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fut plus que d'une. Ce retranchement répond à ce que nous appelons aujourd'hui augmentation de monnaie. Oter d'un écu de six livres la moitié de l'argent pour en faire deux, ou le faire valoir douze livres, c'est précisément la même chose.

Il ne nous reste point de monument de la manière dont les Romains firent leur opération dans la première guerre punique; mais ce qu'ils firent dans la seconde nous marque une sagesse admirable. La république ne se trouvait point en état d'acquitter ses dettes; l'as pesait deux onces de cuivre, et le dernier, valant dix as, valait vingt onces de cuivre. La république fit des as d'une once de cuivre (a): elle gagna la moitié sur ses créanciers; elle paya un denier avec ses dix onces de cuivre. Cette opération donna une grande secousse à l'état : il fallait la donner la moindre qu'il était possible; elle contenait une injustice, il fallait qu'elle fût la moindre qu'il était possible; elle avait pour objet la libération de la république envers ses citoyens, il ne fallait donc pas qu'elle eût celui de la libération des citoyens entre eux. Cela fit faire une seconde opération; et l'on ordonna que le denier, qui n'avait été jusque-là que de dix as, en contiendrait seize il résulta de cette double opération que, pendant que les créanciers de la république perdaient la moitié (b), ceux des particuliers ne (a) Pline, Hist. nat., liv. XXXIII, art. 13.

:

(b) Ils recevaient dix onces de cuivre pour vingt.

perdaient qu'un einquième (a), les marchandises. n'augmentaient que d'un cinquième, le changement réel dans la monnaie n'était que d'un cinquième : on voit les autres conséquences.

Les Romains se conduisirent donc mieux que nous, qui, dans nos opérations, avons enveloppé et les fortunes publiques et les fortunes particulières. Ce n'est pas tout : on va voir qu'ils les firent dans des circonstances plus favorables que

nous.

CHAPITRE XII.

Circonstances dans lesquelles les Romains firent leurs
opérations sur la monnaie.

Il y avait anciennement très-peu d'or et d'argent en Italie; ce pays a peu ou point de mines d'or et d'argent. Lorsque Rome fut surprise par les Gaulois, il ne s'y trouva que mille livres d'or (b). Cependant les Romains avaient saccagé plusieurs villes puissantes, et ils en avaient transporté les richesses chez eux. Ils ne se servirent long-temps que de monnaie de cuivre : ce ne fut qu'après la paix de Pyrrhus qu'ils eurent assez d'argent pour en faire de la monnaie (c). Ils

(a) Ils recevaient seize onzes de cuivre pour vingt. (b) Pline, liv. XXXIII, art. 5.

(c) Freinshemius, liv. V de la seconde décade.

car,

firent des deniers de ce métal qui valaient dix as (a), ou dix livres de cuivre. Pour lors la proportion de l'argent au cuivre était comme i à 960; le denier romain valant dix as ou dix livres de cuivre, il valait cent vingt onces de cuivre ; et, le même denier valant un huitième d'once d'argent (b), cela faisait la proportion que nous venons de dire.

Rome, devenue maîtresse de cette partie de l'Italie la plus voisine de la Grèce et de la Sicile, se trouva peu à peu entre deux peuples riches, les Grecs et les Carthaginois; l'argent augmenta chez elle; et, la proportion de 1 à 960 entre l'argent et le cuivre ne pouvant plus se soutenir, elle fit diverses opérations sur les monnaies, que nous ne connaissons pas. Nous savons seulement qu'au commencement de la seconde guerre punique, le denier romain ne valait plus que vingt onces de cuivre (c); et qu'ainsi la proportion entre l'argent et le cuivre n'était plus que comme 1 est à 160. La réduction était bien considérable, puisque la république gagna cinq sixièmes sur toute la monnaie de cuivre; mais on ne fit que се que demandait la nature des choses, et réta

(a) IBID. LOCO CITATO. Ils frappèrent aussi, dit le même auteur, des demi appelés quinaires, et des quarts appelés ses

terces.

(b) Un huitième, selon Budée; un septième, selon d'au

tres auteurs.

(c) Pline, Hist. nat., liv. XXXIII, art. 13.

blir la proportion entre les métaux qui servaient de monnaie.

La paix qui termina la première guerre punique avait laissé les Romains maîtres de la Sicile. Bientôt ils entrèrent en Sardaigne, et ils commencèrent à connaître l'Espagne. La masse de l'argent augmenta encore à Rome : on y fit l'opération qui réduisit le denier d'argent de vingt onces à seize (a); et elle eut cet effet, qu'elle remit en proportion l'argent et le cuivre cette proportion était comme 1 est à 160; elle fut comme I est à 128.

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Examinez les Romains, vous ne les trouverez jamais si supérieurs que dans le choix des circonstances dans lesquelles ils firent les biens et les maux.

CHAPITRE XIII.

Opérations sur les monnaies du temps des empereurs.

Dans les opérations que l'on fit sur les monnaies du temps de la république, on procéda par voie de retranchement : l'état confiait au peuple ses besoins, et ne prétendait pas le séduire. Sous les empereurs, on procéda par voie d'alliage: ces princes, réduits au désespoir par leurs libéralités mêmes, se virent obligés d'altérer les mon(a) Pline, Hist. nat., liv. XXXIII, art. 13.

naies; voie indirecte qui diminuait le mal et semblait ne le pas toucher: on retirait une partie du don, et on cachait la main; et, sans parler de diminution de la paie ou des largesses, elles se trouvaient diminuées.

On voit encore dans les cabinets (a) des médailles qu'on appelle fourrées, qui n'ont qu'une lame d'argent qui couvre le cuivre. Il est parlé de cette monnaie dans un fragment du livre LXXVII de Dion (b).

Didius Julien commença l'affaiblissement. On trouve que la monnaie (c) de Caracalla avait plus de la moitié d'alliage; celle d'Alexandre Sévère (d) les deux tiers : l'affaiblissement continue; et, sous Galien (e), on ne voyait plus que du cuivre argenté.

On sent que ces opérations violentes ne sauraient avoir lieu dans ces temps-ci; un prince se tromperait lui-même, et ne tromperait personne. Le change a appris au banquier à compter toutes les monnaies du monde, et à les mettre à leur juste valeur : le titre des monnaies ne peut plus être un secret. Si un prince commence le billon, tout le monde continue, et le fait pour lui; les

(a) Voyez la science des médailles du P. Joubert, édit. de Paris, 1739, page 59.

(b) Extrait des vertus et des vices.

(c) Voyez Savot, part. II, chap. x11; et le Journal des savans du 28 juillet 1681, sur une découverte de 50,000 médailles. (d) Id. Ibid. -(e) Id. Ibid.

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