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Me font déja goûter les fruits de votre grace;
Ils me font trop sentir que le sang a des droits
Plus forts que les sermens, plus puissans que les lois.
Jouissez désormais de toute ma tendresse:

Aimez toujours ce fils que mon amour vous laisse.

INÈS.

Quel trouble! que deviens-je, et qu'est-ce que je sens?
Des plus vives douleurs quels accès menaçans!
Mon sang s'est tout-à-coup enflammé dans mes veines...
à la gouvernante.)

Éloignez mes enfans; ils irritent mes peines.

(La gouvernante et les enfans d'Inès sortent.)

SCENE VII.

ALPHONSE, INÈS, GARDES.

INÈS.

Je succombe... J'ai peine à retenir mes cris.

(à Alphonse.)

Hélas! seigneur, voilà ce qu'a craint votre fils!

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Ah! je vois trop d'où part cet affreux sacrifice,
Et la perfide main qu'il faut que j'en punisse.
Malheureux! où fuirai-je? et de tant d'attentats...

SCENE VIII.

ALPHONSE, D. PEDRE, INÈS, D. FERNAND,

GARDES.

D. PEDRE, sans voir Inès.

Seigneur, à mes transports ne vous dérobez pas!

ALPHONSE.

Laissez-moi...

D. PEDRE.

Permettez qu'à vos pieds je déploie

Et ma reconnoissance et l'excès de ma joie.
Vous me rendez Inès!

ALPHONSE.

Prince trop malheureux!

Je te la rends en vain, nous la perdons tous deux;
Tu la vois expirante.

D. PEDRE tombant entre les bras de D. Fernand.
Ah! tout mon sang se glace.

INES, à D. Pedre.

J'éprouve en même tems mon supplice et ma grace,
Cher prince: je ne puís me plaindre de mon sort,
Puisqu'un moment du moins dans les bras de la mort
Je me vois votre épouse avec l'aveu d'un pere,
Et que ma mort lui coûte une douleur sincere.

D. PEDRE.

Votre mort!... Que deviens-je!... A ces tristes accens

Quel affreux désespoir a ranimé mes sens! Inès, ma chere Inès pour jamais m'est ravie! (il veut se frapper.)

Ce fer m'est donc rendu pour m'arracher la vie!

ALPHONSE.

Ah! mon fils, arrêtez.

D. PEDRE.

Pourquoi me secourir?

Soyez encor mon pere en me laissant mourir...
(à Inès en se jetant à ses pieds.)

Que j'expire à vos pieds; et qu'unis l'un à l'autre
Mon ame se confonde encore avec la vôtre !

INÈS.

Non, cher prince, vivez: plus fort que vos malheurs,
D'un pere qui vous plaint soulagez les douleurs;
Souffrez encor, souffrez qu'une épouse expirante
Vous demande le prix des vertus de l'infante:
Par ses soins généreux songez que vous vivez...
Puisse-t-elle jouir des jours qu'elle a sauvés!...
Plus heureuse que moi... Consolez votre pere;
Mais n'oubliez jamais combien je vous fus chere.
Aimez nos chers enfans; qu'ils soient dignes... Je meurs:
Qu'on m'emporte.

ALPHONSE.

Comment survivre à nos malheurs!

FIN D'INÈS DE CASTRO.

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EXAMEN

D'INES DE CASTRO.

CETTE TTE piece eut dans la nouveauté autant de succès que nos meilleures tragédies: elle dut les suffrages qu'elle obtint à l'extrême simplicité d'un sujet touchant et dramatique, à la grande rapidité de l'action, et à plusieurs situations pleines d'intérêt. Lorsqu'elle fut imprimée, on critiqua avec raison la foiblesse du style; on reprocha à l'auteur d'avoir négligé les développemens, et de n'avoir, pour ainsi dire, fait qu'esquisser les caracteres de ses principaux personnages. La Mothe, qui avoit trop d'esprit pour ne pas sentir combien il étoit inférieur aux grands maîtres dans l'art de peindre les nuances des passions, avoit eu l'adresse d'y suppléer par une action habilement combinée, et qui marche avec tant de vitesse qu'elle ne laisse pas au spectateur le tems de réfléchir aux développemens qui manquent à la piece.

La fable intéressante de cette piece est tirée d'un épisode charmant de la Lusiade. La Mothe a trouvé les principaux ressorts dans deux tragédies anciennes que l'on ne lit plus. L'idée de donner à Inès une rivale généreuse est tirée d'une tragi-comédie de Rotrou, intitulée, Laure persécutée. Dans cette derniere piece Laure, jeune fille d'un rang obscur, est aimée par

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