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mières imputations et a ajouté que ceux qui l'avaient ouvert avaient bien vu combien la dernière était fausse. Tous ces bruits étaient des inventions de ses ennemis qui, dit-elle, l'ont persécuté tant qu'il a vécu. Mais on verra dans l'édition qui va paraitre toutes les persécutions qu'il a essuyées! On y verra ses ennemis démasqués et ils le méritent bien!

Peu de temps avant de venir à Ermenonville, ils avaient résolu de se retirer à 100 lieues de Paris. Une maladie fort longue qu'elle eut les empêcha d'effectuer ce projet. Etant un jour seule, elle vit entrer chez elle M. de Girardin qui venait lui offrir une demeure chez lui. Coinme il accompagna cette offre de beaucoup d'instances, elle lui promit d'en parler à Rousseau à qui elle dit en effet la proposition qu'on l'avait chargée de lui faire. « Ma chère amie, lui dit-il, j'ai éprouvé tant de désagréments chez les grands, chez qui j'ai demeuré, que je ne me sens pas disposé à risquer d'en éprouver de nouveaux. » Elle lui représenta que M. de Girardin était un honnête homme qu'elle croyait incapable de le tromper. « Je consens à y aller, dit-il, puisque cela vous fait plaisir, et si ce que je crains arrive, je ne m'en plaindrai pas. Je ne veux pas vous chagriner et je renfermerai ma peine en moi-même. »> Elle le pria de ne pas faire cela par complaisance pour elle et l'engagea à ne suivre en cela que son sentiment. « C'en est fait, dit-il, n'en parlons plus. » Il y alla le lendemain, fit ses arrangements avec M. de Girardin. Il ne voulut pas demeurer au château et il prit un pavillon à côté, où il ne voulut pas permettre que M. de Girardin fit la moindre dépense. M. de Girardin envoya son suisse et deux domestiques pour aider Me Rousseau à faire son déménagement, et, n'ayant pu arriver que le lendemain du jour qu'on l'attendait, son mari fut fort inquiet et était prêt à partir pour Paris lorsqu'elle arriva. Dès qu'il la vit, il courut à elle et se jeta à son col avec toute la tendresse possible et la présenta ensuite à M. et Mme de Girardin présents à cette entrevue, à laquelle il n'a survécu que six mois. Il se promenait tous les jours dans le parc en herborisant. Il montrait la botanique au second fils. de M. de Girardin, nommé Aimable; il aimait cet enfant qui paraît âgé d'une douzaine d'années et ce jeune homme lui témoignait la plus tendre vénération. Il est un peu mélancolique par tempérament et ne se plait pas, dit Mme Rousseau, dans la compagnie des femmes. Son aîné est plus grand et d'une figure plus intéressante. Lui, son frère, son père et tous les domestiques sont vêtus de même. Leur habillement est d'une toile bleue anglaise, il consiste en une veste, une culotte et des guètres de la même étoffe. Mme de Girardin et ses femmes sont vêtues de la même toile avec un grand tablier et un chapeau noir. Dans la cour est un mât d'une trentaine de pieds de haut sur lequel les enfants grimpent tous les matins pour prendre leur déjeuner. Ils viennent de Paris à Ermenonville à pied et demandent comme une grâce à faire le voyage ainsi. M. de Girardin fait de la musique, dessine, écrit et se promène. Il a trois musiciens avec lui,

et tous les soirs on va faire de la musique dans quelque endroit du parc. Le salon contient un billard, une chambre noire, un clavecin, des pupitres chargés de musique et des tables de travail. Cette vie a l'air singulière mais cependant peut être très heureuse. Toutes les inscriptions en prose et en vers qui sont dans le parc sont de M. de Girardin et quelques-unes sont très jolies.

PASCAL, CONDORCET ET L'« ENCYCLOPÉDIE ›

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Dans son remarquable livre sur Pascal, M. Boutroux écrit : « L'Encyclopédie racontait un accident étrange, qui serait arrivé à Pascal sur le pont de Neuilly, et qui aurait frappé son imagination 1». Ayant eu à étudier à mon tour ce que j'ai cru pouvoir appeler la légende du Pont de Neuilly, j'ai eu la curiosité de rechercher dans l'Encyclopédie le passage auquel M. Boutroux faisait allusion j'ai eu beau feuilleter les gros in-folio de d'Alembert et de Diderot aux mots les plus divers, l'Encyclopédie n'a pas d'article sur Pascal,

:

je n'ai

rien pu trouver sur le mémorable accident. D'autre part, M. E. Delègue, dans une très intéressante Étude sur la dernière conversion de Pascal, étude qui fait partie des Mémoires lus à la Sorbonne en 1868, déclarait que l'accident du Pont de Neuilly « est raconté dans tous ses détails et avec toutes ses conséquences » dans un article de l'Encyclopédie, que «< depuis on n'a guère fait que reproduire ». M. Delègue, consulté par moi, m'a mis très obligeamment sur la voie. L'article en question ne se trouve pas dans l'édition courante de l'Encyclopédie, mais dans l'Encyclopédie méthodique, au tome III de la partie consacrée à la Philosophie ancienne et moderne. Je me suis reporté au volume indiqué, et j'y ai fait quelques menues découvertes, qu'il n'est peut-être pas sans intérêt de résumer ici.

On sait peut-être que l'Encyclopédie, dont on connaît jusqu'à quatre ou cinq réimpressions, - a été, avec l'assentiment de Diderot, rééditée et augmentée par un certain nombre d'écrivains en un certain nombre de volumes in-4° sous ce titre Encyclopédie méthodique, ou par ordre de matières, par une société de gens de lettres, de savans et d'artistes; précédée d'un vocabulaire universel, ornée des portraits de MM. Diderot et d'Alembert, premiers éditeurs de l'Encyclopédie. La publication n'a été terminée qu'au cours du XIXe siècle. Elle comprend une partie intitulée Philosophie ancienne et moderne, par le citoyen Naigeon. Au tome III de cette partie (à Paris, chez H. Agasse, an Ile de la République), de la page 855 à la page 948 figure un très long article sur Pascal ( Article omis dans le troisième volume, et qui doit être placé après l'article Parménidienne [Philosophie] », dit le titre). Or, cet article, c'est tout simplement l'édition des Pensées de Pascal par Condorcet (édition de 1778) 3, précédée de l'Avertissement du nouvel éditeur, à savoir de l'Éloge de Pascal,

3

1. Pascal, par Émile Boutroux, membre de l'Institut, Paris, Hachette, 1900 (Collection des Grands Écrivains français), p. 196.

2. Etude sur la dernière conversion de Pascal, par M. Delègue, membre de la Société dunkerquoise, professeur de philosophie au collège, p. 4-5. M. Delègue se proposait de revenir sur Pascal et l'Accident du Pont de Neuilly; mais la mort l'a empêché de réaliser son projet.

3. L'édition des Pensées, par Condorcet, avait paru pour la première fois en 1776, et elle fut réimprimée en 1778 avec les Dernières Remarques de Voltaire sur Pascal. Voir sur cette édition les intéressantes observations de M. Léon Brunschvieg dans l'Introduction de sa grande édition des Pensées de Blaise Pascal (Collection des Grands Écrivains de la France, Paris, Hachette, 1904), t. I, p. XXI-XXVII.

4. C'est dans cet Éloge que se trouve le passage relatif à l'accident du Pont de Neuilly, et il y a donc lieu de le mettre au compte de Condorcet bien plutôt qu'à celui de l'Encyclopédie. Après avoir raconté l'accident, probablement d'après le Recueil d'Utrecht, Condorcet ajoutait en parlant de Pascal : « Son imagination, qui conservait fortement les impressions qu'elle avait une fois reçues, fut troublée

par Condorcet Naigeon, l'auteur de cet article 1, a supprimé les notes, qui figuraient dans l'édition de 1778, et en a joint quelques-unes, assez rares d'ailleurs, de son cru. Le tout est précédé d'une longue note de Naigeon, qu'il ne sera pas superflu d'analyser brièvement.

Naigeon commence par payer à Condorcet, à son édition et à son Eloge de Pascal un juste tribut de louanges: c'est précisément sur Condorcet qu'il comptait pour écrire l'article Pascal de son Encyclopédie méthodique. Condorcet le lui avait expressément promis, et c'est la mort seule qui a empêché le philosophe de tenir sa promesse. Et Naigeon nous donne de curieux détails sur ce qu'aurait été cet article. Depuis sa première édition des Pensées et depuis son Éloge de Pascal, Condorcet, nous dit-il, avait beaucoup réfléchi à Pascal et à toutes sortes de questions.

<<< Il voulait donc, écrit Naigeon, refondre entièrement un ouvrage où, sans cesse arrêté dans sa marche par différentes considérations, il avait à peine osé laisser entrevoir quelques-uns de ces principes philosophiques que Pascal appelait d'un mot très énergique et très pittoresque, des pensées de derrière la tête... Tous ces motifs réunis l'avaient déterminé à faire réimprimer son Éloge de Pascal, dans lequel, entre plusieurs changements ou additions que des réflexions ultérieures avaient rendus nécessaires, il devait rétablir dans toute leur intégrité, ou, pour parler le langage des théologiens, dans tout leur scandale, les divers passages que les conseils et la prévoyance de ses amis lui avaient fait supprimer. Il me parlait souvent de ce projet que j'approuvais fort, et dont l'exécution m'offrait encore un moyen facile et sûr de perfectionner la partie de l'Encyclopédie dont je m'étais chargé... Il ne se rappelait point sans peine les nombreux sacrifices que le désir si naturel, si impérieux, de ne compromettre ni son repos, ni sa liberté l'avait obligé de faire aux préjugés politiques et religieux du gouvernement sous lequel il vivait; et cette faiblesse que les circonstances critiques où il se trouvait à cette époque expliquent et justifient, il l'exagérait encore à ses yeux par une suite de cette fermeté de caractère et de cette même force d'âme qui depuis l'ont fait courir avec intrépidité à une mort certaine...

Il m'a paru que ces quelques lignes étaient de nature à intéresser les biographes de Condorcet et les historiens des Pensées de Pascal.

VICTOR GIRAUD.

le reste de sa vie par des terreurs involontaires. On dit que souvent il croyait voir un précipice ouvert à côté de lui ».

1. « Cet article a été recueilli et rédigé par le citoyen Naigeon », dit la note à la fin de l'article.

TROIS PIÈCES ATTRIBUÉES A RONSARD,

RESTITUÉES A AMADIS JAMIN

Blanchemain et Marty-Laveaux, les deux derniers éditeurs de Ronsard, lui ont attribué deux Sonnets et un Discours de 330 vers, qui sont d'Amadis Jamin. Blanchemain a mème inséré les deux sonnets au beau milieu des œuvres de Ronsard, sans se douter un instant qu'il n'en était pas l'auteur 1. Son erreur s'explique jusqu'à un certain point. Il les signale comme ayant paru dans l'édition de Ronsard de 1573, dont il affirme avoir possédé un exemplaire 2, et on les trouve en effet dans cette édition, le premier, sans signature, en tête des Mascarades, le second à la fin des Elégies, également. sans signature. Mais il aurait dû s'apercevoir que le second sonnet figure dans la même édition à la fin des Mascarades avec la signature d'Amadis Jamyn, et que sa répétition à la fin des Elégies était une simple faute d'impression 3. — D'autre part, s'il eût connu l'édition précédente, celle de 1571, il y aurait trouvé les deux sonnets en question, tous deux signés Amadis Jamyn, le premier servant de liminaire, le second servant d'épilogue à la section des Mascarades. Enfin A. Jamin les a recueillis en 1575 dans l'édition princeps de ses OEuvres poétiques, et conservés dans les deux autres éditions parues de son vivant en 1577 et 79. Ce sont les nos 11 et 12 du cinquième livre, intitulé Meslanges. Ils sont insérés à la suite d'une ode et d'un sonnet, A Monsieur de

1. Édition des OEuvres de Ronsard, t. IV, au bas de la p. 120, et t. V, en haut de la p. 345.

2. Voir t. VIII de son édition, p. 69.

3. On a de la peine à s'expliquer qu'il n'ait pas tout au moins signalé cette anomalie en note du second sonnet. Qu'il n'eût pas voulu prendre sur lui de trancher la question de paternité, laissant à d'autres ce soin et cette responsabilité, on le comprendrait encore, surtout s'il n'avait pu se procurer pour la vérification les œuvres complètes de Jamin. Mais avait-il le droit d'attribuer à Ronsard un sonnet signé par A. Jamin dans le même volume, et cela sans rien dire? Nous ne le croyons pas. Il est certain au contraire qu'il pouvait sans grand effort et en toute sûreté de conscience retrancher ces quatorze vers de son édition de Ronsard. En effet ce sonnet ne signifiait rien comme épilogue des Elégies en 1573: il parle d'un ouvrage que Ronsard a dédié à Villeroy, et aucun des cinq livres d'Elégies n'était dédié à Villeroy; aucune élégie ne faisait même mention de Villeroy. Au contraire il était tout à fait à sa place à la fin des Mascarades qui étaient dédiées à Villeroy et commençaient par sept sonnets, tous adressés à Villeroy ou écrits en sa faveur ». Enfin Ronsard n'aurait pas, malgré sa renommée, eu le front de dire à Villeroy pour son propre compte :

Tu ne pouvais d'un plus digne sonneur
Prendre tel don.

Il le laissait dire à son secrétaire, c'était assez; d'aucuns penseraient même que c'était de trop. La présence de ce sonnet sans signature à la fin des Elégies devait donc apparaître à Blanchemain comme une erreur certaine des imprimeurs, et il est regrettable qu'il ne l'ait pas réparée puisqu'il en avait le moyen. MartyLaveaux, qui à son tour a mis ce sonnet parmi les œuvres de Ronsard (t. VI, p. 397), est beaucoup plus excusable, parce que n'ayant pu se procurer ni l'édition de 4571, ni celle de 73, il dut s'en rapporter a Blanchemain (voir, p. 396, la parenthèse qu'il a placée au-dessous du titre Sonnets divers).

4. A Paris, chez Rob. Estienne et Mamert Patisson.

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