Le soldat les renverse et les poursuit encore, Dieux cruels! DIDON, à part. MADHERBAL. A ces mots il gagne le rivage, Et soudain son vaisseau s'éloigne de Carthage. DIDON, à part. Quel coup de foudre, ô ciel !... Devois-je le prévoir? L'ingrat fuit, sans me voir, sans m'ordonner de vivre! Elise, en est-ce fait? n'est-il plus d'espérance?... Hélas! que dites-vous? les ondes et les vents DIDON, l'interrompant à son tour. Eh bien! je vous entends, (à part.) Il n'y faut plus penser... Ah! barbare! ah! perfide!... Tu vas fonder le trône où le destin t'appelle; pour toi; Que pour mieux se détruire ils franchissent les mers; ÉLISE. Quels vœux ! quelle fureur et quels transports de haine !... DIDON. Ma honte et mon amour remplissent l'univers... Le ciel en ce moment m'en ouvre les moyens... Témoins des voeux cruels qu'arrachent à mon ame La fuite d'un parjure et l'excès de ma flamme, (elle se frappe d'un poignard et se tue.) Mourons... A cet ingrat pardonnez mon trépas! ÉLISE, à part. Ah! ciel! BARCÉ, à part. Quel désespoir! MADHERBAL, à part. O fatale tendresse! DIDON, à tous les trois. Vous voyez ce que peut une aveugle foiblesse : Mes malheurs ne pouvoient finir que par ma mort... (à part.) Que n'ai-je pu, grands dieux, maîtresse de mon sort, FIN DE DIDON. EXAMEN DE DIDON. LE : E quatrieme livre de l'Énéide offroit à M. Le Franc la situation la plus touchante qui ait été peinte par les anciens mais l'auteur avoit à surmonter de grandes difficultés pour mettre ce sujet au théâtre. D'abord la situation d'une amante abandonnée avoit déja été traitée dans Bérénice et dans Ariane, et tous les sentimens qu'elle pouvoit offrir paroissoient avoir été épuisés: Virgile d'ailleurs ne fournissoit au poëte moderne que deux ou trois scenes; et le caractere d'Énée, que quelques critiques ont jugé peu digne de l'épopée, étoit encore bien moins propre à réussir sur notre théâtre. Nous croyons nécessaire de rappeler ici les moyens que M. Le Franc a employés pour suppléer au vide de cette action, et les ressorts dont il s'est servi pour la faire mouvoir. Le rôle d'Iarbe, introduit dans cette piece, fait un contraste très heureux avec celui d'Énée; on regrette qu'il ne se trouve pas une seule fois avec le héros troyen. Nous avons déja observé que les auteurs dramatiques ne devoient point éviter de mettre en présence l'un de l'autre les principaux personnages de leurs pieces, et que les beautés théâ |