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perdu la vue. « Démodocus, dit le poëte de Chio, en se peignant sous les traits du chantre des Phéaciens, était le favori de la muse; mais elle avait mêlé pour lui le bien et le mal, et l'avait rendu aveugle en lui donnant la douceur des chants.

κακόν τε.

Τὸν περὶ μοῦσ ̓ ἐφίλησε, δίδου δ' ἀγαθόν τε,
Ὀφοαλμῶν μέν ἄμερσε, δίδου δ' ήδεῖαν &οιδήν.

L'oiseau semble le véritable emblème du chrétien ici-bas; il préfère comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.

Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux, qui, ce nous semble, n'ont point encore été éclairées, et qui mériteraient bien de l'être. Le divers langage des hôtes du désert nous paraît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent et sur l'heure du jour à laquelle ils se montrent. Le rugissement du lion, fort, sec, âpre, est en harmonie avec les sables embrasés où il se fait entendre; tandis que le mugissement de nos bœufs charme les échos champêtres de nos vallées; la chèvre a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix, comme les rochers et les ruines où elle aime à se suspendre; le cheval belliqueux imite les sons grêles du clairon, et, comme s'il sentait qu'il n'est point fait pour les soins rustiques, il se tait sous l'aiguillon du laboureur et hennit sous le frein du guerrier. La nuit, tour à tour charmante ou sinistre, a le rossignol ou le hibou, l'un chante pour le zéphir, les bocages, la lune; l'autre, pour les vents, les vieilles forêts, les ténèbres et les morts. Enfin presque tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier qui ressemble à celui de leurs victimes: l'épervier glapit comme le lapin et miaule comme les jeunes chats; le chat lui-même a une espèce de murmure semblable à celui des petits oiseaux de nos jar

dins; le loup bêle, mugit ou aboie; le renard glousse ou crie; le tigre a le mugissement du taureau, et l'ours marin une sorte d'affreux râlement tel que le bruit des récifs battus de vagues où il cherche sa proie. Cette loi est fort étonnante et cache peut-être un secret terrible. Observons que les monstres parmi les hommes suivent la loi des bêtes carnassières plusieurs tyrans ont eu des traces de sensibilité sur le visage et dans la voix, et ils affectaient au dehors le langage des malheureux qu'ils songeaient intérieurement à déchirer: néanmoins la Providence n'a pas voulu qu'on s'y méprît tout à fait, et pour peu qu'on examine de près les hommes féroces, on trouve sous leurs feintes douceurs un air faux et dévorant mille fois plus hideux que leur furie.

CHAPITRE VI.

NIDS DES OISEAUX.

UNE admirable providence se fait remarquer dans les nids des oiseaux. On ne peut contempler sans être attendri cette bonté divine qui donne l'industrie au faible et la prévoyance à l'insouciant.

Aussitôt que les arbres ont développé leurs fleurs, mille ouvriers commencent leurs travaux. Ceux-ci portent de longues pailles dans le trou d'un vieux mur, ceux-là maçonnent des bâtiments aux fenêtres d'une église ; d'autres dérobent un crin à une cavale ou le brin de laine que la brebis a laissé suspendu à la' ronce. Il y a des bûcherons qui croisent des branches dans la cime d'un arbre, il y a des filandières qui recueillent la soie sur un chardon. Mille palais s'élèvent, et chaque palais est un nid; chaque nid voit des métamorphoses charmantes: un oeuf brillant, ensuite un

petit couvert de duvet. Ce nourrisson prend des plumes; sa mère lui apprend à se soulever sur sa couche. Bientôt il va jusqu'à se pencher sur le bord de son berceau, d'où il jette un premier coup d'œil sur la nature. Effrayé et ravi, il se précipite parmi ses frères, qui n'ont point encore vu ce spectacle; mais, rappelé par la voix de ses parents, il sort une seconde fois de sa couche, et ce jeune roi des airs, qui porte encore la couronne de l'enfance autour de sa tête, ose déjà contempler le vaste ciel, la cime ondoyante des pins. et les abîmes de verdure au-dessous du chêne paternel. Et pourtant, tandis que les forêts se réjouissent en recevant leur nouvel hôte, un vieil oiseau qui se sent abandonné de ses ailes, vient s'abattre auprès d'un courant d'eau: là, résigné et solitaire, il attend tranquillement la mort au bord du même fleuve dont les arbres portent encore son nid et sa postérité harmonieuse.

C'est ici le lieu de remarquer une autre loi de la nature. Dans la classe des petits oiseaux, les œufs sont ordinairement peints d'une des couleurs dominantes du mâle. Le bouvreuil niche dans les aubépines, dans les groseillers et dans les buissons de nos jardins ses œufs sont ardoisés comme la chape de son dos. Nous nous rappelons avoir trouvé une fois un de ces nids dans un rosier; il ressemblait à une conque de nacre, contenant quatre perles bleues : une rose pendait au-dessus, tout humide; le bouvreuil mâle se tenait immobile sur un arbuste voisin, comme une fleur de pourpre et d'azur. Ces objets étaient répétés dans l'eau d'un étang avec l'ombrage d'un noyer, qui servait de fond à la scène et derrière lequel on voyait se lever l'aurore. Dieu nous donna dans ce petit tableau une idée des grâces dont il a paré la nature.

Parmi les grands volatiles, la loi de la couleur des œufs varie. Nous soupçonnons qu'en général l'œuf est

blanc chez les oiseaux où le mâle a plusieurs femelles, ou chez ceux dont le plumage n'a point de couleur fixe pour l'espèce. Dans les classes aquatiques et forestières, qui font leurs nids les unes sur les mers, les autres dans la cime des arbres, l'œuf est communément d'un vert bleuâtre, et pour ainsi dire teint des éléments dont il est environné. Certains oiseaux qui se cantonnent au haut des tours et dans les clochers ont des œufs verts comme les lierres, ou rougeâtres comme les maçonneries qu'ils habitent. C'est donc une loi qui peut passer pour constante, que l'oiseau étale sur son œuf le symbole de ses mœurs et de ses destinées. On peut, au seul aspect de ce monument fragile, dire à peu près quel était le peuple auquel il a appartenu, quels étaient son costume, ses habitudes, ses goûts; s'il passait des jours de danger sur les mers; ou si, plus heureux, il menait une vie pastorale; s'il était civilisé ou sauvage, habitant de la campagne ou de la vallée. L'antiquaire des forêts s'appuie sur une science moins équivoque que celle de l'antiquaire des cités un chêne exfolié ou chargé de mousse annonce bien mieux celui qui lui donna la croissance, qu'une colonne en ruine ne dit quel fut l'architecte qui l'éleva. Les tombeaux parmi les hommes, sont les feuillets de leur histoire; la nature, au contraire, n'imprime que sur la vie il ne lui faut ni granit ni marbre pour éterniser ce qu'elle écrit. Le temps a rongé les fastes des rois de Memphis sur leurs pyramides funèbres, et il n'a pu effacer une seule lettre de l'histoire que l'ibis égyptien porte gravée sur la coquille de son œuf.

CHAPITRE VII.

MIGRATION DES OISEAUX.

OISEAUX AQUATIQUES; LEURS MOEURS.

BONTÉ DE LA

PROVIDENCE.

ON connaît ces vers charmants de Racine le fils sur les migrations des oiseaux :

Ceux qui, de nos hivers redoutant le courroux,
Vont se réfugier dans les climats plus doux,
Ne laisseront jamais la saison rigoureuse
Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse.
Dans un sage conseil par les chefs assemblé,
Du départ général le grand jour est réglé;
Il arrive; tout part: le plus jeune peut-être
Demande, en regardant les lieux qui l'ont vu naître,
Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés
Dans les champs paternels se verront rappelés.

Nous avons vu quelques infortunés à qui ce dernier trait faisait venir les larmes aux yeux. Il n'en est pas des exils que la nature prescrit comme des exils commandés par les hommes. L'oiseau n'est banni un moment que pour son bonheur; il part avec ses voisins, avec son père et sa mère, avec ses sœurs et ses frères; il ne laisse rien après lui : il emporte tout son cœur. La solitude lui a préparé le vivre et le couvert; les bois ne sont point armés contre lui; il retourne enfin mourir aux bords qui l'ont vu naître il y retrouve le fleuve, l'arbre, le nid, le soleil paternel. Mais le mortel chassé de ses foyers y rentre-t-il jamais? Hélas! l'homme ne peut dire en naissant quel coin de l'univers gardera ses cendres, ni de quel côté le souffle de l'adversité les portera. Encore si on le

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