Page images
PDF
EPUB

NOTICE

SUR LA NOUE.

JEAN SAUVE DE LA NOUE naquit à Meaux en 1701. Quoique doué d'un esprit très juste, il eut une jeunesse orageuse: la suite de ses erreurs le porta à quitter sa famille pour embrasser l'état de comédien. Il n'avoit pas une figure avantageuse, et il n'annonçoit pas un grand talent pour la déclamation. Ces obstacles, qu'il surmonta depuis par la supériorité de son esprit et par les connoissances qu'il sut acquérir, l'empêcherent alors de débuter à Paris, et semblerent le reléguer dans la foule obscure et peu estimée des comédiens de province : heureusement le goût de l'étude le préserva des travers où son état paroissoit devoir l'entraîner. Il se fit estimer à Lyon, où il débuta avec succès dans les premiers rôles de tragédie. On reconnut en lui des qualités solides, et l'on commença à s'appercevoir qu'il ne se borneroit point à la culture de l'art auquel les

circonstances l'avoient forcé de se consacrer. Des connoissances littéraires et un goût épuré le firent rechercher par les hommes instruits; un ton noble et décent lui ouvrit l'entrée de la meilleure compagnie. Quelque tems après, ses protecteurs lui procurerent le privilege du théâtre de Rouen: il resta dans cette ville pendant cinq ans; et les soins pénibles qu'exige l'administration d'une troupe de comédiens ne l'empêcherent pas de cultiver la poésie dramatique, pour laquelle il annonçoit de grandes dispositions.

Son premier ouvrage fut la tragédie de Mahomet second. Ce sujet avoit déja été traité sans beaucoup de succès par Chateaubrun: La Noue le conçut d'une maniere plus dramatique, et s'attacha sur-tout à conserver le coloris local. Deux rôles très beaux, quelques scenes écrites avec l'éloquence des passions, firent réussir cette piece au-delà des espérances de l'auteur; mais les critiques séveres y remarquerent de l'emphase, du faux-brillant, et des incorrections. Ces défauts, qui se font beaucoup plus appercevoir à la lecture qu'à la représentation, n'empêcherent point Mahomet second de rester au théâtre.

En 1739, époque à laquelle cette tragédie fut représentée, M. de Voltaire avoit obtenu de grands succès dans l'art de Sophocle et d'Euripide, et commençoit à exercer dans la littérature cette influence irrésistible qui ne fit que s'accroître par la suite. La Noue lui envoya sa piece en implorant la protection d'un homme si célebre. Il paroît qu'elle plut à Voltaire, à qui la réputation naissante de l'auteur ne pouvoit inspirer aucun ombrage: « Votre tragédie, lui écrivit -il, << est arrivée à Cirey comme les Koenig, les Ber<< nouilli en partoient : les grandes vérités nous « quittent; mais à leur place les grands sentimens, << et de beaux vers, qui valent bien des vérités, « nous arrivent. Je crois que vous êtes le premier parmi les poëtes qui ayez été à la fois acteur et << auteur tragique; car La Thuilerie, qui donna << Hercule et Soliman sous son nom, n'en étoit « pas l'auteur; et d'ailleurs ces deux pieces sont «< comme si elles n'avoient point été. Votre ou« vrage étincelle de vers de génie et de traits

[ocr errors]

d'imagination: c'est presque un nouveau genre. « Il ne faut sans doute rien de trop hardi dans les « vers d'une tragédie; mais aussi les François

«

<< n'ont-ils pas souvent été un peu trop timides << A la bonne heure qu'un courtisan poli, qu'une << jeune princesse, ne mettent dans leurs discours <«< que de la simplicité et de la grace; mais il me << semble que certains héros étrangers, des Asiatiques, des Américains, des Turcs', peuvent par<«<ler sur un ton plus fier et plus sublime, Major

«

[ocr errors]

«

[ocr errors]

longinquo. J'aime un langage hardi, métaphorique, plein d'images, dans la bouche de Ma<< homet second, comme dans Mahomet le prophete; ces idées superbes sont faites pour leurs « caracteres ; c'est ainsi qu'ils s'exprimoient eux<< mêmes. On prétend que le conquérant de Constantinople, en entrant dans Sainte-Sophie, qu'il venoit de changer en mosquée, récita « deux vers sublimes du Persan Sadi, Le palais impérial est tombé; les oiseaux qui annoncent le carnage ont fait entendre leurs cris sur les << tours de Constantin. On a beau dire que ces «< beautés de diction sont des beautés épiques, <«< ceux qui parlent ainsi ne savent pas que Sophocle et Euripide ont imité le style d'Homere. « Ces morceaux épiques, entre-mêlés avec art

[ocr errors]
[ocr errors]

«

parmi des beautés plus simples, sont comme << des éclairs qu'on voit quelquefois enflammer << l'horizon et se mêler à la lumiere douce et égale << d'une belle soirée. »>

On voit que M. de Voltaire, en prodiguant des complimens, veut excuser ses propres défauts: on lui a justement reproché d'avoir trop répandu les couleurs épiques dans ses tragédies. Sans doute, lorsque le sujet le demande, un poëte tragique doit se servir du style figuré: Racine en a donné d'illustres exemples dans Esther et dans Athalie; mais quand la situation ne l'exige pas, on devient froid si l'on substitue des images au langage simple des passions. De ce que Mahomet s'est rappelé deux vers de Sadi en entrant dans l'église de Sainte-Sophie, il ne s'ensuit pas qu'il ait parlé comme le poëte persan.

Deux ans après, M. de Voltaire ayant composé sa tragédie de Mahomet le prophete, s'occupa des moyens de la faire représenter à Paris. Il éprouva beaucoup d'obstacles, et il conçut le projet de l'essayer en province: il porta ses vues sur la troupe de La Noue, qui étoit alors à Lille. Avant

« PreviousContinue »