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CHAPITRE XXI.

Des lois des Romains sur la propagation de l'espèce.

Les anciennes lois de Rome cherchèrent beaucoup à déterminer les citoyens au mariage. Le sénat et le peuple firent souvent des réglemens làdessus, comme le dit Auguste dans sa harangue rapportée par Dion (a).

par

Denys d'Halicarnasse (b) ne peut croire qu'après la mort des trois cent cinq Fabiens exterminés les Véiens il ne fût resté de cette race qu'un seul enfant, parce que la loi ancienne qui ordonnait à chaque citoyen de se marier et d'élever tous ses enfans était encore dans sa vigueur (c).

Indépendamment des lois, les censeurs eurent l'œil sur les mariages; et, selon les besoins de la république ; ils y engagèrent (d) et par la honte et par les peines.

Les mœurs, qui commencèrent à se corrompre, contribuèrent beaucoup à dégoûter les citoyens du mariage, qui n'a que des peines pour ceux qui n'ont plus de sens pour les plaisirs de

(a) Liv. LVI.— (b) Liv. II.

(c) L'an de Rome 277. (d) Voyez ce qu'ils firent à cet égard. Tite-Live, liv. XLV; l'épitome de Tite-Live, liv: LIX; Aulu-Gelle, liv. I, ch. VI; Valère Maxime, liv. II, ch. xix.

l'innocence. C'est l'esprit de cette (a) harangue que Métellus Numidicus fit au peuple dans sa censure. «S'il était possible de n'avoir point de femme, nous nous délivrerions de ce mal; mais comme la nature a établi que l'on ne peut guère vivre heureux avec elles ni subsister sans elles, il faut avoir plus d'égards à notre conservation qu'à des satisfactions passagères. »>

La corruption des mœurs détruisit la censure, établie elle-même pour détruire la corruption des mœurs mais lorsque cette corruption devient générale, la censure n'a plus de force (b).

Les discordes civiles, les triumvirats, les proscriptions, affaiblirent plus Rome qu'aucune guerre qu'elle eût encore faite : il restait peu de citoyens (c), et la plupart n'étaient pas mariés. Pour remédier à ce dernier mal, César et Auguste rétablirent la censure, et voulurent (d) même être censeurs. Ils firent divers réglemens : César (e) donna des récompenses à ceux qui avaient beaucoup d'enfans; il défendit (f) aux femmes qui avaient moins de quarante-cinq ans,

(a) Elle est dans Aulu-Gelle, liv. I, ch. vi.

(b) Voyez ce que j'ai dit au liv. V, ch. xix.

(c) César, après la guerre civile, ayant fait faire le cens, il ne s'y trouva que cent cinquante mille chefs de famille. Épitome de Florus sur Tite-Live, douzième décade.

(d) Voyez Dion, liv. XLIII, et Xiphil. in August.

(e) Dion, liv. XLIII; Suétone, vie de César, eh. xx ; Appien, liv. II de la Guerre civile.

(f) Eusèbe, dans sa Chronique.

et qui n'avaient ni maris ni enfans, de porter des pierreries et de se servir de litière : méthode excellente d'attaquer le célibat par la vanité. Les lois d'Auguste (a) furent plus pressantes; il imposa (b) des peines nouvelles à ceux qui n'étaient point mariés, et augmenta les récompenses de ceux qui l'étaient et de ceux qui avaient des enfans. Tacite appelle ces lois Juliennes (c). Il y a apparence qu'on y avait fondu les anciens réglemens faits par le sénat, le peuple et les censeurs.

La loi d'Auguste trouva mille obstacles; et, trente-quatre ans (d) après qu'elle eut été faite, les chevaliers romains lui en demandèrent la révocation. Il fit mettre d'un côté ceux qui étaient mariés, et de l'autre ceux qui ne l'étaient pas ces derniers parurent en plus grand nombre, ce qui étonna les citoyens et les confondit. Auguste, avec la gravité des anciens censeurs, leur parla ainsi (e) :

<< Pendant que les maladies et guerres nous nous enlèvent tant de citoyens, que deviendra la ville si on ne contracte plus de mariages? La cité ne consiste point dans les maisons, les portiques, les places publiques; ce sont les hommes qui font la cité. Vous ne verrez point, comme dans les

(a) Dion, liv. LIV. (b) L'an 736 de Rome.
(c) JULIAS ROGATIONES, Annal. liv. III.

(d) L'an 762 de Rome. Dion, liv. LVI.

(e) J'ai abrégé cette harangue, qui est d'une longueur accablante: elle est rapportée dans Dion, liv. LVI.

ESPRIT DES LOIS. T. IV.

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fables, sortir des hommes de dessous la terre pour prendre soin de vos affaires. Ce n'est point pour vivre seuls que vous restez dans le célibat : chacun de vous a des compagnes de sa table et de son lit, et vous ne cherchez que la paix dans vos déréglemens. Citerez-vous ici l'exemple des vierges vestales? Donc si vous ne gardiez pas les lois de la pudicité, il faudrait vous punir comme elles. Vous êtes également mauvais citoyens, soit que tout le monde imite votre exemple, soit que personne ne le suive. Mon unique objet est la perpétuité de la république. J'ai augmenté les peines de ceux qui n'ont point obéi; et, à l'égard des récompenses, elles sont telles que je ne sache pas que la vertu en ait encore eu de plus grandes : il y en a de moindres, qui portent mille gens à exposer leur vie; et celles-ci ne vous engageraient pas à prendre une femme et à nourrir des enfans!

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Il donna la loi qu'on nomma de son nom Julia, et Pappia Poppaa, du nom des consuls (a) d'une partie de cette année-là. La grandeur du mal paraissait dans leur élection même. Dion (b) nous dit qu'ils n'étaient point mariés, et qu'ils n'avaient point d'enfans.

Cette loi d'Auguste fut proprement un code de lois et un corps systématique de tous les régle

(a) Marcus Pappius Mutilus, et Q. Poppaus Sabinus. Dion,

liv. LVI.

(b) Dion, liv. LVI.

mens qu'on pouvait faire sur ce sujet. On y refondit les lois juliennes (a), et on leur donna plus de force; elles ont tant de vues, elles influent sur tant de choses, qu'elles forment la plus belle partie des lois civiles des Romains.

On en trouve (b) les morceaux dispersés dans les précieux fragmens d'Ulpien; dans les lois du Digeste, tirées des auteurs qui ont écrit sur les lois pappiennes; dans les historiens et les autres auteurs qui les ont citées; dans le code théodosien qui les a abrogées; dans les pères qui les ont censurées; sans doute avec un zèle louable pour les choses de l'autre vie, mais avec très-peu de connaissance des affaires de celle-ci.

Ces lois avaient plusieurs chefs, et l'on en connaît trente-cinq (c). Mais, allant à mon sujet le plus directement qu'il me sera possible, je commencerai par le chef qu'Aulu-Gelle (d) nous dit être le septième, et qui regarde les honneurs et les récompenses accordées par cette loi.

Les Romains, sortis pour la plupart des villes latines, qui étaient des colonies lacédémoniennes (e), et qui avaient même tiré de ces villes (f)

(a) Le titre XIV des Fragmens d'Ulpien distingue fort bien la loi julienne de la pappienne.

(b) Jacques Godefroi en a fait une compilation.

(c) Le trente-cinquième est cité dans la loi XIX, ff. DE RITU NUPTIARUM..

(d) Liv. II, chap. xv. — (e) Denys d'Halicarnasse.

(f) Les députés de Rome qui furent envoyés pour chercher des lois grecques allèrent à Athènes et dans les villes d'Italie.

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