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Me laisse, et fait partir la flotte qu'il regagne,
Tandis que sur ces bords on ramene avec moi
Le monstre dont la rage y sema tant d'effroi.

SCENE VI.

GUSTAVE, LEONOR, ADÉLAÏDE, CASIMIR, SOPHIE,

CASIMIR.

L'alégresse par-tout, seigneur, vient de renaître:
Christierne enchaîné devant vous va paroître;
Son sang sur le rivage eût aussitôt coulé,
Et le peuple en fureur l'eût cent fois immolé;
Mais on vous eût privé du plaisir légitime
D'égaler, s'il se peut, le châtiment au crime:
De la mort dont pour vous il ordonna l'apprêt
Vous-même vous allez lui prononcer l'arrêt,

SCENE VII.

GUSTAVE, CHRISTIERNE, chargé de fers, LÉONOR, ADÉLAÏDE, CASIMIR, SOPHIE, GARDES.

GUSTAVE.

Quel spectacle! ô fortune! ainsi donc ton caprice Quelquefois se mesure au poids de la justicę!

Tigre, l'horreur, l'opprobre, et le rebut du Nord,
Regarde en quelles mains t'a mis ton mauvais sort;
Vois à quel tribunal il t'oblige à paroître !

Sur ces terribles lieux où je te parle en maître,
Leve les yeux, barbare, et les leve en tremblant.
Voici de tes forfaits le théâtre sanglant :
Qui te garantira du coup que tu redoutes?
Ces marbres profanés, et ces murs, et ces voûtes,
Et l'ombre de mon pere, et celle de Sténon,
Et ce reste éploré d'une illustre maison;

Que vois-tu qui n'évoque en ces lieux la vengeance?
Toi-même en as banni dès long-tems la clémence ;
Le jour, l'heure, l'instant déposent contre toi:
J'ai vu lever le fer sur ma mere et sur moi;
La reine a craint encore un destin plus horrible....

CHRISTIERNE.

Tranche de vains discours. Tu dois être inflexible:
En me le déclarant penses-tu m'émouvoir,
Toi de qui la pitié croîtroit mon désespoir?
Je me reproche moins mes fureurs que ta vie.
Ta vengeance déja devroit être assouvie.
Gustave triomphant, le trépas m'est bien dû.

Tu vois ce que me coûte un seul instant perdu:
Profite de l'exemple, et satisfais ta rage.

GUSTAVE.

Nomme autrement la haine où l'équité m'engage:
Je la satisfais donc; je t'épargne: survis
A la perte des biens qu'un rival t'a ravis;

Éprouve le dépit, la honte et l'épouvante:
Même à ta liberté je défends qu'on attente;
Errant et vagabond, jouis-en si tu peux:

Exécrable

par-tout, sois par-tout malheureux, Par-tout comme un captif que poursuit le supplice, Et qui du monde entier s'est fait un précipice. Je vous charge du soin de son embarquement, Casimir; qu'on l'éloigne, et que dans le moment De ce monstre à jamais on purge le rivage. Et nous, madame, après un si long esclavage, En de tendres liens allons changer nos fers, Et réparer les maux que Stockholm a soufferts.

FIN DE GUSTAVE.

EXAMEN

DE GUSTAVE.

L'ÉPOQUE à laquelle se passe l'action de cette piece est très bien choisie. Un royaume gémissant sous le joug d'un tyran étranger est soudain délivré par un de ces hommes extraordinaires que la providence semble appeler aux grandes entreprises, et pour lesquels les obstacles de tout genre, les dangers les plus pressans, les revers les plus funestes, deviennent des moyens imprévus de succès qui ne font qu'ajouter à l'éclat de leur triomphe. Piron, en traitant ce sujet, avoit non seulement une belle époque à représenter, mais il avoit à peindre des mœurs qui n'avoient point encore été offertes sur le théâtre, et des caracteres absolument neufs. Peut-être le desir de produire de grands effets dramatiques, de nouer une intrigue compliquée, d'amener des coups de théâtre, l'a-t-il éloigné de cette simplicité que l'on admire dans presque tous nos chefs-d'oeuvre, et lui a-t-il fait négliger les ressources fécondes que l'histoire lui présentoit. Le rapprochement du caractere historique de Gustave, et de celui qu'il déploie dans la tragédie, pourra servir à jeter quelque lumiere sur cette question.

Gustave avoit ce courage entreprenant que le vulgaire traite de témérité lorsqu'il n'est pas couronné par le succès; dirigeant constamment tous ses projets

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