Page images
PDF
EPUB

avaient celle de leur patron. Ce n'est pas tout : chacun pouvait prendre la loi qu'il voulait : la constitution de Lothaire (a) exigea que ce choix fût rendu public

CHAPITRE III.

Différence capitale entre les lois saliques et les lois des Visigoths et des Bourguignons.

J'ai (b) dit que la loi des Bourguignons et celle des Visigoths étaient impartiales; mais la loi salique ne le fut pas : elle établit entre les Francs et les Romains les distinctions les plus affligeantes. Quand (c) on avait tué un Franc, un Barbare, ou un homme qui vivait sous la loi salique, on payait à ses parens une composition de deux cents sous; on n'en payait qu'une de cent lorsqu'on avait tué un Romain possesseur (d), et seulement une de quarante-cinq quand on avait tué un Romain tributaire. La composition pour le meurtre d'un Franc vassal (e) du roi était de six cents sous, et celle du meurtre d'un Romain

(a) Dans la loi des Lombards, liv. II, tit. XXXVII.
(b) Au ch. 1 de ce livre.

(c) Loi salique, tit. XLIV, § 1.

(d) Qui res in pago ubi remanet proprias habet. Loi SALIQUE, tit. XLIV, §. 15. Voyez aussi le §. 7.

(e) Qui in truste dominica est. Ibid. tit. XLIV, S 4.

convive (a) du roi (b) n'était que

de trois cents.

Elle mettait donc une cruelle différence entre le seigneur franc et le seigneur romain, et entre le Franc et le Romain qui étaient d'une condition médiocre.

Ce n'est pas tout si l'on assemblait (c) du monde pour assaillir un Franc dans sa maison, et qu'on le tuât, la loi salique ordonnait une composition de six cents sous; mais si on avait assailli un Romain ou un affranchi (d) on ne payait que la moitié de la composition. Par la même loi (e), si un Romain enchaînait un Franc, il devait trente sous de composition; mais si un Franc enchaînait un Romain, il n'en devait qu'une de quinze. Un Franc dépouillé par un Romain avait soixante-deux sous et demi de composition, et un Romaiu dépouillé par un Franc n'en recevait qu'une de trente. Tout cela devait être accablant pour les Romains.

Cependant un auteur célèbre (f) forme un système de l'établissement des Francs dans les Gaules, sur la présupposition qu'ils étaient les meilleurs amis des Romains. Les Francs étaient donc les meilleurs amis des Romains, eux qui (a) Si Romanus homo conviva regis fuerit. Ibid. 1 6. (b) Les principaux Romains s'attachaient à la cour, on le voit par la vie de plusieurs évêques qui y furent élevés : il n'y avait guère que les Romains qui sussent écrire.

(c) Ibid. tit. XLV.

comme

(d) Lidus, dont la condition était meilleure que celle du serf, Loi des Allemands, ch. xcv.— - (e) Tit. XXXV, § 3 et 4. (f) L'abbé Dubos.

leur firent, eux qui en reçurent (a) des maux effroyables? Les Francs étaient amis des Romains, eux qui, après les avoir assujétis par leurs armes, les opprimèrent de sang-froid par leurs lois? Ils étaient amis des Romains comme les Tartares qui conquirent la Chine étaient amis des Chinois.

Si quelques évêques catholiques ont voulu se servir des Francs pour détruire des rois ariens, s'en suit-il qu'ils aient désiré de vivre sous des peuples barbares? en peut-on conclure que les Francs eussent des égards particuliers pour les Romains? J'en tirerais bien d'autres conséquences : plus les Francs furent sûrs des Romains, moins ils les ménagèrent.

M. l'abbé Dubos a puisé dans de mauvaises sources, pour un historien, les poètes et les orateurs ce n'est point sur des ouvrages d'ostentation qu'il faut fonder des systèmes.

CHAPITRE IV.

Comment le droit romain se perdit dans le pays du domaine des Francs, et se conserva dans le pays du domaine des Goths et des Bourguignons.

Les choses que j'ai dites donneront du jour à d'autres qui ont été jusqu'ici pleines d'obscurité.

(a) Témoin l'expédition d'Arbogaste, dans Grégoire de Tours, Hist. liv. II.

Le pays qu'on appelle aujourd'hui la France fut gouverné, dans la première race, par la loi romaine ou le code théodosien, et par les diverses lois des Barbares (a) qui y habitaient.

Dans le pays du domaine des Francs, la loi salique était établie pour les Francs, et le code (b) théodosien pour les Romains. Dans celui du domaine des Visigoths, une compilation du code théodosien, faite par l'ordre d'Alaric (c), régla les différens des Romains; les coutumes de la nation, qu'Euric (d) fit rédiger par écrit, décidèrent ceux des Visigoths. Mais pourquoi les lois saliques acquirent-elles une autorité presque générale dans les pays des Francs? et pourquoi le droit romain s'y perdit-il peu à peu, pendant que dans le domaine des Visigoths le droit romain s'étendit et eut une autorité générale?

Je dis que le droit romain perdit son usage chez les Francs à cause des grands avantages qu'il y avait à être Franc (e), barbare, ou homme vivant sous la loi salique; tout le monde fut porté à quitter le droit romain pour vivre sous la loi salique : il fut seulement retenu par les ecclésiasti

(a Les Francs, les Visigoths et les Bourguignons.

(b) Il fut fini l'an 438.

(c) La vingtième année du règne de ce prince, et publiée deux ans après par Annien, comme il paraît par la préface de ce code.

(d) L'an 504 de l'ère d'Espagne. Chronique d'Isidore.

(e) Francum aut Barbarum, aut hominem qui salica lege vivit. Loi salique, tit. CCCCXLV. §. I.

ques (a), parce qu'ils n'eurent point d'intérêt à changer. Les différences de conditions et de rangs ne consistaient que dans la grandeur des compositions, comme je le ferai voir ailleurs. Or des lois (b) particulières leur donnèrent des compositions aussi favorables que celles qu'avaient les Francs ils gardèrent donc le droit romain. Ils n'en recevaient aucun préjudice; et il leur convenait d'ailleurs, parce qu'il était l'ouvrage des empereurs chrétiens.

:

D'un autre côté, dans le patrimoine des Visigoths, la loi visigothe (c) ne donnant aucun avantage civil aux Visigoths sur les Romains, les Romains n'eurent aucune raison de cesser de vivre sous leur loi pour vivre sous une autre : ils gardèrent donc leurs lois, et ne prirent point celles des Visigoths.

Ceci se confirme à mesure qu'on va plus avant. La loi de Gondebaud fut très-impartiale, et ne

(a) « Selon la loi romaine sous laquelle l'église vit, » est-il dit dans la loi des ripuaires, dit LVIII, § 1, Voyez aussi les autorités sans nombre là-dessus, rapportées par M. Ducange au mot LEX ROMANA.

(b) Voyez les capitulaires ajoutés à la loi salique dans Lindembroch, à la fin de cette loi, et les divers codes des lois des Barbares sur les priviléges des ecclésiastiques à cet égard. Voyez aussi la lettre de Charlemagne à Pépiu, son fils, roi d'Italie, de l'an 807, dans l'édit de Baluze, tome I, page 452, où il est dit qu'un ecclésiastique doit recevoir une composition triple; et le recueil des Capitulaires, liv. V, art. 30 2, tome I, édit. de Baluze. (c) Voyez cette loi.

[ocr errors]
« PreviousContinue »