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Rigaud qui n'était pas en retour d'adresse et de perfidie travaillait de son côté, son rival et cherchait aussi à se faire des amis et des partisans au Port-au-Prince.

Les généraux Bonnet et Lys, attachés au parti de Pétion, furent les premiers qui l'abandonnèrent et se rendirent aux Cayes, auprès de Rigaud qui les accueillit avec empressement. Pétion voyant la défection de ces deux généraux, et que la scission du Sud avait lieu définitivement avec l'Ouest, fit marcher des troupes contre le Sud, sous les ordres des généraux Delvarre et Gédéon; Rigaud de son côté réunissait les siennes à Aquin, et se disposait à marcher au Pont de Miragoane, limite des deux départemens, pour disputer l'entrée du Sud aux troupes de l'Ouest.

Pétion, qui avait toujours la précaution d'appuyer par la négociation ses projets hostiles, avait fait précéder son armée par une dépu tation des citoyens notables du Port-au-Prince. Cette députation trouva Rigaud à Aquin, à la tête de ses troupes; ce général écrivit à Pétion que son dessein n'était pas de lui faire la guerre; mais qu'il l'engageait d'ordonner à ses

généraux de se retirer de suite du territoire du Sud; et se mit aussitôt en marche pour aller à leur rencontre les y contraindre ou les combattre.

Pétion vit le danger imminent où il allait se trouver; son sort désormais ne dépendait que d'une bataille: il se hâta de se rendre au Pont de Miragoane, pour empêcher les deux armées d'en venir aux mains. Là, les deux chefs eurent une conférence, le 2 Décembre 1810, en présence des deux armées. Rigaud montra la grande supériorité qu'il avait sur Pétion, et lui parla avec beaucoup de hauteur et de fermeté.. Pétion montra son extrême faiblesse et sa pusillanimité; néanmoins il réussit à tromper Rigaud: il feignit qu'il avait appris que l'armée du Nord était en marche pour les attaquer et profiter de leurs dissentions, et que divisés, comme ils étaient, il leur serait impossible de pouvoir lui résister; Ri gaud, trompé par cet artifice, convint avec lui d'un pacte fédératif; par lequel Pétion devait commander la seconde division de l'Ouest, et Rigaud la province du Sud; et que les dettes contractées avant la scission

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devaient être réparties entre les deux gouvernemens pour être payées ; il demeura convenu que dans le cas où Pétion serait attaqué par l'armée du Nord, Rigaud serait obligé de marcher au secours du Port-auPrince avec ses troupes.

Par cet arrangement, l'on voit que Pétion Président de la République d'Hayti, se trouvait réduit à n'avoir sous son commandement direct que la ville du Port-au-Prince seulement et son arrondissement; et pour comble de malheur, la charge du Président allait devenir vacante, les quatre années pour la réélection d'un nouveau Président, allaient être révolues.

C'est alors que Pétion se souvint qu'îl avait dissout le Sénat, et qu'il ne pouvait se faire réélire à la présidence sans le concours du corps législatif; il se trouva dans un singulier embarras: les membres du sénat, comme nous l'avons déjà dit avaient été égorgés, dispersés, ou fuyant dans l'étranger; il n'existait au Port-au-Prince que quelques sénateurs qui végétaient dans l'oubli: ceux du Sud s'étaient retirés dans leur département qui n'était plus sous ses ordres.

Pétion vit qu'il lui était impossible de con→ voquer le sénat sans le secours de son compétiteur. Le 18 Décembre, il écrivit à Rigaud pour l'engager à faire réunir en assemblée générale les citoyens notables de l'Ouest et du Sud, pour travailler à un nouveau pacte constitutionnel qui pouvait leur convenir. Rigaud s'empressa d'accepter cette proposition avec joie, espérant pouvoir influencer cette assem→ blée et de se faire nommer à la charge de Président; comptant sur la grande majorité qu'auraient les deux divisions du Sud sur la seconde de l'Ouest, et de pouvoir jouer à Pétion le même tour et les mêmes intrigues que celui-ci avait fait usage lors de la première assemblée constituante.

Mais le rusé Pétion, prévoyant le dessein de Rigaud, par une seconde lettre du 4 de Janvier, détruisit les dispositions qu'ils avaient prises en commun le 18 de Décembre. Il indiqua Léogane, ville qui était sous ses ordres, pour être le lieu de la réunion de cette assem blée; là il était certain de l'influencer par sa présence, de le circonvenir par ses troupes, et de se rendre maître des délibérations.

Pétion savait aussi que Rigaud n'aurait pas osé se présenter dans cette assemblée, sans courir le risque d'être arrêté, ou de tomber dans quelques pièges qu'il n'aurait pas manqué de lui tendre.

Pour mieux corroborer encore ses mesures, Pétion donna des nouvelles instructions sur lesquelles, il voulait que les opérations de cette assemblée fussent basées; alors Rigaud, voyant que Pétion ne cherchait que les moyens de pouvoir le tromper et de l'attirer dans quelques piéges, résolut de le déjouer dans ses desseins; il protesta contre la lettre et les instructions précitées, suspendit toute espèce de nomination de députés à l'assemblée géné rale, et maintînt ses arrêts et ses proclamations qui séparaient le gouvernement du Sud d'avec celui de l'Ouest (1).

Ainsi l'on vit se renouveller, entre ces deux ambitieux, les mêmes scènes et les mêmes intrigues qui avaient déja eu lieu ; l'on vit l'artificieux Pétion agir en 1810 à l'égard

(1) Arrêts et Proclamations de Rigaud des 2,5 et 6 Novembre 1810, an, 7ème.

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