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de Rigaud, comme il avait agi en 180g l'égard de Henry Christophe.

La charge de Président étant échue, Pétion, désappointé dans tous ses projets, fût réduit au triste expédient de rassembler quelques membres du Sénat, qu'il convoqua au Port-au-Prince; et il eut assez de front et d'impudeur de se faire réélire Président de la République d'Hayti, par cette fraction de sénateurs, incompétemment et illégalement assemblés. Quelques hommes sans mission, sans mandats, sans caractères, pouvaient-ils stipuler au nom du Peuple? la mauvaise foi, l'injustice et l'ambition ont donc été dans tous les temps les bâses de cette République!!!

C'est ainsi que le débonnaire Pétion, cet homme sans ambition, s'est fait nommer trois fois consécutivement à la charge de Président; c'est ainsi qu'il a insulté au bon sens de son Sénat en jouant trois fois la comédie de sa réélection à la Présidence; et Dieu sait s'il l'eut jamais quittée, si la mort ne l'avait guéri des peines de cette vie, et ne l'avait arraché aux illusions de l'ambition!

Pendant que tous ces événemens se passaient

Ilayti, la guerre se faisait en Europe avet acharnement; les vaisseaux anglais couvraient les mers; Pétion n'osait manifester ouverte→ ment les intentions favorables qu'il avait envers la France, crainte de s'attirer les anglais, joints avec nos forces sur les bras; mais il correspondait secrètement avec Ferrand à Santo-Domingo, et avec la France par des agens secrets. Il envoyait en France un certain Tapiau, homme de couleur, pour né→ gocier un traité avec Bonaparte, et recevait an Port-au-Prince le nommé Liot, émissaire du ministre de la marine Décrès (1).

Pétion qui s'était fait haytien malgré lui

(1) C'est à la fin de 1813 que ce Tapiau conclut le traité, dont il est ici question, avec Bonaparte, qui devait envoyer dans le Sud-Ouest quinze mille hommes de troupes françaises, soixante mille fusils, deux cents milliers de poudre à canon fous les colons blancs qui se trouvaient en France, pour, de concert avec Pétion, essayer de réduire le pays, sous le pouvoir de Bonaparte.

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Pétion envoya un brick à Bordeaux qui reçut une partie des armes et munitions qui furent débarquées à Jacmel, comme sortant du Portugal,

pour

pour éviter la mort, dont il était menacé par les français, lors de l'expédition de Leclerc; en cas d'événement qui l'aurait obligé de fuir du pays, se réservait ainsi une planche pour se sauver du naufrage; et il rivalisait déjà avec Rigaud à qui aurait livré le pays à la France, et entraîné leurs concitoyens dans les chaînes de l'esclavage.

Rigaud, de son côté, ne perdait pas de vue ses intérêts privés ; et en cas d'événemens qui l'eussent obligé de quitter le pays, il mettait à couvert des fonds considérables, dans l'étranger; il envoyait des cargaisons de café en France, et aux États-Unis d'Amérique (1).

Tandis que ces deux ambitieux se dispu taient les lambeaux de notre patrie et d'une autorité qui ne revenait ni à l'un ni à l'autre, le gouvernement du Nord se consolidait.

Henry s'occupait à policer le peuple, à réta¬ blir le bon ordre et la discipline; il prenait connaissance de l'administration des finances et des ressources de l'état; il faisait prospérer l'agriculture et le commerce; il veillait à ce

(1) Un de ses bâtimens fut pris, par nos croiseurs, chargé de café, allant à Bordeaux; un français nommé Servan, agent de Rigaud, était à bord.

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que la justice fût rendue exactement au peuple, avec les moindres frais possibles; it exigeait que tous les fonétionnaires publics fussent établis, et donnait lui-même l'exemple les bonnes mœurs.

La plus grande tranquillité régnait dans les provinces; l'on pouvait voyager jour et nuit dans les grands chemins; et dans les villes, l'on pouvait coucher les portes ouvertes, sans craindre d'accident tant que l'ordre et la police avaient été bien établis.

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C'était déjà avoir beaucoup fait, que d'avoir pu établir le bon ordre dans le sein d'une population qui avait été corrompue et bouleversée si long-temps par la révolution et les guerres civiles: c'était avoir beaucoup fait que de comprimer les vices ignobles qui troublent la société, les passions pour les femmes, le jeu et l'ivrognerie, qui ont été les causes de tant de crimes, dans le cours de la révolution et de nos guerres civiles.

Ces vices inhérens à l'état d'esclavage où nous sortions et aux climats chauds, venaient d'être encore fortifiés et poussés au dernier degré de démoralisation, par l'exemple des

rimes et des vices que nous avait donné l'ar mée française. Des femmes mariées, des filles vierges avaient été violées ou obligées de se livrer par la terreur, à la brutalité des géné raux français: les officiers et soldats, à l'exem ple de leurs chefs, se livraient à des orgies et à des horreurs, que notre plume se refuse de décrire. Des tables de jeux étaient dressés de toutes parts; livrognerie et tous les excès de la débauche étaient poussés à leur comble; l'irréligion, le viol, l'assassinat, le vol et le pillage se commettaient impunément sous nos yeux, par des hommes plus éclairés que nous et qui se disaient chrétiens: comme il n'y a rien qui influe sur les hommes comme l'exemple, nous pouvons dire sans injustice que nous devons aux français une grande partie des vices et des passions qui ont occasionné bien des crimes et des horreurs dans nos guerres civiles..

Il fautconnaître le caractère, les mœurs et les habitudes d'un peuple, avant de fixer son jugement sur le gouvernement et la constitu→ tion qui lui convient le mieux; si nos critiques les avaient bien connus, ils n'eussent pas, porté un jugement erroné et prématuré.

La guerre civile n'avait point détourné l'at◄

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