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de leur feinte amitié ; l'on connaissait le caractère de ces deux hommes également injustes, ingrats et ambitieux; et l'on prévoyait déjà que ces deux profonds scélérats qui avaient occasionnés, tant de maux à leur patrie, ne resteraient pas long-temps unis.

Rigaud était le parrain de Goman; il espérait pouvoir le persuader à se rendre ou à entraîner son filleul dans un piége qui aurait terminé la guerre; mais les efforts et les ruses de Rigaud furent inutiles; Goman persista dans sa résolution, et sut éviter les embûches de son indigne et artificieux parrain.

Alors, la République d'Hayti, sappée de toutes parts par les vices de son administration, menaçait d'une ruine prochaine.

L'armée expéditionnaire avait succombée au Môle, les rènes de l'administration étaient abandonnées au pillage, le gouvernement grévé de dettes, le crédit public anéanti. Dès l'instant où Pétion était parvenu à la présidence, il avait foulé aux pieds la constitution, méconnu les lois; le corps législatif avait été dissout; le prétendu Sénat avait disparu; une partie des sénateurs égorgée, l'autre dispersée dans l'exil ou ayant fuie dans

l'étranger; uniquement occupé que du soin de sa conservation personnelle, Pétion ne voyait toute la République que dans la ville du Portau-Prince; là il avait aggloméré toutes ses ressources, réuni toutes les troupes de la seconde division de l'Ouest, sur lesquelles il portait toute son attention; tandis que le reste des troupes du Sud, qui n'avaient pas été sacrifiées au Môle, et qui étaient sous le commandement de Rigaud à faire la guerre dans le Sud, étaient sans paye, sans habillement, et dans un état de dénuement complet, Pétion s'était attaché à épuiser les ressources en tous genres de ce département.

Presque point de lois; celles existantes étaient sans force et sans vigueur; les citoyensprivés de la justice; le plus grand désordre régnait dans la République.

Cependant la constitution était belle, sage et républicaine; elle était basée sur celle des États-Unis d'Amérique. Quel exemple pour ceux qui ne s'attachent qu'à une vaine théorie, et qui croyent qu'il ne s'agit que de faire de belles constitutions pour opérer le bonheur des peuples? mais la raison et l'expérience

hous démontrent qu'il faut premièrement avoir un caractère national, des mœurs et des vertus ! Dans cet état de choses; le premier Novembre 1810, Rigaud résolut d'opérer la scission du Sud avec la seconde division de la province de l'Ouest; il appuya sa résolution sur l'état de mort où était la constitution. « La souveraineté réside dans le peuple, (disait-il) et le peuple reprend ses droits quand il lui plaît ».

Pauvre peuple, c'est toujours en se servant de ton nom et de tes droits que les factieux t'abusent! Rigaud convoqua ́ les citoyens notables de la province du Sud en assemblée départementale, se fit nommer et proclamer général en chef du département du Sud, avec le pouvoir de faire des lois et de nommer aux places civiles et militaires assisté cependant d'un conseil privé ; c'était un despotisme militaire le plus détestable de tous les gouvernemens.

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Ainsi, se réalisèrent ce que les gens sensés avaient prévu sept mois auparavant ; ainsi se justifièrent et les craintes de Pétion et les espérances de Rigaud; l'on vit encore que l'ambition était l'idole à laquelle ces deux chefs

vaient toujours sacrifiés! l'on fut convaincu qu'il n'y avait que le souverain pouvoir qui pouvait satisfaire leurs désirs immodérés ; ils avaient été constamment unis de vues et d'intérêts; mais du moment qu'ils ont eu le même objet pour l'ambition, ils n'ont pu s'accorder: est-il étonnant d'après cela, si l'un et l'autre de ces deux chefs ont méconnu l'autorité des généraux Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines et Henry Christophe ?

Arrêtons-nous ici un instant, et contemplons les effets et les résultats des crimes de l'ambition! Versons des larmes de sang sur notre malheureuse patrié ! Pleurons les cruelles infortunes du peuple haytien, d'un peuple bon et généreux, digne d'un meilleur sort!

Oui, c'est l'ambition, cette cruelle et barbare passion, c'est cette soif insatiable des honneurs et des pouvoirs, qui a produit tous les crimes, tous les désastres et toutes les horreurs de nos guerres civiles! c'est par elle que notre malheureuse patric a été déchirée et mise en lambeaux; son territoire et sa population morcelés; qu'un peuple bon, sensible es généreux a été rendu cruel, féroce et

barbare; c'est par elle que nous avons vu des généraux', des sénateurs, des magistrats, des milliers de braves soldats, des défenseurs de la liberté et de l'indépendance, des femmes et des enfans inhumainement égorgés; nos campagnes dévastées; les horreurs de la famine ; nos villes réduites en cendres ou livrées au pillage; un crêpe lugubre couvrant la patrie; des veuves et des orphelins, des familles entières exterminées ou réduites dans la plus affreuse misère; c'est par elle enfin, , que nous avons vu notre caractère national avili et dégradé, nos ennemis triomphans de nos discordes civiles en profiter pour nous humilier, nous faire des propositions odieuses et dégradantes, tendantes à nous asservir !

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Tels ont été, haytiens, les effets et les résultats des crimes de l'ambition; tels ont été les crimes de Rigaud et de Pétion. Puisse ce tableau déchirant de nos malheurs passés attendrir le cœur de nos compatriotes et les porter à réfléchir mûrement sur notre situation présente et à venir ! Puissent les chefs qui tiennent le gouvernail des affaires publiques

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