Page images
PDF
EPUB

Il y a donc différens ordres de lois ; et la sublimité de la raison humaine consiste à savoir bien anquel de ces ordres se rapportent principalement les choses sur lesquelles on doit statuer, et à ne point mettre de confusion dans les principes qui doivent gouverner les hommes.

CHAPITRE II.

Des lois divines et des lois humaines.

On ne doit point statuer par les lois divines ce qui doit l'être par les lois humaines, ni régler par les lois humaines ce qui doit l'être par les lois divines.

Ces deux sortes de lois diffèrent par leur origine, par leur objet, et par leur nature.

Tout le monde convient bien que les lois humaines sont d'une autre nature que les lois de la religion, et c'est un grand principe; mais ce principe lui-même est soumis à d'autres qu'il faut chercher.

1o. La nature des lois humaines est d'être soumise à tous les accidens qui arrivent, et de varier à mesure que les volontés des hommes changent; au contraire, la nature des lois de la religion est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien, la religion sur le meilleur. Le bien peut avoir un autre objet, parce qu'il y a

plusieurs biens; mais le meilleur n'est qu'un; il ne peut donc pas changer. On peut bien changer les lois, parce qu'elles ne sont censées qu'être bonnes; mais les institutions de la religion sont toujours supposées être les meilleures.

2o. Il y a des états où les lois ne sont rien, ou ne sont qu'une volonté capricieuse et transitoire du souverain. Si dans ces états les lois de la religion étaient de la nature des lois humaines, les lois de la religion ne seraient rien non plus ; il est pourtant nécessaire à la société qu'il y ait quelque chose de fixe; et c'est cette religion qui est quelque chose de fixe.

3o. La force principale de la religion vient de ce qu'on la croit ; la force des lois humaines vient de ce qu'on les craint. L'antiquité convient à la religion, parce que souvent nous croyons plus les choses à mesure qu'elles sont plus reculées; car nous n'avons dans la tête des idées accessoires tirées de ces temps-là qui puissent les contredire. Les lois humaines, au contraire, tirent avantage de leur nouveauté, qui annonce une attention particulière et actuelle du législateur pour les faire observer.

pas

CHAPITRE III.

Des lois civiles qui sont contraires à la loi naturelle.

Si un esclave, dit Platon (a), se défend et tue un homme libre, il doit être traité comme un parricide. Voilà une loi civile qui punit la défense 'naturelle.

La loi qui, sous Henri VIII, condamnait un homme sans que les témoins lui eussent été confrontés, était contraire à la défense naturelle. En effet, pour qu'on puisse condamner, il faut bien que les témoins sachent que l'homme contre qui ils déposent est celui que l'on accuse, et que celui-ci puisse dire: Ce n'est pas moi dont vous parlez.

La loi passée sous le même règne, qui condamnait toute fille qui, ayant eu un mauvais commerce avec quelqu'un, ne le déclarait point au roi avant de l'épouser, violait la défense de la pudeur naturelle. Il est aussi déraisonnable d'exiger d'une fille qu'elle fasse cette déclaration, que de demander d'un homme qu'il ne cherche pas à défendre sa vie.

La loi de Henri II, qui condamne à mort une fille dont l'enfant a péri, en cas qu'elle n'ait point déclaré au magistrat sa grossesse, n'est pas moins contraire à la défense naturelle. Il suffisait de l'o(a) Liv. IX des Lois.

bliger d'en instruire une de ses plus proches parentes, qui veillât à la conservation de l'enfant. Quel autre aveu pourrait-elle faire dans ce supplice de la pudeur naturelle! L'éducation a augmenté en elle l'idée de la conservation de cette pudeur; et à peine dans ces momens est-il resté en elle une idée de la perte de la vie.

On a beaucoup parlé d'une loi d'Angleterre (a) qui permettait à une fille de sept ans de se choisir un mari. Cette loi était révoltante de deux manières; elle n'avait aucun égard au temps de la maturité que la nature a donnée à l'esprit, ni au temps de la maturité qu'elle a donnée au corps. Un père pouvait, chez les Romains, obliger sa fille à répudier son mari (b), quoiqu'il eût luimême consenti au mariage. Mais il est contre la nature que le divorce soit mis entre les mains

d'un tiers.

Si le divorce est conforme à la nature, il ne l'est que lorsque les deux parties, ou au moins 'une d'elles, y consentent; et, lorsque ni l'une ni l'autre n'y consentent c'est un monstre que le divorce. Enfin la faculté du divorce ne peut être donnée qu'à ceux qui ont les incommodités du mariage, et qui sentent le moment où ils ont intérêt de les faire cesser.

(a) M. Bayle, dans sa Critique de l'Histoire du Calvinisme, parle de cette loi, page 293.

(b) Voyez la loi V, au Code DE REPUDIIS ET JUDICIO DE MO

RIBUS SUBLATO.

CHAPITRE IV.

Continuation du même sujet.

Gondebaud (a), roi de Bourgogne, voulait que, si la femme ou le fils de celui qui avait volé ne révélaient pas le crime, ils fussent réduits en esclavage. Cette loi était contre la nature. Comment une femme pouvait-elle être accusatrice de son mari? Comment un fils pouvait-il être accusateur de son père? Pour venger une action criminelle, il en ordonnait une plus criminelle

encore.

La loi de (b) Recessuinde permettait aux enfans de la femme adultère, ou à ceux de son mari, de l'accuser, et de mettre à la question les esclaves de la maison. Loi inique, qui, pour conserver les mœurs, renversait la nature, d'où tirent leur origine les mœurs.

Nous voyons avec plaisir sur nos théâtres un jeune héros montrer autant d'horreur pour découvrir le crime de sa belle-mère qu'il en avait eu pour le crime même ; il ose à peine, dans sa surprise, accusé, jugé, condamné, proscrit et couvert d'infamie, faire quelques réflexions sur le abominable dont Phèdre est sortie; il aban

sang

(a) Loi des Bourguignons, tit. XLI.

(b) Dans le Code des Wisigoths, liv. III, tit. IV, § 13.

« PreviousContinue »