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LIVRE VII.

CHAPITRE II.

Des Loix fomptuaires dans la Démocratie.

Ous avons dit que dans les Ré

N publiques où les richelles font

également partagées, il ne peut point y avoir de luxe; & comme cette égalité de diftribution fait l'excellence d'une République, il fuit que moins il y a de luxe dans une République, plus elle eft parfaite. Il n'y en avoit point chez les premiers Romains; il n'y en avoit point chez les Lacédémoniens; & dans les Républiques où l'égalité n'eft pas tout-à-fait perdue, l'efprit de commerce, de travail & de vertu, fait que chacun y peut & que chacun y veut vivre de fon propre bien, & que par conféquent il y a peu de luxe.

Les Loix du nouveau partage des champs demandé avec tant d'inftance dans quelques Républiques, étoient falutaires par leur nature. Elles ne font dangereufes que comme action fubite. En ôtant tout-à-coup les richeffes aux uns, & augmentant de

Chap. II.

LIVRE VII. même celles des autres, elles font Chap, II, dans chaque famille une révolution, & en doivent produire une générale dans l'Etat.

de Diodore

phirog.

A mefure que le luxe s'établit dans une République, l'efprit fe tourne vers l'interêt particulier. A des gens à qui il ne faut rien que le néceffaire, il ne refte à defirer que la gloire de la Patrie & la fienne propre. Mais une ame corrompue par le luxe a bien d'autres defirs. Bien-tôt elle devient ennemie des Loix qui la gênent. Le luxe, que la garnifon de Rhége commença à connoître, fit qu'elle en égorgea les habitans.

Si-tôt que les Romains furent cor(a) Fragm. rompus, leurs defirs devinrent imdu 36. Liv. menfes. On en peut juger par le prix rapporté par qu'ils mirent aux chofes. Une cruche Conft. Por- de vin de Falerne (a) fe vendoit cent Extrait des deniers Romains; un baril de chair favertus & des lée du Pont en coûtoit quatre cent; (b) Cùm un bon cuifinier quatre talens; les maximus jeunes garçons n'avoient point de petus ad lu- prix. Quand par une impétuofité (b) xuriam ef- générale tout le monde fe portoit à la volupté, que devenoit la vertu?

vices.

omnium im

fet,ibid.

CHAPITRE III.

Des Loix fomptuaires dans l'Ariftocratic.

'ARISTOCRATIE mal conftituée a ce malheur, que les nobles y ont les richesses, & que cependant il ne doivent pas dépenfer; le luxe contraire à l'efprit de modération en doit être banni. Il n'y a donc que des gens très-pauvres, qui ne peuvent pas recevoir, & des gens très-riches, qui ne peuvent pas dépenser.

A Venife les Loix forcent les nobles à la modeftie. Ils fe font tellement accoûtumés à l'épargne qu'il n'y a que les courtifannes qui puiffent leur faire donner de l'argent. On fe fert de cette voye pour entretenir l'industrie; les femmes les plus méprifables y dépenfent fans danger, pendant que leurs tributaires y menent la vie du monde la plus obfcure.

Les bonnes Républiques Grecques avoient à cet égard des inftitutions admirables. Les riches employoient leur argent en fêtes, en chœurs de

LIVRE VII.

Chap. III.

LIVRE VII. mufique; en chariots, en chevaux Chap. IV. pour la courfe, en Magiftratures onéreufes. Les richesses y étoient aussi à charge que la pauvreté.

(a) De

Morib.
Gerinan.

CHAPITRE IV.

Des Loix fomptuaires dans les
Monarchies.

"Es Suions, nation Germanique, "Lrendent honneur aux richeffes,

"dit Tacite (a); ce qui fait qu'ils vi» vent fous le Gouvernement d'un "feul. » Cela fignifie bien que le luxe eft fingulierement propre aux Monarchies, & qu'il n'y faut point de Loix fomptuaires.

Comme par la conftitution des Monarchies les richeffes y font inéga lement partagées, il faut bien qu'il y ait du luxe. Si les riches n'y dépenfent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim. Il faut même que les riches y dépensent à dépenfent à proportion de l'inégalité des fortunes, & que, comme nous avons dit, le luxe y augmente dans cette proportion. Les richeffes particulieres n'ont augmenté que par

ce qu'elles ont ôté à une partie des ci- LIVRE VII. toyens le néceffaire phyfique ; il faut Chap. IV. donc qu'il leur foit rendu.

Ainfi pour que l'Etat Monarchique fe foutienne, le luxe doit aller en croiffant du laboureur à l'artisan au négociant, aux nobles aux Magiftrats, aux grands Seigneurs, aux Traitans principaux, aux Princes; fans quoi tout feroit perdu.

(a) Dion

Liv. 5.4

Dans le Sénat de Rome compofé de graves Magiftrats, de Jurifconfultes & d'hommes pleins de l'idée des premiers temps, on propofa fous Augufte la correction des mœurs & du luxe des femmes. Il eft curieux de voir dans Dion (a) avec quel art il éluda les demandes importunes de ces Séna- Caffius teurs. C'eft qu'il fondoit une Monarchie, & diffolvoit une République. Sous Tibére, les Ediles propoferent dans le Sénat le rétabliffement des anciennes Loix fomptuaires (b). Ce (b) Tacice Prince qui avoit des lumieres s'y oppofa: l'Etat ne pourroit fubfifter "difoit-il, dans la fituation où font "les chofes. Comment Rome pour"roit-elle vivre? comment pourroient » vivre les Provinces? Nous avions de » la frugalité lorfque nous étions ci

Liv. 3.

Annal.

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