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long-temps ils ne peuvent agir; les Turs (a) ne manquent pas de les attaquer après leur carême. La religion devrait, en faveur de la défense naturelle, mettre des bornes à ces pratiques.

Le sabbat fut ordonné aux Juifs; mais ce fut une stupidité à cette nation de ne point se défendre (b), lorsque ses ennemis choisirent ce jour pour l'attaquer.

Cambyse, assiégeant Péluze, mit au premier rang un grand nombre d'animaux que les Égyptiens tenaient pour sacrés; les soldats de la garnison n'osèrent tirer. Qui ne voit que la défense naturelle est d'un ordre supérieur à tous les préceptes?

CHAPITRE VIII.

Qu'il ne faut pas régler par les principes du droit qu'on appelle canonique les choses réglées par les principes du droit civil.

Par le droit civil des Romains (c), celui qui enlève d'un lieu sacré une chose privée n'est puni que du crime de vol : par le droit (b) canonique,

(a) Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome IV, part. I, p. 35 et 103.

(b) Comme ils firent lorsque Pompée assiégea le temple. Voyez Dion, liv. XXXVII.

(c) Leg. V, ff. AD LEG. JULIAM PECULATUS.

(d) Cap. QUISQUIS XVII, quæstione 4; Cujas, Observat. liv. XIII, ch. xix, tome III,

il est puni du crime de sacrilége. Le droit canonique fait attention au lieu; le droit civil à la chose. Mais n'avoir attention qu'au lieu, c'est ne réfléchir ni sur la nature et la définition du vol, ni sur la nature et la définition du sacrilége.

Comme le mari peut demander la séparation à cause de l'infidélité de sa femme, la femme la demandait autrefois à cause de l'infidélité du mari (a). Cet usage, contraire à la disposition des lois (b) romaines, s'était introduit dans les cours d'église (c), où l'on ne voyait que les maximes du droit canonique ; et effectivement, à ne regarder le mariage que dans des idées purement spirituelles et dans le rapport aux choses de l'autre vie, la violation est la même. Mais les lois politiques et civiles de tous les peuples ont avec raison distingué ces deux choses. Elles ont demandé des femmes un degré de retenue et de continence qu'elles n'exigent point des hommes, parce que la violation de la pudeur suppose dans les femmes un renoncement à toutes les vertus; parce que la femme, en violant les lois du mariage, sort de l'état de sa dépendance naturelle; parce que la nature a marqué l'infidélité des femmes par des signes certains, outre que les enfans adul

térins de la femme sont nécessairement au mari

(a) Beaumanoir, ancienne Coutume de Beauvoisis, ch. xvin. (b) Leg. I, Cod. ad leg. Jul. de adult.

(c) Aujourd'hui, en France, elles ne connaissent point de ces

choses.

et à la charge du mari, au lieu que les enfans adultérins du mari ne sont pas à la femme ni à la charge de la femme.

CHAPITRE IX.

Que les choses qui doivent être réglées par les principes du droit civil peuvent rarement l'être par les principes des lois de la religion.

Les lois religieuses ont plus de sublimité; les lois civiles ont plus d'étendue.

Les lois de perfection, tirées de la religion, ont plus pour objet la bonté de l'homme qui les observe que celle de la société dans laquelle elles

sont observées; les lois civiles au contraire ont plus pour objet la bonté morale des hommes en général que celle des individus.

Ainsi, quelques respectables que soient les idées qui naissent immédiatement de la religion, elles ne doivent pas toujours servir de principes aux lois civiles, parce que celles-ci en ont un autre, qui est le bien général de la société.

Les Romains firent des réglemens pour conserver dans la république les mœurs des femmes: c'étaient des institutions politiques. Lorsque la monarchie s'établit, ils firent là-dessus des lois civiles, et ils les firent sur les principes du gouvernement civil. Lorsque la religion chré

tienne eut pris naissance, les lois nouvelles que l'ont fit eurent moins de rapport à la bonté générale des mœurs qu'à la sainteté du mariage; on considéra moins l'union des deux sexes dans l'état civil que dans un état spirituel.

D'abord, par la loi (a) romaine, un mari qui ramenait sa femme dans sa maison après la condamnation d'adultère, fut puni comme complice de ses débauches. Justinien (b), dans un autre esprit, ordonna qu'il pourrait pendant deux ans l'aller reprendre dans le monastère.

Lorsqu'une femme qui avait son mari à la guerre n'entendait plus parler de lui, elle pouvait, dans les premiers temps, aisément se remarier, parce qu'elle avait entre ses mains le pouvoir de faire divorce. La loi de Constantin (c) voulut qu'elle attendît quatre ans, après quoi elle pouvait envoyer le libelle de divorce au chef; et si son mari revenait; il ne pouvait plus l'accuser d'adultère. Mais Justinien (d) établit que, quelque temps qui se fût écoulé depuis le départ du mari, elle ne pouvait se remarier, à moins que, par la déposition et le serment du chef, elle ne prouvât la mort de son mari. Justinien avait en vue l'indissolubilité du mariage; mais on peut dire qu'il l'avait trop en vue. Il demandait une

(a) Leg. XI, § ult. ff. AD LEG. JUL. DE ADULT.

(b) Nov. VXXXIV, ch. x.

(c) Leg. NII, Cod. de repudiis et judicio de moribus sublato. (d) Auth. Quantiscumque, Cod. de repud.

ESPRIT DES LOIS. T. IV.

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preuve positive lorsqu'une preuve négative suffisait; il exigeait une chose très-difficile, de rendre compte de la destinée d'un homme éloigné, et exposé à tant d'accidens; il présumait un crime, c'est-à-dire la désertion du mari, lorsqu'il était si naturel de présumer sa mort. Il choquait le bien public en laissant une femme sans mariage; il choquait l'intérêt particulier en l'exposant à mille dangers.

La loi de Justinien (a), qui mit parmi les causes de divorce le consentement du mari et de la femme d'entrer dans le monastère, s'éloignaft entièrement des principes des lois civiles. Il est naturel que des causes de divorce tirent leur origine de certains empêchemens qu'on ne devait pas prévoir avant le mariage; mais ce désir de garder la chasteté pouvait être prévu, puisqu'il 'est en nous. Cette loi favorise l'inconstance dans un état qui, de sa nature, est perpétuel; elle choque le principe fondamental du divorce, qui ne souffre la dissolution d'un mariage que dans l'espérance d'un autre; enfin, à suivre même les idées religieuses, elle ne fait que donner des victimes à Dieu sans sacrifice.

(a) Auth. Quod hodie, Cod. de repud.

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