déférer aveuglément aux délicatesses d'une pareille répugnance. Celle que je sens à me taire est, je crois, de nature à devoir étre écoutée préférablement à la vôtre. Pardonnez-moi donc, MONSIEUR, si je me satisfais au risque de vous déplaire innocemment: laissez-moi commencer à m'acquitter selon mon pouvoir; laissez-moi publier, à la gloire de l'humanité, qu'en m'obligeant depuis long-tems par les endroits les plus sensibles et les plus essentiels, vous avez craint les remerciemens comme un autre eût craint l'ingratitude; en sorte qu'il m'a fallu recourir aux plus subtiles recherches pour découvrir quelle étoit l'invisible main d'où me venoient continuellement de si bons offices. Générosité bien pure, bien rare, et bien digne d'avoir eu pour objets des talens plus capables de la célébrer que ne le sont les miens. Mais, après tout, de quoi sert le talent où le sentiment supplée? qu'importe tout l'art du monde où l'expression la plus simple peut tenir lieu de la plus vive éloquence? En aurai-je moins publié, en saura-t-on moins qu'il n'a pas dépendu de vous, MONSIEUR, que vous n'ayez été jusqu'à la fin un BIENFAITEUR anonyme? et une qualité si extraordinaire ne fera-t-elle pas toujours, entre mille autres, un des beaux endroits de votre éloge? Une partie de cet éloge est déja gravée dans le cœur des grands et des petits, qui vous aiment; l'autre se manifeste assez dans les honneurs que vous a décernés l'équité du prince. Pour moi, le seul auquel j'aspire, c'est de me faire connoître par-tout où je pourrai pour l'homme du monde qui est et qui doit étre toute sa vie, avec la plus vive reconnoissance et le plus profond respect, MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur, PIRON. A LA MÉMOIRE DE MONSIEUR LE COMTE DE LIVRY, EN 1755. COMTE, qui dans mon cœur revis à tous momens, Me fit sentir les premiers agrémens Si digne d'un beau sort, si visiblement née Que ma reconnoissance et t'y parle et t'y suive! Reconnois, aime encor cette muse naïve * M. le comte de Livry avoit laissé à l'auteur une pension de six cents livres. Dont le ton naturel fut le ton favori, Du vestibule de Livry. La verve me transporte au-delà du Cocyte: Je les vois ces beaux lieux que ta chere ombre habite, Rendez-vous des plaisirs de la terre et des cieux, Séjour pur et délicieux, Retraite et céleste et champêtre Ouverte aux seuls amis des hommes et des dieux, Lieux où l'on nous dit qu'un héros A ce qui fit sa peine ainsi que son repos; Où dans sa cervelle héroïque Corneille en conséquence arrange un plan tragique, * Et Descartes, des tourbillons. Là, sous un des beaux pavillons Qu'ait jamais dressé la nature, Plafonné de jasmins, de pampre, et de lauriers, * Conspicit ecce alios dextrâ lævâque per herbam Vescentes, lætumque choro Pæana canentes, AENEID. lib. VI. |