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milliers de nos frères ont été les victimes de leur crédule fidélité. O cruelle ingratitude! ô crime détestable ! ô mes compatriotes! quand cesserez-vous donc d'être les instrumens et les victimes de ces monstres? Partie des hommes de couleur et noirs, anciens libres, se jetta parmi les républicains, et partic parmi les royalistes ; la masse de la population noire suivait l'impulsion qui lui était donnée, et s'était aussi partagée entre les deux partis; la eocarde blanche était d'un côté et la tricolore de l'autre, et sous les noms spécieux de Roi, de Liberté, de République, nous combattions et nous versions notre sang sans savoir pourquoi, sans même nous douter que nous n'étions que des instrumens, employés à notre propre ruine, par les blancs royalistes et républicains; car nous étions loin de penser que les blancs divisés entr'eux d'opinions politiques, étaient parfaitement d'accord à notre égard, et marchaient par des chemins différens à un même but, c'est-à-dire, qu'ils voulaient se ́servir d'un parti pour écraser l'autre, et ensuite réduire à l'esclavage, le parti qui aurait servi d'instrument à la victoire !

C'est ainsi qu'ils se sont servis du général Rigaud, comme instrument, dans l'intention d'écraser le général Toussaint, et qu'ensuite ils ont voulu plonger le parti victorieux, le général Toussaint et les siens dans l'esclavage. Mais que l'on ne se trompe point, le géné→ ral Rigaud vaincu, a été accueilli par les français; en conséquence le général Toussaint victorieux devait être leur victime, et il l'a été; si au contraire Rigaud eût été victorieux, Toussaint eût été à son tour accueilli par eux; enfin l'un et l'autre devaient être leurs victimes. Que l'un ou l'autre fut vainqueur, l'expédition française n'en aurait eu pas moins lieu; cette guerre civile n'en était que le prélude, le victorieux eût été dans la nécessité de combattre ou de se soumettre à l'esclavage.

Certes, le parti en était pris en France; et par ce qui est arrivé à la Guadeloupe an malheureux Pélage, à l'immortel Delgresse et aux infortunés indigènes de cette île qui gémissent maintenant dans l'esclavage, après avoir joui des douceurs de la liberté, nous pouvons juger, si nous avions eu le malheur d'avoir été les plus faibles, de la manièrë

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injuste, cruelle et barbare que nous aurions été traités.

Le général en chef Toussaint Louverture avait remis la totalité de l'île sous les bannières de la France, et en avait chassé les étrangers et les grands-planteurs qui étaient

avec eux.

La République était triomphante.

Le général Toussaint s'occupait, sans relâ~ che, à effacer les maux de la guerre, à rétablir le bon ordre et à faire prospérer l'agriculture; il accordait une protection particulière et spé→ ciale aux ex-colons, qui jouissaient de leurs ci-devant propriétés, comme dans l'ancien régime, à l'exception qu'ils ne pouvaient ôter la vie aux noirs ni les déchirer à coups de fout, suivant leurs caprices et leurs volontés.

Mais l'esclavage ne régnait plus, et le général Toussaint était puissant ; cet ordre de choses ne pouvait convenir à la France et aux ex-colons; il fallait commencer par affaiblir les forces et diminuer la puissance du général Toussaint, pour rétablir l'esclavage,

C'est dans ces vues que le général Hédouville fut envoyé à Saint-Domingue par le

gouvernement français, avec des instructions secrètes pour allumer la guerre civile entre les noirs et les hommes de couleur.

Alors le général Rigaud commandait la Province du Sud, sous les ordres du général Toussaint, et il était, parmi les généraux de couleur, le plus ancien et le plus accrédité par ses services, et le seul qui pouvait être le compétiteur du général Toussaint.

Hédouville, qui brûlait de j tter la pomme de discorde entre ces deux chefs, les appela auprès de lui au Cap; dans une des conférences avec le général Toussaint, Hédouville lui proposa d'arrêter le général Rigaud arréter Rigaud, s'écria le vertueux Toussaint, il vaut autant mieux m'arreter moi-même.

Hédouville, ne pouvant séduire le général Toussaint, tourna ses regards du côté du général Rigaud qu'il trouva plus accessible; il flatta ses vues ambitieuses, lui délivra le brevet de général en chef, et partit pour France, après avoir allumé les brandons de la discorde et de la guerre civile.

Dans les deux armées on vovait flotter le

drapeau tricolor, dans les deux armées l'on

combattait pour et au nom de la République Française; quelle était donc la cause de cette guerre civile ? Qui l'avait nécessitée ? qui l'avait fait naître ? Répondez-nous donc traîtres. et artisans de nos troubles civils, Colombel, Milcent et vos pareils, répondez-nous? quels étaient les fauteurs et les auteurs de cette guerre désastreuse? A qui pouvait-on justement imputer les calamités innombrables qui en ont résulté? sans doute c'est au général Hédouville et au général Rigaud qu'on doit les imputer; à Hédouville, pour avoir eu la perfidie de faire un général en chef lorsqu'il y en avait déja un de nommé et qui n'avait pas été légalement destitué ; au général Rigaud, pour avoir eu la bassesse, l'injustice et l'ambition d'accepter le brevet de général en chef contre tous les principes de l'honneur et de la hiérarchie militaire. Le général Rigaud ne savait-il pas que le grade de général en chef ne pouvait lui revenir ? ne savait-il pas qu'en l'acceptant, il plongeait sa patrie, ses frères et ses eoncitoyens dans une guerre civile toujours cruelle et désastreuse ? si Rigaud n'eut pas été un traître, un ambitieux, un instrument des français, aurait

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