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Des relations (a) disent qu'à Bantam il y a dix filles pour un garçon ; une disproportion pareille, qui ferait que le nombre des familles y seraient au nombre de celle des autres climats comme un est à cinq et demi, serait excessive. Les familles y pourraient être plus grandes à la vérité; mais il y a peu de gens aisés pour pouvoir entretenir une si grande famille.

CHAPITRE XIII.

Des ports de mer.

Dans les ports de la mer, où les hommes s'exposent à mille dangers et vont mourir ou vivre dans des climats reculés, il y a moins d'hommes que de femmes; cependant on y voit plus d'enfans qu'ailleurs; cela vient de la facilité de la subsistance. Peut-être même que les parties huileuses du poisson sont plus propres à fournir cette matière qui sert à la génération. Ce serait une des causes de ce nombre infini de peuples qui est au Japon (b) et à la Chine (c) où l'on ne vit presque

(a) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I, p. 347.

(b) Le Japon est composé d'îles, il y a beaucoup de rivages, et la mer y est très-poissonneuse.

(c) La Chine est pleine de ruisseaux.

ESPRIT DES LOIS. T. IV.

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que de poisson (c). Si cela était, de certaines règles monastiques, qui obligent de vivre de poissou, seraient contraires à l'esprit du législateur même.

CHAPITRE XIV.

Des productions de la terre qui demandent plus ou moins

d'hommes.

Les pays de pâturages sont peu peuplés, parce que peu de gens y trouvent de l'occupation; les terres à blé occupent plus d'hommes, et les vignobles infiniment davantage.

En Angleterre (b), on s'est souvent plaint que l'augmentation des pâturages diminuait les habitans; et on observe en France que la grande quantité de vignobles y est une des grandes causes de la multitude des hommes.

Les pays où des mines de charbon fournissent des matières propres à brûler ont cet avantage

tes.

(a) Voyez le P. du Halde, tome II, p. 139, 142 et suivan

de

(b) La plupart des propriétaires des fonds de terre, dit Burnet, trouvant plus de profit en la vente de leur laine que leur blé, enfermèrent leurs possessions. Les communes, qui mouraient de faim, se soulevèrent : on proposa une loi agraire, le jeune roi écrivit même là-dessus : on fit des proclamations contre ceux qui avaient renfermé leurs terres. Abrégé de l'Histoire de la réforme, page 44 et 83.

sur les autres, qu'il n'y faut point de forêts, et que toutes les terres peuvent être cultivées.

Dans les lieux où croît le riz, il faut de grands travaux pour ménager les eaux; beaucoup de gens y peuvent donc être occupés. Il y a plus, il y faut moins de terre pour fournir à la subsistance d'une famille que dans ceux qui produisent d'autres grains; enfin la terre qui est employée ailleurs à la nourriture des animaux Ꭹ sert immédiatement à la subsistance des hommes; le travail que font ailleurs les animaux est fait là par les hommes; et la culture des terres devient pour les hommes une immense manufacture.

CHAPITRE XV.

Du nombre des habitans par rapport aux arts.

Lorsqu'il y a une loi agraire et que les terres sont également partagées, le pays peut être trèspeuplé, quoiqu'il y ait peu d'arts, parce que chaque citoyen trouve dans le travail de sa terre précisément de quoi se nourrir, et que tous les citoyens ensemble consomment tous les fruits du pays. Cela était ainsi dans quelques anciennes républiques.

Mais, dans nos états d'aujourd'hui, les fonds de terre sont inégalement distribués; ils produisent plus de fruits que ceux qui les cultivent n'en

peuvent consommer; et, si l'on y néglige les arts, et qu'on ne s'attache qu'à l'agriculture, le pays ne peut être peuplé. Ceux qui cultivent ou font cultiver, ayant des fruits de reste, rien ne les engage à travailler l'année d'ensuite, les fruits ne seraient point consommés par les gens oisifs, car les gens oisifs n'auraient pas de quoi les acheter. Il faut donc que les arts s'établissent pour que les fruits soient consommés par les laboureurs et les artisans. En un mot, ces états ont besoin que beaucoup de gens cultivent au-delà de ce qui leur est nécessaire; pour cela il faut leur donner envie d'avoir le superflu; mais il n'y a que les artisans qui le donnent.

Ces machines dont l'objet est d'abréger l'art ne sont pas toujours utiles. Si un ouvrage est à un prix médiocre, et qui convienne également à celui qui l'achète et à l'ouvrier qui l'a fait, les machines qui en simplifieraient la manufacture, c'est-à-dire qui diminueraient le nombre des ouvriers, seraient pernicieuses; et si les moulins à eau n'étaient pas partout établis, je ne les croirais pas aussi utiles qu'on le dit, parce qu'ils ont fait reposer une infinité de bras, qu'ils ont privé bien des gens de l'usage des eaux, et ont fait perdre la fécondité à beaucoup de terres.

CHAPITRE XVI.

Des vues du législateur sur la propagation de l'espèce.

Les règlemens sur le nombre des citoyens dépendent beaucoup des circonstances. Il y a des pays où la nature a tout fait; le législateur n'y a donc rien à faire. A quoi bon engager par des lois à la propagation lorsque la fécondité du climat donne assez de peuple? Quelquefois le climat est plus favorable que le terrain; le peuple s'y multiplie, et les famines le détruisent : c'est le cas où se trouve la Chine; aussi un père y vend-il ses filles et expose ses enfans. Les mêmes causes opèrent au Tonquin (a) les mêmes effets; et il ne faut pas, comme les voyageurs arabes dont Renaudot nous a donné la relation, aller chercher l'opinion (b) de la métempsycose pour cela.

Les mêmes raisons font que, dans l'île Formose (c), la religion ne permet pas aux femmes de mettre des enfans au monde qu'elles n'aient trente-cinq ans : avant cet âge la prêtresse leur foule le ventre et les fait avorter.

(a) Voyages de Dampierre, tome III, p. 41. (b) Page 167.

(c) Voyez le recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 18 et 188.

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