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TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

ALPHONSE,LA REINE, INÈS,Rodrigue, HENRIQUE, PLUSIEURS COURTISANS,

GARDES.

ON

ALPHONSE, à sa suite.

Mon fils ne me suit point... Il a craint, je le vois, D'être ici le témoin du bruit de ses exploits...

(à D. Rodrigue).

Vous, Rodrigue, le sang vous attache à sa gloire... (à Henrique).

Votre valeur, Henrique, eut part à sa victoire...
Ressentez avec moi sa nouvelle grandeur....
(àlareine,envoyant entrerl ambassadeur de Castille).
Reine, de Ferdinand voici l'ambassadeur.

SCENE II.

ALPHONSE, L'AMBASSADEUR ET SA Suite,
LA REINE, INÈS, D. RODRIGUE,
D. HENRIQUE, PLUSIEURS COURTISANS,

GARDES.

L'AMBASSADEUR.

La gloire dont l'infant couvre votre famille
Autant qu'au Portugal est chere à la Castille,
Seigneur; et Ferdinand, par ses ambassadeurs,
S'applaudit avec vous de vos nouveaux honneurs.
Goûtez, seigneur, goûtez cette gloire suprême
Qui dans un successeur vous reproduit vous-même.
Qu'il est doux aux grands rois, après de longs travaux,
De se voir égaler par de si chers rivaux;
De pouvoir, le front ceint de couronnes brillantes,
En confier l'honneur à des mains si vaillantes;
De voir croître leur nom, toujours plus redouté,
Sûrs de vaincre long-tems par leur postérité!
Don Pedre sur vos pas, au sortir de l'enfance,
Vous vit des Africains terrasser l'insolence;
Cent fois, brisant leurs forts, perçant leurs bataillons,
De ce sang téméraire inonder vos sillons:
Vous traciez la carriere où son courage vole,
Et vos nombreux exploits ont été son école:
Dès que vous remettez votre foudre en ses mains
Il frappe; et de nouveau tombent les Africains;

Il moissonne en courant ces troupes fugitives,
Et rapporte à vos pieds leurs dépouilles captives.
Avec vos intérêts les nôtres sont liés;

La victoire est commune entre des alliés;
Et toute la Castille, au bruit de vos conquêtes,
Triomphante elle-même, a partagé vos fètes.

ALPHONSE.

Votre roi m'est uni du plus tendre lien :
Sa mere de son trône a passé sur le mien;
Et le même traité qui me donna sa mere

Veut encor qu'en mon fils l'hymen lui donne un frere.
Cet hymen, que hâtoient mes vœux les plus constans,
Par l'horreur des combats retardé trop long-tems,
Rassemblant aujourd'hui l'alégresse et la gloire,
Va s'achever enfin au sein de la victoire :

Heureux que Ferdinand applaudisse au vainqueur
Que lui-même a choisi pour l'époux de sa sœur!
Nous n'allons plus former qu'une seule famille.
Allez; de mes desseins instruisez la Castille;
Faites savoir au roi cet hymen triomphant
Dont je vais couronner les exploits de l'infant.
(L'ambassadeur, sa suite, D. Rodrigue, D. Hen-
rique, les courtisans, et les gardes sortent.)

SCENE III.

ALPHONSE, LA REINE, INÈS.

ALPHONSE, à la reine.

Oui, madame, Constance, avec vous amenée,
Va voir par cet hymen fixer sa destinée.
Peut-être que le jour qui m'unit avec vous
Auroit dû de mon fils faire aussi son époux;
Mais je ne pus alors lui refuser la grace
Que de l'amour d'un pere implora son audace:
Il n'éloignoit l'honneur de recevoir sa foi
Que pour s'en montrer mieux digne d'elle et de moi.
Moi-même, armant son bras, j'animai son courage:
La fortune est souvent compagne de son âge;
Je prévis qu'il feroit ce qu'autrefois je fis,
Et me privai de vaincre en faveur de mon fils.
Il a, graces au ciel, passé mon espérance;
Des Africains domtés implorant ma clémence
La moitié suit son char et gémit dans nos fers;
Le reste tremble encore au fond de ses déserts.
Quels honneurs redoublés ont signalé ma joie!
Et tandis que pour lui mon transport se déploie,
Mes sujets enchantés, enchérissant sur moi,
Semblent par mille cris le proclamer leur roi.
Madame, il est enfin digne que la princesse

Lui donne avec sa main l'estime et la tendresse.

Ce noeud va rendre heureux au gré de mes souhaits Ce que j'ai de plus cher, mon fils et mes sujets.

LA REINE.

Ne prévoyez-vous point un peu de résistance,
Seigneur? De votre fils la longue indifférence
Me trouble malgré moi d'un soupçon inquiet;
Et je crains dans son cœur quelque obstacle secret.
Auprès de la princesse il est presque farouche;
Jamais un mot d'amour n'est sorti de sa bouche,
Et de tout autre soin à ses yeux agité,
Il semble n'avoir pas apperçu sa beauté.
S'il résistoit, seigneur?...

ALPHONSE.

C'est prendre trop d'ombrage:

Excusez la fierté de ce jeune courage;
C'est un héros naissant de sa gloire frappé,
Et d'un premier triomphe encor tout occupé;
Bientôt, n'en doutez pas, une juste tendresse
De ce superbe cœur dissipera l'ivresse;
D'un heureux hyménée il sentira le prix.

LA REINE.

J'ai lieu, vous dis-je encor, de craindre ses mépris.
Eh! qui n'eût pas pensé qu'aujourd'hui sa présence
Dût des ambassadeurs honorer l'audience?
Mais il n'a pas voulu vous y voir rappeler

Des traités que son cœur refuse de sceller.

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