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celle qu'il a; mais de savoir quel est le moindre mal, que l'on abuse quelquefois de la religion, ou qu'il n'y en ait point du tout parmi les

hommes.

Pour diminuer l'horreur de l'athéisme on charge trop l'idolâtrie. Il n'est pas vrai que quand les anciens élevaient des antels à quelque vice cela signifiât qu'ils aimassent ce vice : cela signifiait au contraire qu'ils le haïssaient. Quand les Lacédémoniens érigèrent une chapelle à la Peur, cela ne signifiait pas que cette nation belliqueuse lui demandat de s'emparer dans les combats des cœurs des Lacédémoniens. Il y avait des divinités à qui on demandait de ne pas inspirer le crime, et d'autres à qui on demandait de le dé

tourner.

CHAPITRE III.

Que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne, et le gouvernement despotique à la mahometane.

La religion chrétienne est éloignée du pur despotisme : c'est que la douceur étant si recommandée dans l'évangile, elle s'oppose à la colère despotique avec laquelle le prince se ferait justice et exercerait ses cruautés.

Cette religion défendant la pluralité des femmes, les princes y sont moins renfermés, moius

séparés de leurs sujets, et par conséquent plus hommes; ils sont plus disposés à se faire des lois, et plus capables de sentir qu'ils ne peuvent pas tout.

Pendant que les princes mahométans donnent sans cesse la mort ou la reçoivent, la religion chez les chrétiens rend les princes moins timides, et par conséquent moins cruels. Le prince compte sur ses sujets, et les sujets sur le prince. Chose admirable! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d'objet que la félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci.

C'est la religion chrétienne qui, malgré la grandeur de l'empire et le vice du climat, a enpêché le despotisme de s'établir en Ethiopie, et a porté au milieu de l'Afrique les mœurs de l'Europe et ses lois.

Le prince héritier d'Éthiopie jouit d'une principauté, et donne aux autres sujets l'exemple de l'amour de l'obéissance. Tout près de là on voit le mahométisme faire renfermer les enfans (a) du roi de Sennar: à sa mort, le conseil les envoie égorger en faveur de celui qui monte sur le trône.

les massa

Que l'on se mette devant les yeux cres continuels des rois et des chefs grecs et romains, et de l'autre la destruction des peuples et des villes par ces mêmes chefs; Thimur et

(a) Relation d'Ethiopie, par le sieur Ponce, médecin, au quatrième recueil des Lettres édifiantes.

Gengiskan, qui ont devasté l'Asic; et nous verrons que nous devons au christianisme, et dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la guerre un certain droit des gens que la nature bumaine ne saurait assez reconnaître.

C'est ce droit des gens qui fait que, parmi nous, la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes choses, la vie, la liberté, les lois, les biens, et toujours la religion lorsqu'on ne s'aveugle pas soi-même,

On peut dire que les peuples de l'Europe ne sont pas aujourd'hui plus désunis que ne l'étaient dans l'empire romain, devenu despotique et militaire, les peuples et les armées, ou que ne l'étaient les armées entre elles: d'un côté les armées se faisaient la guerre; et de l'autre on leur donnait le pillage des villes, et le partage ou la confiscation des terres.

CHAPITRE IV.

Conséquences du caractère de la religion chrétienne et de celui de la religion mahometane.

Sur le caractère de la religion chrétienne et celui de la mahométane, on doit, sans autre examen, embrasser l'une et rejeter l'autre : car il nous est plus évident qu'une religion doit

adoucir les mœurs des hommes, qu'il ne l'est qu'une religion soit vraie.

C'est un malheur pour la nature humaine lorsque la religion est donnée par un conquérant. La religion mahométane, qui ne parle que de glaive, agit encore sur les hommes avec cet esprit destructeur qui l'a fondée.

L'histoire de Sabbacon (a), un des rois pasteurs, est admirable. Le dieu de Thèbes lui apparut en songe, et lui ordonna de faire mourir tous les prêtres d'Egypte. Il jugea que les dieux n'avaient plus pour agréable qu'il régnât, puisqu'ils lui ordonnaient des choses si contraires à leur volonté ordinaire; et il se retira en Éthiopie.

CHAPITRE V.

Que la religion catholique convient mieux à une monarchie, et que la protestante s'accommode mieux d'une république.

Lorsqu'une religion naît et se forme dans un état, elle suit ordinairement le plan du gouvernement où elle est établie : car les hommes qui la reçoivent et ceux qui la font recevoir n'ont guère d'autres idées de police que celles de l'état dans lequel ils sont nés.

Quand la religion chrétienne souffrit, il y a deux siècles, ce malheureux partage qui la divisa

(a) Voyez Diodore, liv. H.

en catholique et en protestante, les peuples du nord embrassèrent la protestante, et ceux du midi gardèrent la catholique.

C'est que les peuples du nord ont et auront toujours un esprit d'indépendance et de liberté que n'ont pas les peuples du midi; et qu'une religion qui n'a point de chef visible convient mieux à l'indépendance du climat que celle qui en a un.

Dans les pays mêmes où la religion protestante s'établit, les révolutions se firent sur le plan de l'état politique. Luther, ayant pour lui de grands princes, n'aurait guère pu leur faire goûter une autorité ecclésiastique qui n'aurait point eu de prééminence extérieure; et Calvin, ayant pour lui des peuples qui vivaient dans des républiques, ou des bourgeois obscurcis dans des monarchies, pouvait fort bien ne pas établir des prééminences et des dignités.

Chacune de ces deux religions pouvait se croire la plus parfaite: la calviniste se jugeant plus conforme à ce que Jésus-Christ avait dit, et la luthérienne à ce que les apôtres avaient fait.

CHAPITRE VI.

Autre paradoxe de Bayle.

M. Bayle, après avoir insulté toutes les religions, flétrit la religion chrétienne. Il ose avancer

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