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devant leur maître, qui devient par là leur juge

ou leur complice.

CHAPITRE XXII.

Malheureux sort de l'inca Athualpa.

Les principes que nous venons d'établir furent cruellement violés par les Espagnols. L'inca (a) Athualpa ne pouvait être jugé que par le droit des gens ils le jugèrent par des lois politiques et civiles; ils l'accusèrent d'avoir fait mourir quelques-uns de ses sujets, d'avoir eu plusieurs. femmes, etc. Et le comble de la stupidité fut qu'ils ne le condamnèrent pas par les lois politiques et civiles de son pays, mais par les lois politiques et civiles du leur.

CHAPITRE XXIII.

Que, lorsque, par quelque circonstance, la loi politique détruit l'état, il faut décider par la loi politique qui le conserve, qui devient quelquefois un droit des gens.

Quand la loi politique qui a établi dans l'état un certain ordre de succession devient destructrice du corps politique pour lequel elle a été (a) Voyez l'inca Garcilasso de la Veda, p. 108.

faite, il ne faut pas douter qu'une autre loi politique ne puisse changer cet ordre; et bien loin que cette même loi soit opposée à la première, sera dans le fond entièrement conforme, puisqu'elles dépendront toutes deux de ce principe : « Le salut du peuple est la suprême loi. »

elle y

pour

que

J'ai dit qu'un grand état (a) devenu accessoire d'un autre s'affaiblissait, et même affaiblissait le principal. On sait l'état a intérêt d'avoir son chef chez lui, que les revenus publics soient bien administrés, que sa monnaie ne sorte point enrichir un autre pays. Il est important que celui qui doit gouverner ne soit point imbu de maximes étrangères; elles conviennent moins que celles qui sont déjà établies, d'ailleurs les hommes tiennent prodigieusement à leurs lois et à leurs coutumes; elles font la félicité de chaque nation; il est rare qu'on les change sans de grandes secousses et une grande effusion de sang, comme les histoires de tous les pays le font voir.

Il suit de là que, si un grand état a pour hé,

ritier le possesseur d'un grand état, le premier peut fort bien l'exclure, parce qu'il est utile à tous les deux états que l'ordre de la succession soit changé. Ainsi la loi de Russie, faite au commencement du règne d'Elisabeth, exclut - elle très-prudemment tout héritier qui posséderait

(a) Voyez ci-dessus, liv. V, ch. xiv; liv. VIII, ch. xvi, xvii, xvin, xix et xx; liv. IX, chap. iv, v, vi et vn; et livre X, cb, ix et x.

une autre monarchie; ainsi la loi du Portugal rejette-t-elle tout étranger qui serait appelé à la le droit du sang.

couronne par

Que si une nation peut exclure, elle a à plus forte raison le droit de faire renoncer. Si elle craint qu'un certain mariage n'ait des suites qui puissent lui faire perdre son indépendance ou la jeter dans un partage, elle pourra fort bien faire renoncer les contractans et ceux qui naîtront d'eux à tous les droits qu'ils auraient sur elle et celui qui renonce, et ceux contre qui on renonce, pourront d'autant moins se plaindre, que l'état aurait pu faire une loi pour les exclure.

;

CHAPITRE XXIV.

Que les réglemens de police sont d'un autre ordre que les autres lois civiles.

Il y a des criminels que le magistrat punit, il y en a d'autres qu'il corrige les premiers sont soumis à la puissance de la loi, les autres à son autorité; ceux-là sont retranchés de la société, on oblige ceux-ci de vivre selon les règles de la société.

Dans l'exercice de la police, c'est plutôt le magistrat qui punit que la loi; dans les jugemens des crimes, c'est plutôt la loi qui punit que le magistrat. Les matières de police sont des choses de

chaque instant, et où il ne s'agit ordinairement que de peu : il ne faut donc guère de formalités. Les actions de la police sont promptes, et elle s'exerce sur des choses qui reviennent tous les jours les grandes punitions n'y sont donc pas propres. Elle s'occupe perpétuellemen de détails : les grands exemples ne sont donc point faits pour elle. Elle a plutôt des réglemens que des lois. Les gens qui relèvent d'elle sont sans cesse sous les yeux du magistrat; c'est donc la faute du magistrat s'ils tombent dans des excès. Ainsi il ne faut pas confondre les grandes violations des lois avec la violation de la simple police : ces choses sont d'un ordre différent.

De là il suit qu'on ne s'est point conformé à la nature des choses dans cette république d'Italie (a) où le port des armes à feu est puni comme un crime capital, et où il n'est pas plus fatal d'en faire un mauvais usage que de les porter.

Il suit encore que l'action tant louée de cet empereur qui fit empaler un boulanger qu'il avait surpris en fraude est une action de sultan, qui ne sait être juste qu'en outrant la justice même. (a) Venise.

CHAPITRE XXV.

Qu'il ne faut pas suivre les dispositions générales du droit civil lorsqu'il s'agit de choses qui doivent être soumises à des règles particulières tirées de leur propre nature.

Est-ce une bonne loi que toutes les obligations civiles passées dans le cours d'un voyage entre les matelots dans un navire soient nulles? François Pyrard nous dit (a) que de son temps elle n'était point observée par les Portugais, mais qu'elle l'était par les Français. Des gens qui ne sont ensemble que pour peu de temps, qui n'ont aucuns besoins, puisque le prince y pourvoit, qui ne peuvent avoir qu'un objet qui est celui de leur voyage, qui ne sont plus dans la société, mais citoyens du navire, ne doivent point contracter ces obligations qui n'ont été introduites que pour soutenir les charges de la société civile.

C'est dans ce même esprit que la loi des Rhodiens, faite pour un temps où l'on suivait toujours les côtes, voulait que ceux qui, pendant la tempête, restaient dans le vaisseau eussent le navire et la charge, et que ceux qui l'avaient quitté n'eussent rien.

(b) Chapitre xiv, part. XH.

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