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fait tremper les généraux et magistrats de la République, il chargea Dauxion Lavaysse de ses instructions secrettes, où il enseignait au gouvernement français, les moyens de s'y prendre pour subjuguer le peuple haytien, comme nous le verrons par la suite; il récompensa son complice de quelques milliers de gourdes, et dans les premiers jours de Décembre, il le fit 'partir sur une goëlette haytienne.

Jamais crime de haute-trahison, fut-il plus prouvé et plus manifeste? Jamais fut-il accompagné de circonstances plus déshonorantes et plus abominables?

Dès l'arrivée de Dauxion Lavaysse au Portau-Prince, à son premier début, l'on voit paraître le fil de cette perfide conspiration, qui devait se nouer par des combinaisons de mots et des tournures de phrases amphibologiques, avec lesquelles nos tyrans comptent pouvoir tromper notre bonne foi, et nous attirer dans leurs pièges. Ce système de perfidie et d'iniquité, prend sa source dans les préjugés coloniaux il est fondé sur notre ignorance et sur le profond mépris qu'ont les ex-colons pour la race noire.

C'est à Malouet, à ce Nestor des ex-colons, que nous sommes redevables de l'invention de ce système de duplicité et de mensonge; c'est lui qui avait premièrement dit: «< puis que le mot esclave nous représente un homme enchaîné, que l'appellation de non libre lui soit subsistuée qu'on achète le travail, les services, et non la personne morale de l'afri cain (1)

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Dans les premiers jours de notre liberté, c'était avec un pareil sophisme, que les ex-colons prétendaient que l'on pouvait alors nous séduire et nous aveugler; sous leur génia inventif et infernal, ce système s'est perfectionné ; et à mesure qu'ils se sont apperçus que nous avançions dans les lumières, ils se sont aussi rafinés en ruse et en perfidie.

Bonaparte fut le premier qui mit en usage ce système de duplicité et de mensonge contre nous; c'est lui qui nous disait: vous étes tous égaux devant Dieu et devant la République; il savait qu'il blasphémait horriblement, mais il nous trompait et nous séduisait, et cela lui était égal.

(1) Toni 4, page 23 de ses mémoires.

En

En 1801, Malouet avait été un des conseillers de Bonaparte; et en 1814, Pétion et Dauxion Lavaysse suivaient ses conseils et mettaient en pratique les leçons qu'ils avaient reçues de leur illustre maître. D'abord, on voit Pétion employer le mot scientifique d'omniscience, pour se faire comprendre par Dauxion Lavaysse et se rendre incompréhen-· sible à la multitude; ensuite l'on voit Dauxion Lavaysse demander à son complice, de restaurer la colonie française dans l'ile d'Hayti, au lieu de demander purement et simplement l'abolition de l'indépendance et le rétablisse→ ment de la colonie française dans son ancien état, comme il le voulait et l'entendait, parce que le mot restaurer représentait à l'idée du vulgaire l'action de réparer et rétablir l'état, tant qu'il le renversait et le détruisait, L'on voit après Pétion demander pour haytiens l'indépendance de leurs droits; tandis qu'il était si simple, si naturel, de demander l'indépendance d'Hayti; mais Pétion trompait et abusait le peuple, et en employant cette tournure amphibologique,

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il ne demandait effectivement que les droits de sujets et de citoyens français, et il faisait accroire au peuple, aux généraux et magistrats, qu'il avait demandé l'indépendance d'Hayti. Ainsi, il renonçait à l'indépendance du pays, à l'indépendauce réelle, pour ne conserver qu'une indépendance fictive, l'indépendance des droits; ou autrement, pour nous exprimer en termes clairs et précis, Pétion voulait que la souveraineté du pays, appartint à la France, mais qu'il aurait conservé l'administration intérieure, et que le peuple aurait joui des droits de sujets et de citoyens français; ce qui nous aurait reconduits en peu de temps dans les mêmes horreurs, que nous avons 'essuyés, pour asseoir notre liberté et notre indépendance, ou à une extermination totale!

D'après de tels faits, de tels crimes et une trahison aussi notoire, quels jugemens nos contemporains et la postérité porteront sur les généraux et magistrats de la république, pour n'avoir pas déposé et jugé Pétion, sur sa conduite criminelle, sa trahison infâme, consignée dans les actes publics et pièces officielles, signées de sa propre main? Comment ces

généraux et magistrats, qui se sont laissés aussi indignement tromper, seront-ils jugés ? Seront-ils considérés comme des traîtres ou comme des imbéciles? Que l'on nous cite dans les temps anciens et nouveaux quel peuple et même quelle horde de sauvages les moins civilisés eussent jamais voulus s'avilir à se laisser gouverner par un tel chef, une fois que ses trames, et ses complots eussent été pleinement découverts? Que l'on parcoure l'histoire du monde, si riche d'exemples de crimes et d'attentats ; que l'on nous trouve un chef de nation, de peuple et même de bandes les plus féroces, qui eût voulu combiner avec les ennemis de sa patrie, l'esclavage et la destruction de ses concitoyens : Catilina, Cromwell, Robespierre, ambitionnaient le souverain pouvoir; mais ont-ils jamais voulu faire entrer leur patrie sous le joug de l'étranger, plonger leurs concitoyens dans l'esclavage et les entraîner dans une destruc tion certaine ?

Brave Coriolan! infortuné Barnevelt! et vous généreux d'Essex! vos têtes ont tombé sur un simple soupçon! pour l'erreur d'un moment!..

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