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vous voulez la faire recevoir par des supplices.

« Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre Christ est le fils de Dieu, nous espérons qu'il nous récompensera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères; et nous croyons que le Dieu que nous servons, vous et nous, ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donnée, parce que nous croyons qu'il nous l'a encore donnée.

« Vous vivez dans un siècle où la lumière naturelle est plus vive qu'elle n'a jamais été, où la philosophie à éclairé les esprits, où la morale de votre évangile a été plus connue, où les droits respectifs des hommes les uns sur les autres, l'empire qu'une conscience a sur une autre conscience, sont mieux établis. Si donc vous ne revenez pas de vos anciens préjugés, qui, si vous n'y prenez garde, sont vos passions, il faut avouer que vous êtes incorrigibles, incapables de toute lumière et de toute instruction; et une nation est bien malheureuse qui donne de l'autorité à des hommes tels que vous.

« Voulez-vous que nous vous disions naïvement notre pensée? Vous nous regardez plutôt comme vos ennemis que comme les ennemis de votre religion, car si vous aimiez votre religion, vous ne la laisseriez pas corrompre par une ignorance grossière.

<« Il faut que nous vous avertissions d'une chose; c'est que si quelqu'un, dans la postérité, ose jamais dire que dans le siècle où nous vivons les peuples d'Europe étaient policés, on vous citera pour prouver qu'ils étaient barbares; et l'idée que l'on aura de vous sera telle, qu'elle flétrira votre siècle, et portera la haine sur tous vos contemporains.

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CHAPITRE XIV.

Pourquoi la religion chrétienne est si odieuse au Japon.

J'ai parlé (a) du caractère atroce des âmes japonaises. Les magistrats regardèrent la fermeté qu'inspire le christianisme, lorsqu'il s'agit de renoncer à la foi, comme très-dangéreuse : on crut voir augmenter l'audace. La loi du Japon punit sévèrement la moindre désobéissance. On ordonna de renoncer à la religion chrétienne : n'y pas renoncer, c'était désobéir on châtia ce crime, et la continuation de la désobéissance parut mériter un autre châtiment.

Les punitions chez les Japonais sont regardées comme la vengeance d'une insulte faite au prince. Les chants d'allégresse de nos martyrs parurent être un attentat contre lui; le titre de martyr intimida les magistrats; dans leur esprit, il signi(a) Liv. VI, chap. xxiv.

fiait rebelle; ils firent tout pour empêcher qu'on ne l'obtint. Ce fut alors que les âmes s'effarouchérent, et que l'on vit un combat horrible entre les tribunaux qui condamnèrent et les accusés qui souffrirent, entre les lois civiles et celles de la religion.

CHAPITRE XV.

De la propagation de la religion.

Tous les peuples d'Orient, excepté les mahométans, croient toutes les religions en ellesmêmes indifférentes. Ce n'est que comme changement dans le gouvernement qu'ils craignent l'établissement d'une autre religion. Chez les Japonais, où il y a plusieurs sectes et où l'état a eu si long-temps un chef ecclésiastique, on ne dispute jamais sur la religion (a). Il en est de même chez les Siamois (b). Les Calmouks (c) font plus; ils se font une affaire de conscience de souffrir toutes sortes de religions. A Calicuth, c'est une maxime d'état, que toute religion est bonne (d).

Mais il n'en résulte pas qu'une religion apportée d'un pays très-éloigné, et totalement différent

(a) Voyez Kempfer.

(b) Mémoires du comte de Forbin.

(c) Histoire des Tattars, part. V.

(d) Voyage de François Pyrard, chap. xxvi.

de climat, de lois, de moeurs et de manières, ait tout le succès que sa sainteté devrait lui promettre; cela est surtout vrai dans les grands empires despotiques; on tolère d'abord les étrangers, parce qu'on ne fait point d'attention à ce qui ne paraît pas blesser la puissance du prince; on y est dans une ignorance extrême de tout. Un Enropéen peut se rendre agréable par de certaines connaissances qu'il procure; cela est bon pour les commencemens. Mais, sitôt que l'on a quelque succès, que quelque dispute s'élève, que les gens qui peuvent avoir quelque intérêt sont avertis ; comme cet état par sa nature demande surtout la tranquillité, et que le moindre trouble peut le renverser, on proscrit d'abord la religion nouvelle et ceux qui l'annoncent; les disputes entre ceux qui prêchent venant à éclater, on commence à se dégoûter d'une religion dont ceux qui la proposent ne conviennent pas.

LIVRE VINGT-SIXIÈME.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES DOIVENT AVOIR AVEC L'ORDRE DES CHOSES SUR LESQUELLES ELLES STA

TUENT.

CHAPITRE PREMIER.

Idée de ce livre.

Les hommes sont gouvernés par

diverses sor

tes de lois; par le droit naturel; par le droit divin, qui est celui de la religion; par le droit ecclésiastique, autrement appelé canonique, qui est celui de la police de la religion; par le droit des gens, qu'on peut considérer comme le droit civil de l'univers, dans le sens que chaque peuple en est un citoyen; par le droit politique général, qui a pour objet cette sagesse humaine qui a fondé toutes les sociétés; par le droit politique particulier, qui concerne chaque société; par le droit de conquête, fondé sur ce qu'un peuple a voulu, a pu, on a dû faire violence à un autre; par le droit civil de chaque société, par lequel un citoyen peu défendre ses biens et sa vie contre tout autre citoyen; enfin par le droit domestique, qui vient de ce qu'une société est divisée en diverses familles. qui ont besoin d'un gouvernement particulier.

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