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Dans ces temps-là, on appelait alliés les peuples de l'Italie proprement dite, qui s'étendait jusqu'à l'Arno et le Rubicon, et qui n'était point gouvernée en provinces romaines.

Tacite (a) dit qu'on faisait toujours de nouvelles fraudes aux lois faites pour arrêter les usures. Quand on ne put plus prêter ni emprunter sous le nom d'un allié, il fut aisé de faire paraître un homme des provinces qui prêtait son nom. Il fallait une nouvelle loi contre ces abus; et Gabinius (b), faisant la loi fameuse qui avait pour objet d'arrêter la corruption dans les suffrages, dut naturellement penser que le meilleur moyen pour y parvenir était de décourager les emprunts: ces deux choses étaient naturellement liées; car les usures augmentaient (c) toujours au temps des élections, parce qu'on avait besoin d'argent pour gagner des voix. On voit bien que loi Gabinienne avait étendu le sénatus-consulte Sempronien aux provinciaux, puisque les Salaminiens ne pouvaient emprunter de l'argent à Rome à cause de cette loi. Brutus, sous des noms empruntés, leur en prêta (d) à quatre pour cent par mois (e), et obtint pour cela deux sé

la

(a) Annal., liv. Vl. - (b) L'an 615 de Rome. (c) Voyez les Lettres de Cicéron à Atticus, liv. IV, lett. XV et XVI. - (d) Cicéron à Atticus, liv. VI, lett. I.

(e) Pompée, qui avait prêté au roi Ariobarsane six cents talens, se faisait payer trente-trois talens attiques tous les trente jours. Cicéron à Atticus, liv. III, lett. XXI; liv. VI, lett. I.

natus-consultes, dans le premier desquels il était dit que ce prêt ne serait pas regardé comme une fraude faite à la loi, et que le gouverneur de Cilicie jugerait en conformité des conventions portées par le billet des Salaminiens (a).

Le prêt à intérêt étant interdit par la loi Gabinienne entre les gens des provinces et les citoyens romains, et ceux-ci ayant pour lors tout l'argent de l'univers entre leurs mains, il fallut les tenter par de grosses usures qui fissent disparaître aux yeux de l'avarice le danger de perdre la dette. Et, comme il y avait à Rome des gens puissans qui intimidaient les magistrats et faisaient taire les lois, ils furent plus hardis à prêter et plus hardis à exiger de grosses usures. Cela fit que les provinces furent tour-à-tour ravagées par tous ceux qui avaient du crédit à Rome; et, comme chaque gouverneur faisait son édit en entrant dans sa province (b), dans lequel il mettait à l'usure le taux qu'il lui plaisait, l'avarice prêtait la main à la législation, et la législation à l'avarice.

Il faut que les affaires aillent; et un état est perdu si tout y est dans l'inaction. Il y avait

(a) Ut neque Salaminis, neque qui eis dedisset, fraudi esset. Ibid.

(b) L'édit de Cicéron la fixait à un pour cent par mois, avec l'usure de l'usure au bout de l'an. Quant aux fermiers de la république, il les engageait à donner un délai à leurs débiteurs : si ceux-ci ne payaient pas au temps fixé, il adjugeait l'usure portée par le billet. Cicéron à Atticus liv. VI, lett. I.

des occasions où il fallait que les villes, les corps, les sociétés des villes, les particuliers, empruntassent; et on n'avait que trop besoin d'emprunter ne fût-ce que pour subvenir aux ravages des armées, aux rapines des magistrats, aux concussions des gens d'affaires, et aux mauvais usages qui s'établissaient tous les jours; car on ne fut jamais ni si riche ni si pauvre. Le sénat, qui avait la puissance exécutrice, donnait par nécessité, souvent par faveur, la permission d'emprunter des citoyens romains, et faisait làdessus des sénatus-consultes. Mais ces sénatusconsultes mêmes étaient décrédités par la loi : ces sénatus-consultes (a) pouvaient donner occasion au peuple de demander de nouvelles tables, ce qui, augmentant le danger de la perte du capital, augmentait encore l'usure. Je le dirai toujours, c'est la modération qui gouverne les hommes, et non pas les excès.

Celui-là paie moins, dit Ulpien (b), qui paie plus tard. C'est ce principe qui conduisit les législateurs après la destruction de la république romaine.

(a) Voyez c que

dit Luccéius, lett. XXI à Atticus, liv. V. Il y eut même un sénatus-consulte général pour fixer l'usure à un pour cent par mois. Voyez la même lettre.

(b) Leg. XII. ff. de verbor. signif.

LIVRE VINGT-TROISIÈME.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC

LE NOMBRE DES HABITANS.

CHAPITRE PREMIER.

Des hommes et des animaux, par rapport à la multiplication de leur espèce.

O Vénus! ô mère de l'Amour!

Dès le premier beau jour que ton astre ramène,
Les zéphyrs font sentir leur amoureuse haleine;
La terre orne son sein de brillantes couleurs,
Et l'air est parfumé du doux esprit des fleurs.
On entend les oiseaux, frappés de ta puissance,
Par mille sons lascifs célébrer ta présence:
Pour la belle génisse on voit les fiers taureaux
Ou bondir dans la plaine ou traverser les eaux :
Enfin les habitans des bois et des montagnes,
Des fleuves et des mers, et des vertes campagnes,
Brûlant à ton aspect d'amour et de désir,
S'engagent à peupler par l'attrait du plaisir :
Tant on aime à te suivre, et ce charmant empire
Que donne la beauté sur tout ce qui respire (a)!

Les femelles des animaux ont à peu près une fécondité constante. Mais, dans l'espèce humaine, la manière de penser, le caractère, les passions,

(a) Traduction du commencement de Lucrèce, par le sieur d'Hesnaut.

les fantaisies, les caprices, l'idée de conserver sa beauté, l'embarras de la grossesse, celui d'une famille trop nombreuse, troublent la propagation de mille manières.

CHAPITRE II.

Des mariages.

L'obligation naturelle qu'a le père de nourrir ses enfans a fait établir le mariage, qui déclare celui qui doit remplir cette obligation. Les peuples (a) dont parle Pomponius Mela (b) ne le fixaient que par la ressemblance.

Chez les peuples bien policés, le père est celui que les lois, par la cérémonie du mariage, ont déclaré devoir être tel (c) parce qu'elles trouvent en lui la personne qu'elles cherchent.

Cette obligation, chez les animaux, est telle, que la mère peut ordinairement y suffire. Elle a beaucoup plus d'étendue chez les hommes : leurs enfans ont de la raison; mais elle ne leur vient que par degrés : il ne suffit pas de les nourrir, il faut encore les conduire : déjà ils pourraient vivre, et ils ne peuvent pas se gouverner.

Les conjonctions illicites contribuent peu à la propagation de l'espèce. Le père, qui a l'obliga(a) Les Garamantes. - (b) Liv. I, chap. III.

(c) Pater est quem nuptiæ demonstrant.

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