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s'y perdit. Chaindasuinde (a) et Recessuinde (b) proscrivirent les lois romaines, et ne permirent pas même de les citer dans les tribunaux. Recessuinde fut encore l'auteur de la loi (c) qui ôtait la prohibition des mariages entre les Goths et les Romains. Il est clair que ces deux lois avaient le même esprit : ce roi voulait enlever les principales causes de séparation qui étaient entre les Goths et les Romains. Or on pensait que rien ne les séparait plus que la défense de contracter entre eux des mariages, et la permission de vivre sous des lois diverses.

Mais, quoique les rois des Visigoths eussent. proscrit le droit romain, il subsista toujours dans les domaines qu'ils possédaient dans la Gaule méridionale. Ces pays éloignés du centre de la monarchie vivaient dans une grande indépendance (d). On voit par l'histoire de Vamba, qui monta sur le trône en 672, que les naturels du pays avaient pris le (e) dessus; ainsi la loi ro

(a) Il commença à régner en 642.

(b) Nous ne voulons plus être tourmentés par les lois étrangères ni par les romaines. Loi des Visigoths, liv. 11, tit. I, $ 9 et 10.

(c) Ut tam Gotho Romanam quam Romano Gotham, matrimonio liceat sociari. Loi des Visigoths, liv. III, tit. I, ch. 1.

(d) Voyez dans Cassiodore les condescendances que Théodorie, roi des Ostrogoths, prince le plus accrédité de son temps, eut pour elles, liv. IV, lett. XIX et XXVI.

(e) La révolte de ces provinces fut une défection générale, comme il paraît par le jugement qui est à la suite de l'histoire. Paulus et ses adhérens étaient Romains; ils furent même favo

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maine y avait plus d'autorité, et la loi gothe y en avait moins. Les lois espagnoles ne convenaient ni à leurs manières ni à leur situation actuelle peut-être même que le peuple s'obstina à la loi romaine parce qu'il y attacha l'idée de sa liberté. Il y a plus les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde contenaient des dispositions effroyables contre les Juifs; mais ces Juifs étaient puissans dans la Gaule méridionale. L'auteur de l'histoire du roi Vamba appelle ces provinces le prostibule des Juifs. Lorsque les Sarrasins vinrent dans ces provinces, ils y avaient été appelés; or, qui put les y avoir appelés, que les Juifs ou les Romains? Les Goths furent les premiers opprimés, parce qu'ils étaient la nation dominante. On voit dans Procope (a) que, dans leurs calamités, ils se retiraient de la Gaule narbonnaise en Espagne. Sans doute que, dans ce malheur-ci, ils se réfugièrent dans les contrées de l'Espagne qui se défendaient encore; et le nombre de ceux qui dans la Gaule méridionale vivaient sous la loi des Visigoths en fut beaucoup diminué.

risés par les évêques. Vamba n'osa pas faire mourir les séditieux qu'il avait vaincus. L'auteur de l'histoire appelle la Gaule narbonnaise la nourrice de la perfidie.

(a) Gothi qui cladi superfuerant, ex Gallia cum uxoribus liberisque egressi, in Hispaniam ad Teudim jam palam tyrannum se receperunt. DE BELLO GOTHORUM, liv. I, chap. xiu.

CHAPITRE VIII.

Faux capitulaires.

Ce malheureux compilateur Benoît Lévite n'alla-t-il pas transformer cette loi visigothe, qui défendait l'usage du droit romain, en un capitulaire (a) qu'on attribua depuis à Charlemagne ! Il fit de cette loi particulière une loi générale, comme s'il avait voulu exterminer le droit romain partout l'univers.

CHAPITRE IX.

Comment les codes des lois des Barbares et les capitulaires se perdirent.

Les lois saliques, ripuaires, bourguignones, et visigothes, cessèrent peu à peu d'être en usage chez les Français; voici comment.

Les fiefs étant devenus héréditaires et les arrières fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages auxquels ces lois n'étaient plus applicables. On en retint bien l'esprit, qui était de régler la plupart des affaires par des amendes;

(a) Capitul., édit. de Baluze, liv. VI, chap. CCCXLIII page 981, tome I.

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mais les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi; et l'on voit beaucoup de (a) chartres où les seigneurs fixaient les amendes qui devaient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l'on suivit l'esprit de la loi sans suivre la loi même.

D'ailleurs la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnaissaient plutôt une dépendance féodale qu'une dépendance politique, il était bien difficile qu'une seule loi put être autorisée; en effet on n'aurait pas pu la faire observer. L'usage n'était guère plus qu'on envoyât des officiers (b) extraordinaires dans les provinces, qui eussent l'oeil sur l'administration de la justice et sur les affaires politiques; il paraît même par les chartres que, lorsque de nouveaux fiefs s'établissaient, les rois se privaient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à peu près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés ; il n'y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvait faire observer la loi commune.

Les lois saliques, bourguignones et visigothes, furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race; et, au commencement de la troisième, on n'en entendit presque plus parler.

Sous les deux premières races on assembla

(a) M. de la Thaumassière en a recueilli plusieurs. Voyez par exemple les chap. LXI, LXVI, et autres.

(b) Missi dominici.

souvent la nation, c'est-à-dire les seigneurs et les évêques; il n'était point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui était un corps qui se formait pour ainsi dire sous les conquérans, et qui éta-, blissait ses prérogatives: les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses; les lois des fiefs s'établirent, et une grande partie des biens de l'église fut gouvernée par les lois des fiefs; les ecclésiastiques se séparèrent davantage, et négligèrent (a) des lois de réforme où ils n'avaient pas été les seuls réformateurs; on recueillit (b) les canons des conciles et les décrétales des papes; et le clergé reçut ces lois comme venant d'une source plus pure. Depuis l'érection des grands fiefs, les rois n'eurent plus, comme j'ai dit, des envoyés dans les provinces pour faire observer

(a) « Que les évêques, dit Charles-le-Chauve, dans le capitulaire de l'an 844, art. 8, sous prétexte qu'ils ont l'autorité de faire des canons, ne s'opposent pas à cette constitution ni ne la négligent. » Il semble qu'il en voyait déjà la chute.

(b) On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de de décrétales des papes; il y en avait très-peu dans l'ancienne collection. Denys-le-Petit en mit beaucoup dans la sienne; mais celle d'Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L'ancienne collection fut un usage en France jusqu'à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien I la collection de Denys-le-Petit, et la fit recevoir. La collection d'Isidore Mercator parut en France vers le règne de Charlemagne; on s'en entêta: ensuite vint ce qu'on appelle le CORPS

DU DROIT CANONIQUE.

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