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tez à cela cette indifférence pour toutes choses que donne le dogme d'un destin rigide.

Si d'ailleurs d'autres causes concourent à leur inspirer le détachement, comme si la dureté du gouvernement, si les lois concernant la propriété des terres donnent un esprit précaire, tout est perdu.

La religion des guèbres rendit autrefois le royaume de Perse florissant; elle corrigea les mauvais effets du despotisme : la religion mahométane détruit aujourd'hui ce même empire.

CHAPITRE XII.

Des pénitences.

Il est bon que les pénitences soient jointes avec l'idée de travail, non avec l'idée d'oisiveté ; avec l'idée d'un bien, non avec l'idée de l'extraordinaire; avec l'idée de frugalité, non avec l'idéc d'avarice.

CHAPITRE XIII.

Des crimes inexpiables.

Il paraît, par un passage des livres des pontifes rapporté par Cicéron (a), qu'il y avait chez (a) Liv. II, des Lois.

que

les Romains des crimes (a) inexpiables; et c'est là-dessus Zosime fonde le récit si propre à envenimer les motifs de la conversion de Constantin, et Julien cette raillerie amère qu'il fait de cette même conversion dans ses Césars.

:

La religion païenne, qui ne défendait que quelques crimes grossiers, qui arrêtait la main et abandonnait le cœur, pouvait avoir des crimes inexpiables mais une religion qui enveloppe toutes les passions; qui n'est pas plus jalouse des actions que des désirs et des pensées; qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrable de fils; qui laisse derrière elle la justice humaine, et commence une autre justice; qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l'amour, et de l'amour au repentir; qui met entre le juge et le criminel un grand médiateur, entre le juste et le médiateur un grand juge; une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais, quoiqu'elle donne des craintes et des espérances à tous, elle fait assez sentir que, s'il n'y a point de crime qui par sa nature soit inexpiable, toute une vie peut l'être; qu'il serait très-dangereux de tourmenter sans cesse la miséricorde par nouveaux crimes et de nouvelles expiations; qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais

de

(a) Sacrum commissum, quod neque expiari poterit, impie commissum est; quod expiari poterit publicis sacerdotes expianto.

quittes envers le Seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mesure, et d'aller jusqu'au terme où la bonté paternelle finit.

CHAPITRE XIV.

Comment la force de la religion s'applique à celle des lois civiles.

Comme la religion et les lois civiles doivent tendre principalement à rendre les hommes bons citoyens, on voit que, lorsqu'une des deux s'écartera de ce but, l'autre y doit tendre davantage moins la religion sera réprimante, plus les lois civiles doivent réprimer.

Ainsi, au Japon, la religion dominante n'ayant presque point de dogmes et ne proposant point de paradis ni d'enfer, les lois, pour y suppléer, ont été faites avec une sévérité et exécutées avec une ponctualité extraordinaires.

Lorsque la religion établit le dogme de la nécessité des actions humaines, les peines des lois doivent être plus sévères et la police plus vigilante, pour que les hommes, qui sans cela s'abandonneraient eux-mêmes, soient déterminés par ces motifs mais si la religion établit le dogme de la liberté, c'est autre chose.

De la paresse de l'âme naît le dogme de la prédestination mahométane, et du dogme de cette

prédestination naît la paresse de l'âme. On a dit: Cela est dans les décrets de Dieu, il faut donc rester en repos. Dans un cas pareil, on doit exciter par les lois les hommes endormis dans la religion.

Lorsque la religion condamne des choses que les lois civiles doivent permettre, il est dangereux que les lois civiles ne permettent de leur côté ce que la religion doit condamner, une de ces choses marquant toujours un défaut d'harmonie et de justesse dans les idées, qui se répand sur l'autre.

Ainsi les Tartares (a) de Gengiskan, chez lesquels c'était un péché et même un crime capital de mettre le couteau dans le feu, de s'appuyer contre un fouet, de battre un cheval avec sa bride, de rompre un os avec un autre, ne croyaient pas qu'il y eût de péché à violer la foi, à ravir le bien d'autrui, à faire injure à un homme, à le tuer. En un mot, les lois qui font regarder comme nécessaire ce qui est indifférent ont cet inconvénient, qu'elles font considérer comme indifférent ce qui est nécessaire.

Ceux de Formose (b) croient une espèce d'enfer; mais c'est pour punir ceux qui ont manqué d'aller nus en certaines saisons, qui ont mis

(a) Voyez la relation de frère Jean Duplan Carpin, envoyé en Tartarie par le pape Innocent IV en l'année 1246.

(b) Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V. part. I, p. 192.

qui

des vêtemens de toile et non pas de soie, ont été chercher des huîtres, qui ont agi sans consulter le chant des oiseaux aussi ne regardent-ils point comme péché l'ivrognerie et le déréglement avec les femmes; ils croient même que les débauches de leurs enfans sont agréables à leurs dieux.

Lorsque la religion justifie pour une chose d'accident, elle perd inutilement le plus grand ressort qui soit parmi les hommes. On croit chez les Indiens que les eaux du Gange ont une vertu sanctifiante (a); ceux qui meurent sur ses bords sont réputés exempts des peines de l'autre vie, et devoir habiter une région pleine de délices : on envoie des lieux les plus reculés des urnes pleines de cendres des morts pour les jeter dans le Gange. Qu'importe qu'on vive vertueusement ou non? on se fera jeter dans le Gange.

L'idée d'un lieu de récompense emporte nécessairement l'idée d'un séjour de peines; et, quand on espère l'un sans craindre l'autre, les lois civiles n'ont plus de force. Des hommes qui croient des récompenses sûres dans l'autre vie échapperont au législateur; ils auront trop de mépris pour la mort. Quel moyen de contenir par les lois un homme qui croit être sûr que plus grande peine que les magistrats lui pourront infliger ne finirą dans un moment que pour commencer son bonheur?

(a) Lettres édifiantes, quinzième recueil.

la

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