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corda des avantages à ceux qui ne se remarieraient pas.

Par les lois anciennes, la faculté naturelle que chacun a de se marier et d'avoir des enfans ne pouvait être ôtée. Ainsi, quand on recevait un legs (a) à condition de ne point se marier, lorsqu'un patron faisait jurer (b) son affranchi qu'il ne se marierait point et qu'il n'aurait point d'enfans, la loi pappienne annulait (c) et cette condition et ce serment. Les clauses, en gardant viduité, établies parmi nous, contredisent donc le droit ancien, et descendent des constitutions des empereurs, faites sur les idées de la perfection.

Il n'y a point de loi qui contienne une abrogation expresse des priviléges et des honneurs que les Romains païens avaient accordés aux mariages et au nombre des enfans; mais là où le célibat avait la prééminence il ne pouvait plus y avoir d'honneur pour le mariage; et, puisque l'on put obliger les traitans à renoncer à tant de profits par l'abolition des peines, on sent qu'il fut encore plus aisé d'ôter les récompenses.

La même raison de spiritualité qui avait fait permettre le célibat imposa bientôt la nécessité du célibat même. A Dieu ne plaise que je parle ici contre le célibat qu'a adopté la religion! mais qui pourrait se taire contre celui qu'a formé le

(a) Leg. LIV, ff. de condit. ET DEMONST.

(b) Leg. V, S4, DE JURE PATRONAT.

(e) Paul, dans ses sentences, liv. III, tit. IV, § 15.

libertinage, celui où les deux sexes, se corrompant par les sentimens naturels mêmes, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celle qui les rend toujours pires?

C'est une règle tirée de la nature, que plus on diminue le nombre des mariages qui pourraient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits; moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages; comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols.

CHAPITRE XXII.

De l'exposition des enfans.

Les premiers Romains eurent une assez bonne police sur l'exposition des enfans. Romulus, dit Denys d'Halicarnasse (a), imposa à tous les citoyens la nécessité d'élever tous les enfans mâles et les aînées des filles. Si les enfans étaient difformes et monstrueux, il permettait de les exposer après les avoir montrés à cinq des plus proches voisins.

Romulus ne permit (b) de tuer aucun enfant qui eût moins de trois ans : par là il conciliait la la loi qui donnait aux pères le droit de vie et de mort sur leurs enfans, et celle qui défendait de les exposer.

(a) Antiquités romaines, liv. II.

- (b) Ibid.

que

On trouve encore dans Denys d'Halicarnasse(a) la loi qui ordonnait aux citoyens de se marier et d'élever tous leurs enfans était en vigueur l'an 277 de Rome. On voit que l'usage avait restreint la loi de Romulus qui permettait d'exposer les filles cadettes.

Nons n'avons de connaissance de ce que la loi des douze tables, donnée l'an de Rome 301, statua sur l'exposition des enfans, que par un passage de Cicéron (b), qui, parlant du tribunat du peuple, dit que d'abord après sa naissance, tel que l'enfant monstrueux de la loi des douze tables, il fut étouffé : les enfans qui n'étaient pas monstrueux étaient donc conservés, et la loi des douze tables ne changea rien aux institutions précédentes.

« Les Germains (c), dit Tacite, n'exposent point leurs enfans; et, chez eux les bonnes mœurs ont plus de force que n'ont ailleurs les bonnes lois. » Il y avait donc chez les Romains des lois contre cet usage, et on ne les suivait plus. On ne trouve aucune loi (d) romaine qui permette d'exposer les enfans; ce fut sans doute un abus introduit dans les derniers temps, lorsque le luxe ôta l'aisance, lorsque les richesses partagées furent appelées pauvreté, lorsque le père

(a) Liv. IX.

GERM.

(b) Liv. III, DE LEGIB. (c) DE MORIB.

(d) Il n'y a point de titre là-dessus dans le Digeste le titre du Code n'en dit rien, non plus que les Novelles.

crut avoir perdu ce qu'il donna à sa famille, et qu'il distingua cette famille de sa propriété.

CHAPITRE XXIII.

De l'état de l'univers après la destruction des Romains.

Les réglemens que firent les Romains pour augmenter le nombre de leurs citoyens eurent leur effet pendant que leur république, dans la force de son institution, n'eut à réparer que les pertes qu'elle faisait par son courage, par son audace, par sa fermeté, par son amour pour la gloire, et par sa vertu même. Mais bientôt les lois les plus sages ne purent rétablir ce qu'une république mourante, ce qu'une anarchie générale, ce qu'un gouvernement militaire, ce qu'un empire dur, ce qu'un despotisme superbe, ce qu'une monarchie faible, ce qu'une cour stupide, idiote et superstitieuse, avaient successivement abattu on eût dit qu'ils n'avaient conquis le monde que pour l'affaiblir et le livrer sans défense aux Barbares. Les nations gothes, gétiques, sarrasines, et tartares, les accablèrent tour-àtour; bientôt les peuples barbares n'eurent à détruire que des peuples barbares. Ainsi, dans le temps des fables, après les inondations et les déluges, il sortit de la terre des hommes armés qui s'exterminèrent.

CHAPITRE XXIV.

Changemens arrivés en Europe par rapport au nombre
des habitans.

Dans l'état où était l'Europe, on n'aurait pas cru qu'elle pût se rétablir, surtout lorsque, sous Charlemagne, elle ne forma plus qu'un vaste empire. Mais, par la nature du gouvernement d'alors, elle se partagea en une infinité de petites souverainetés; et comme un seigneur résidait dans son village ou dans sa ville, qu'il n'était grand, riche, puissant, que dis-je ? qu'il n'était en sûreté que par le nombre de ses habitans, chacun s'attacha avec une attention singulière à faire fleurir son petit pays; ce qui réussit tellement que, malgré les irrégularités du gouvernement, le défaut des connaissances qu'on a acquises depuis sur le commerce, le grand nombre de guerres et de querelles qui s'élevèrent sans cesse, il y eut dans la plupart des contrées de l'Europe plus de peuple qu'il n'y en a aujourd'hui.

Je n'ai pas le temps de traiter à fond cette matière ; mais je citerai les prodigieuses armées des croisés, composées de gens de toute espèce. M. Pufendorff dit (a) que, sous Charles IX, il avait vingt millions d'hommes en France. Ce sont (a) Histoire de l'univers, chap. v, de la France.

y

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