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fut pas plus favorable aux Bourguignons qu'aux Romains. Il paraît, par le prologue de cette loi, qu'elle fut faite pour les Bourguignons, et qu'elle fut faite encore pour régler les affaires qui pourraient naître entre les Romains et les Bourguignons; et, dans ce dernier cas, le tribunal fut mi-parti : cela était nécessaire pour des raisons particulières tirées de l'arrangement (a) politique de ces temps-là. Le droit romain subsista dans la Bourgogne pour régler les différens que les Romains pourraient avoir entre eux. Ceux-ci n'eurent point de raison pour quitter leur loi, comme ils en eurent dans le pays des Francs; d'autant mieux que la loi salique n'était point établie en Bourgogne, comme il paraît par la fameuse lettre qu'Agobard écrivit à Louis-leDébonnaire.

Agobard (b) demandait à ce prince d'établir la loi salique dans la Bourgogne : elle n'y était donc pas établie. Ainsi le droit romain subsista et subsiste encore dans tant de provinces qui dépendaient autrefois de ce royaume.

Le droit romain et la loi gothe se maintinrent de même dans le pays de l'établissement des Goths; la loi salique n'y fut jamais reçue. Quand Pepin et Charles-Martel en chassèrent les Sarrasins, les villes et les provinces qui se soumi

(a) J'en parlerai ailleurs, liv. XXX, chap. vi, vi, vur

et ix.

(b) Agob. opera.

rent à ce prince (a) demandèrent à conserver leurs lois, et l'obtinrent; ce qui, malgré l'usage de ces temps-là, où toutes les lois étaient personnelles, fit bientôt regarder le droit romain comme une loi réelle et territoriale dans ces pays.

Cela se prouve par l'édit de Charles-le-Chauve, donné à Pistes l'an 864, qui (b) distingue les pays dans lesquels on jugeait par le droit romain d'avec ceux où l'on n'y jugeait pas.

L'édit de Pistes prouve deux choses: l'une, qu'il y avait des pays où l'on jugeait selon la loi romaine, et qu'il y en avait où l'on ne jugeait point selon cette loi; l'autre, que ces pays où l'on jugeait par la loi romaine étaient précisément (c) ceux où on la suit encore aujourd'hui, comme il paraît par ce même édit. Ainsi, la distinction des pays de la France coutumière et de

(a) Voyez Gervais de Tilburi, dans le recueil de Duchesne, tome III, page 366. FACTA PACTIONE CUM FRANCIS, QUOD ILLIC GOTHI PATRIIS LEGIBUS, MORIBUS PATERNIS, VIVANT. ET SIC NARBONENSIS PROVINCIA PIPPINO SUBJICITUR. Et une chronique de l'an 759, rapportée par Catel, Histoire du Languedoc. Et l'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire, sur la demande faite par les peuples de la Septimanie, dans l'assemblée IN CARISIACO, dans le recueil de Duchesne, tome II, page 316.

(b) In illa terra in qua judicia secundum legem romanam terminantur, secundum ipsam legem judicetur ; et in illa terra in qua, etc., art. 16. Voyez aussi l'art. 20.

(a) Voyez les art 12 et 16 de l'édit de Pistes, IN CAVILLONO', IN NARBONA, etc.

la France régie par le droit écrit était déjà établie du temps de l'édit de Pistes.

J'ai dit que, dans les comencemens de la monarchie, toutes les lois étaient personnelles ; ainsi, quand l'édit de Pistes distingue les pays du droit romain d'avec ceux qui ne l'étaient pas, cela signifie que, dans les pays qui n'étaient point pays de droit romain, tant de gens avaient choisi de vivre sous quelqu'une des lois des peuples barbares, qu'il n'y avait presque plus personne dans ces contrées qui choisît de vivre sous la loi romaine; et que, dans les pays de la loi romaine, il y avait peu de gens qui eussent choisi de vivre sous les lois des peuples barbares.

Je sais bien que je dis ici des choses nouvelles ; mais, si elles sont vraies, elles sont très-anciennes. Qu'importe après tout que ce soient moi, les Valois ou les Bignons, qui les aient dites?

CHAPITRE V.

Continuation du même sujet.

La loi de Gondebaud subsista long-temps chez les Bourguignons concurremment avec la loi romaine; elle y était encore en usage du temps de Louis-le-Débonnaire : la lettre d'Agobard ne laisse aucun doute là-dessus. De même, quoique l'édit de Pistes appelle le pays qui avait été oc

cupé par les Visigoths le pays de la loi romaine, la loi des Visigoths y subsistait toujours; ce qui se prouve par le synode de Troyes, tenu sous Louis-le-Bègue, l'an 878, c'est-à-dire quatorze ans après l'édit de Pistes.

Dans la suite, les lois gothes et bourguignones périrent dans leurs pays mêmes par les causes (a) générales qui firent partout disparaître les lois personnelles des peuples barbares.

CHAPITRE VI.

Comment le droit romain se conserva dans le domaine
des Lombards.

Tout se plie à mes principes. La loi des Lombards était impartiale, et les Romains n'eurent aucun intérêt à quitter la leur pour la prendre. Le motif qui engagea les Romains, sous les Francs, à choisir la loi salique n'eut point de lieu en Italie; le droit romain s'y maintint avec la loi des Lombards.

Il arriva même que celle-ci céda au droit romain; elle cessa d'être la loi de la nation dominante; et, quoiqu'elle continuât d'être celle de la principale noblesse, la plupart des villes s'érigèrent en républiques, et cette noblesse tomba

(a) Voyez ci-après les chap. ix, x et xi.

ou fuť (a) exterminée. Les citoyens des nouvelles républiques ne furent point portés à prendre une loi qui établissait l'usage du combat judiciaire, et dont les institutions tenaient beaucoup aux coutumes et aux usages de la chevalerie. Le clergé, dès-lors si puissant en Italie, vivant presque tout sous la loi romaine, le nombre de ceux qui suivaient la loi des Lombards dut toujours diminuer.

D'ailleurs, la loi des Lombards n'avait point cette majesté du droit romain qui rappelait à l'Italie l'idée de sa domination sur toute la terre; elle n'en avait pas l'étendue. La loi des Lombards et la loi romaine ne pouvaient plus servir qu'à suppléer aux statuts des villes qui s'étaient érigées en républiques; or qui pouvait mieux y suppléer, ou la loi des Lombards qui ne statuait que sur quelques cas, ou la loi romaine qui les embrassait tous?

CHAPITRE VII.

Comment le droit romain se perdit en Espagne.

Les choses allèrent autrement en Espagne : la loi des Visigoths triompha, et le droit romain

(a) Voyez ce que dit Machiavel de la destruction de l'ancienne noblesse de Florence.

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