges qu'il prétendit » que méritait sa conduite, l'assura qu'il pouvait compter sur la bienveillance spéciale du » gouvernement, et que le Premier Consul,

d'après les rapports avantageux qu'il avait » faits en sa faveur, ne tarderait pas à lui défé

rer une récompense digne de lui. Il usa enfin 2 de tous ces lieux communs de politique par

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