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dies en prose: cette prétention n'étoit pas fondée, puisque Scudéry en avoit fourni un exemple dans sa tragédie d'Axiane, piece entièrement oubliée. M. Sedaine essaya en vain, plusieurs années après la mort de La Mothe, de faire jouer une tragédie en prose intitulée Paris sauvé; M. de Voltaire, qui fut instruit des démarches de l'auteur du Déserteur, écrivit à ses amis que c'étoit l'abomination de la désolation dans l'empire de Melpomene.

Il n'entre point dans mon sujet de parler avec quelques détails de l'Iliade de La Mothe, et de ses disputes avec madame Dacier. Je remarquerai à l'occasion de ses fables qu'il se servit quelquefois du même moyen qu'il avoit employé si heureusement pour faire réussir une de ses tragédies: il les faisoit lire comme si elles eussent été des ouvrages posthumes de La Fontaine, et il se jouoit en secret du peu de tact des prétendus connoisseurs.

La Mothe faisoit les délices des sociétés dans lesquelles il étoit admis, par une douceur à toute épreuve, et sur - tout par une patience sans exemple dans un homme de lettres pour écouter

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NOTICE SUR LA MOTHE.

le babil des sots et des ignorans. Il pensoit que l'on pouvoit tirer parti de l'homme le moins spirituel en le faisant parler des objets qui lui étoient familiers. On cite de lui un mot qui fait beaucoup d'honneur à la modération de son caractere: un jeune homme, sur le pied duquel il marcha dans une foule, le frappa: Monsieur, lui dit La Mothe, vous allez être bien fâché; je suis aveugle.

Cet homme, dont l'esprit avoit brillé avec tant d'éclat, dont la société avoit été si recherchée, eut le malheur de ne pas conserver d'amis lorsqu'il fut devenu infirme: il mourut presque abandonné en 1731.

PRÉFACE.

L'HONNEUR Singulier qu'on a fait à ma tragédie de l'écrire dans les représentations m'a fait craindre des éditions précipitées, qui m'auroient chargé devant le public de bien des fautes que l'infidélité des copistes auroit ajoutées aux miennes: un mot pour un autre jette souvent de l'obscurité ou de la bassesse sur toute une phrase; l'accident peut même aller jusqu'au contre-sens; et ces méprises multipliées auroient répandu un air de négligence et de faute jusque sur les endroits les plus heureux. J'ai voulu prévenir ce malheur, plus considérable qu'on ne pense aux yeux d'un auteur; car, il faut l'avouer, notre délicatesse poétique regarde presque une édition fautive de nos vers comme un libelle diffama,

toire.

Voilà donc ma tragédie telle que je l'ai faite, et, j'ajoute, telle que je suis capable de la faire: mon respect pour le public ne m'a pas permis de rien négliger de ce que j'ai cru le plus propre à l'attacher et à lui plaire. Je serois bien tenté de faire valoir ici les moyens que j'ai pris pour y réussir; mais je remets la petite vanité qui m'en presse à une autre fois : j'exposerai dans un dis

cours à part mes sentimens particuliers sur la tragédie, et que je ne donnerai, à mon ordinaire, que comme des conjectures; mais je ne puis m'empêcher d'avancer déja en général qu'il faut un peu de courage aux auteurs dans quelque genre qu'ils travaillent. Point de nouveauté sans hardiesse. Où en seroit l'art si l'on s'en étoit toujours tenu à cette imitation timide qui n'ose rien tenter sans exemple? on ne nous auroit pas laissé à nous-mêmes de quoi imiter.

Les enfans que j'ai hasardés sur la scene, et les circonstances où je les fais paroître, ont paru une nouveauté sur notre théâtre. Quelques spectateurs ont douté d'abord s'ils devoient rire ou s'attendrir; mais le doute n'a pas duré, et la nature a bientôt repris ses droits sur tous les cœurs: on a pleuré enfin; et, s'il m'est permis de ne rien perdre de ce qui me fait honneur, quelques uns ne m'ont critiqué qu'en pleurant.

Si je rentre dans la carriere, j'avertis le public que j'aurai encore le courage de m'exposer à ses premieres répugnances toutes les fois que j'espérerai lui procurer de nouveaux plaisirs; et j'invite mes confreres les dramatiques à être encore plus hardis que moi, et toujours à proportion de leur habileté.

Si je n'ai rien changé à ma piece, ce n'est pas

que des gens d'esprit ne m'aient fait quelques objections qui m'ont même ébranlé; mais, je les prie de m'en croire, d'autres gens d'esprit ont applaudi particulièrement aux endroits attaqués, et par des raisons qui me gagnoient aussi: docilité pour docilité, on ne s'étonnera pas que j'aie déféré aux approbateurs.

Il a paru une critique imprimée à laquelle je me dispense de répondre ; je persiste dans la résolution d'en user toujours de même avec des censeurs passionnés et de mauvaise foi: quand il y auroit même de l'esprit dans leur ouvrage, je crois devoir ce dédain aux mauvais procédés; et en effet, pour ramener les hommes à l'amour de la raison et de la vertu il faudroit mépriser jusqu'aux talens qui osent en violer les regles.

On m'a fait le même honneur que Scarron a fait à Virgile, on m'a travesti. J'ai ri moi-même de la mascarade qui m'a paru réjouissante: je me garde bien de trouver à redire que les traits de critique n'en soient pas solides; il suffisoit pour la nature de l'ouvrage qu'ils fussent plaisans, ou bouffons même, pour dire encore moins; au lieu qu'un critique sérieux est obligé d'avoir raison.

J'ai laissé dans la piece * un vers de Corneille,

* Acte II, scene II.

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