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Fay veu plusieurs de mon temps, convaincus | L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd: par leur conscience retenir de l'aultruy, se dis- car, comme on dict, c'est n'estre en aulcun poser à y satisfaire par leur testament et aprez lieu, que d'estre par tout. leur decez. Ils ne font rien qui vaille, ny de prendre terme à chose si pressante, ny de vouloir restablir une iniure avecques si peu de leur ressentiment et interest. Ils doibvent plus du leur; et d'autant qu'ils payent plus poisamment et incommodeement, d'autant en est leur satisfaction plus iuste et meritoire : la penitence demande à charger. Ceulx là font encores pis, qui reservent la declaration de quelque haineuse voenvers le proche, à leur derniere volonté, l'ay its cachee pendant la vie; et montrent avoir peu de soing du propre honneur, irritants l'offensé à l'encontre de leur memoire, et moins

de leur conscience, n'ayants, pour le respect de la mort mesme, sceu faire mourir leur maltalent, et en estendants la vie oultre la leur. Iniques iuges, qui remettent à iuger alors qu'ils n'ont plus cognoissance de cause. Ie me garderay, si ie puis, que ma mort die chose que ma vie n'ayt premierement dict, et apertement.

CHAPITRE VIII.

De l'oysifveté.

Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat '. Dernierement que ie me retiray chez moy, deliberé, autant que ie pourroy, ne me mesler d'aultre chose que de passer en repos et à part ce peu qui me reste de vie; il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysifveté s'entretenir soy mesme, et s'arrester et rasseoir en soy, ce que i'esperoy qu'il peust meshuy faire plus ayseement, devenu avecques le temps plus poisant et plus meur: mais ie treuve, comme

Variam semper dant otia mentem3, qu'au rebours, faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus de carriere à soy mesme qu'il n'en prenoit pour aultruy; et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les aultres, sans ordre et sans propos, que pour en contempler à mon ayse l'ineptie et l'estrangeté, l'ay commencé de les mettre en roolle, esperant avecques le temps luy en faire honte à luy mesme.

CHAPITRE IX.

Des menteurs.

Comme nous veoyons des terres oysifves, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que Il n'est homme à qui il siese si mal de se pour les tenir en office, il les fault assubiectir mesler de parler de memoire; car ie n'en recoet employer à certaines semences pour nostre gnoy quasi trace en moy; et ne pense qu'il y service; et comme nous veoyons que les femmes en ayt au monde une aultre si merveilleuse en produisent bien toutes seules des amas et pieces defaillance. l'ay toutes mes aultres parties viles de chair informes, mais que pour faire une ge- et communes; mais en cette là, ie pense estre neration bonne et naturelle, il les fault em- singulier et tres rare, et digne de gaigner nom besongner d'une aultre semence: ainsin est il et reputation. Oultre l'inconvenient naturel que des esprits; si on ne les occupe à certain sub-i'en souffre (car certes, veu sa necessité, Platon iect qui les bride et contraigne, ils se iectent desa raison de la nommer une grande et puissante reglez, par cy par là, dans le vague champ des deesse 4), si en mon païs on veult dire qu'un imaginations, homme n'a point de sens, ils disent qu'il n'a point de memoire; et quand ie me plains du default de la mienne 5, ils me reprennent et

Sicut aquac tremulum labris ubi lumen alienis
Sole repercussum, aut radiantis imagine lunæ,
Omnia pervolitat late loca; iamque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti1;

et n'est folie ni resverie qu'ils ne produisent en
cette agitation.

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1 MARTIAL, 1. VII, épig. 72. Montaigne a traduit ce vers avant de le citer. C.

2 Désormais; meshuy, pour mais huy, du latin magis hodie. E. J.

3 Dans l'oisiveté, l'esprit s'égare en mille pensées diverses. LUCAIN, IV, 704.

4 PLATON, Critias, pag. 1100, A, édition de Francfort, 1602. J. V. L.

5 Il s'en plaint encore au chapitre 17 du second livre. Malebranche et quelques autres l'accusent d'avoir prétendu faussement qu'il n'avait pas de mémoire. (Voyez surtout Baudius, not. ad Iamb. lib. II, Leyde, 1607.) Ils en donnent pour preuve ses nombreuses citations. Mais outre qu'elles ne sont pas toujours exactes, et qu'il lui arrive de se contredire, même

mescroyent, comme si ie m'accusoy d'estre in- | mauldire ou l'heur de leur memoire, ou le

sensé ils ne veoyent pas de chois entre memoire et entendement. C'est bien empirer mon marché! Mais ils me font tort; car il se veoid par experience, plustost au rebours, que les memoires excellentes se ioignent volontiers aux iugements debiles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rien si bien faire qu'estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma maladie, representent l'ingratitude; on se prend de mon affection à ma memoire; et d'un default naturel, on en faict un default de conscience: « Il a oublié, dict on, cette priere ou cette promesse : Il ne se souvient point de ses amis: Il ne s'est point souvenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l'amour de moy. » Certes, ie puis ayseement oublier: mais de mettre à nonchaloir la charge que mon amy m'a donnee, ie ne le fois pas. Qu'on se contente de ma misere, sans en faire une espece de malice, et de la malice autant ennemie de mon humeur !

Ie me console aulcunement: Premierement, sur ce, Que c'est un mal duquel principalement î'ay tiré la raison de corriger un mal pire, qui se feust facilement produict en moy, sçavoir est l'ambition; car cette defaillance est insupportable à qui s'empestre des negociations du monde Que, comme disent plusieurs pareils exemples du progrez de nature, elle a volontiers fortifié d'aultres facultez en moy à mesure que cette cy s'est affoiblie; et iroy facilement couchant et alanguissant mon esprit et mon iugement sur les traces d'aultruy, sans exercer leurs propres forces, si les inventions et opinions estrangieres m'estoient presentes par le benefice de la memoire : Que mon parler en est plus court; car le magasin de la memoire est volontiers plus fourny de matiere que n'est celuy de l'invention. Si elle m'eust tenu bon, i'eusse assourdy touts mes amis de babil, les subiects esveillants cette telle quelle faculté que i'ay de les manier et employer, eschauffants et attirants mes discours. C'est pitié : ie l'essaye par la preuve d'aulcuns de mes privez amis; à mesure que la memoire leur fournit la chose entiere et presente, ils reculent si arriere leur narration, et la chargent de tant de vaines circonstances, que si le conte est bon, ils en estouffent la bonté; s'il ne l'est pas, vous estes à en ne citant pas, ceux qui ont écrit savent, comme moi, qu'il ne faut pas beaucoup de mémoire pour citer, et citer souvent. A faulte de memoire naturelle, dit l'oublieux Montaigne, i'en forge de papier (liv. III, chap. 13): voilà tout le

secret. J. V. L.

malheur de leur iugement. Et c'est chose difficile de fermer un propos et de le coupper depuis qu'on est arrouté 1; et n'est rien où la force d'un cheval se cognoisse plus, qu'à faire un arrest rond et net. Entre les pertinents mesmes, i'en veoy qui veulent et ne se peuvent desfaire de leur course ce pendant qu'ils cherchent le poinct de clorre le pas, ils s'en vont balivernant et traisnant comme des hommes qui defaillent de foiblesse. Sur tout les vieillards sont dangereux, à qui la souvenance des choses passees demeure, et ont perda souvenance de leurs redictes: i'ai veu des cits bien plaisants devenir tres ennuyeux en la bouche d'un seigneur, chascun de l'assistance en ayant esté abbreuvé cent fois.

Secondement, qu'il me souvient moins des offenses receues, ainsi que disoit cet ancien': il me fauldroit un protocolle; comme Darius, pour n'oublier l'offense qu'il avoit receue des Atheniens, faisoit qu'un page, à touts les coups qu'il se mettoit à table, luy veinst rechanter par trois fois à l'aureille : « Sire, spuvienne vous des Atheniens3; » d'aultre part, les lieux et les livres que ie reveoy, me rient tousiours d'une fresche nouvelleté.

4

ne

Ce n'est pas sans raison qu'on dict, que qui ne se sent point assez ferme de memoire, se doibt pas mesler d'estre menteur. le scay bien que les grammairiens font difference entre dire mensonge, et mentir; et disent que dire mensonge, c'est dire chose faulse, mais qu'on a prins pour vraye; et que la definition du mot de mentir en latin, d'où nostre françois est party, porte autant comme aller contre sa conscience; et que, par consequent, cela ne touche que ceulx qui disent contre ce qu'ils sçavent, desquels ie parle. Or ceulx icy, ou ils inventent marc et tout, ou ils desguisent et alterent un fond veritable. Lors qu'ils desguisent et changent, à les remettre souvent en ce mesme conte, il est malaysé qu'ils ne se desferrent; parce que la chose, comme elle est, s'estant logee la premiere dans la memoire, s'y estant empreinte par la voye de la cognoissance et de la science, il est malaysé qu'elle ne se représente à l'imagination, deslogeant la

Mis en route, en chemin, en train. E. J.

et

2 CICERON, pro Ligar. c. 12: « Oblivisci nihil soles, nisi injurias. » J. V. L.

3 HERODOTE, V, 105. J. V. L.

4 Nigidius, dans AULU-GELLE, XI, II, et dans NONIUS, V, 80. Montaigne ne fait ici que traduire ce grammairien. J. V. L.

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faulseté, qui n'y peult avoir le pied si ferme ny si rassis, et que les circonstances du premier apprentissage, se coulants à touts coups dans l'esprit, ne facent perdre le souvenir des pieces rapportees faulses ou abbastardies. En ce qu'ils inventent tout à faict, d'autant qu'il n'y a nulle impression contraire qui chocque leur faulseté, ils semblent avoir d'autant moins à craindre de se mescompter. Toutesfois encores cecy, parce que c'est un corps vain et sans prinse, eschappe volontiers à la memoire, si elle n'est bien asseuree. Dequoy i̇'ay souvent ven l'experience, et plaisamment, aux despens de ceulx qui font profession de ne former aultrement leur parole que selon qu'il sert aux affaires qu'ils négocient, et qu'il plaist aux grands à qui ils parlent; car ces circonstances à quoy ils veulent asservir leur foy et leur conscience, estants subiectes à plusieurs changements, il fault que leur parole se diversifie quand et quand: d'où il advient que de mesme chose ils disent tantost gris, tantost iaune, à tel homme d'une sorte, à tel d'une aultre; et si par fortune ces hommes rapportent en butin leurs instructions si contraires, que devient cette belle art? oultre ce, qu'imprudemment ils se desferrent eulx mesmes si souvent; car quelle memoire leur pourroit suffire à se souvenir de tant de diverses formes qu'ils ont forgees en un mesme subiect? l'ay veu plusieurs de mon temps envier la reputation de cette belle sorte de prudence; qui ne veoyent pas que si la reputation y est, l'effect n'y peult estre.

utilement. Si, comme la verité, le mensonge
n'avoit qu'un visage, nous serions en meilleurs
termes; car nous prendrions pour certain l'op-
posé de ce que diroit le menteur : mais le revers
de la verité a cent mille figures et un champ
indefiny. Les pythagoriens font le bien certain
et finy, le mal infiny et incertain. Mille routes
desvoyent du blanc une y va. Certes ie ne
m'asseure pas que ie peusse venir à bout de
moy, à guarantir un danger evident et extreme
par une effrontee et solenne mensonge. Un an-
cien Pere dict, que nous sommes mieulx en la
compaignie d'un chien cogneu, qu'en celle d'un
homme duquel le langage nous est incogneu.
Ut externus alieno non sit hominis vice'. Et
de combien est le langage fauls moins sociable
que
le silence!

par

Le roy François premier se vantoit d'avoir mis au rouet, par ce moyen, Francisque Taverna, ambassadeur de François Sforce, duc de Milan, homme tres fameux en science de lerie. Cettuy cy avoit esté despesché pour excuser son maistre vers sa maiesté, d'un faict de grande consequence, qui estoit tel : Le pour maintenir tousiours quelques intelligences roy, en Italie, d'où il avoit esté dernierement chassé, mesme au duché de Milan, avoit advisé d'y tenir prez du duc un gentilhomme de sa part, ambassadeur par effect, mais par apparence homme privé, qui feist la mine d'y estre pour ses affaires particulieres; d'autant que le duc, qui dependoit beaucoup plus de l'empereur mariage avec sa niepce, fille du roy de Dane(lors principalement qu'il estoit en traicté de mare, qui est à present douairiere de Lorraine), ne pouvoit descouvrir avoir aulcune practique et conference avecques nous, sans son grand interest. A cette commission se trouva curie chez le roy, nommé Merveille. Cettuy cy, propre un gentilhomme milanois, escuyer d'esdespesché avecques lettres secrettes de creance et instructions d'ambassadeur, et avecques d'aultres lettres de recommendation envers le duc en faveur de ses affaires particulieres, pour le masque et la montre, feut si long temps aument à l'empereur, qui donna cause à ce qui prez du duc, qu'il en veint quelque ressentis'ensuyvit aprez, comme nous pensons : ce feut que, soubs couleur de quelque meurtre, voylà

En verité le mentir est un mauldict vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux aultres, que par la parole. Si nous en cognoissions l'horreur et le poids, nous le poursuyvrions à feu, plus iustement que d'aultres crimes. le treuve qu'on s'amuse ordinairement à chastier aux enfants des erreurs innocentes, tres mal à propos, et qu'on les tormente pour des actions temeraires qui n'ont ny impression ny suitte. La menterie seule, et un peu au dessoubs, l'opiniastreté, me semblent estre celles desquelles on debvroit à toute instance combattre la naissance et le progrez: elles croissent quand et eulx; et depuis qu'on a donné ce fauls train à la langue, c'est merveille combien il est impossible de l'en retirer: par où il advient que nous veoyons des honnestes hommes d'ailleurs, y estre subjects et asservis. l'ay un bon garçon de tailleur à qui ie n'ouy iamais dire une verité, point hommes l'un à l'égard de l'autre. PLINE, Nat. Hist. non pas quand elle s'offre pour luy servir

1 Détournent du but. E. J.

2 De sorte que deux hommes de différentes nations ne sont VII, I.

le duc qui luy faict trencher la teste de belle nuict, et son procez faict en deux iours. Messire Francisque estant venu, prest d'une longue deduction contrefaicte de cette histoire (car le roy s'en estoit addressé, pour demander raison, à touts les princes de chrestienté et au duc mesme), feut ouy aux affaires du matin; et ayant estably pour le fondement de sa cause, et dressé à cette fin plusieurs belles apparences du faict: que son maistre n'avoit iamais prins nostre homme que pour gentilhomme privé et sien subiect, qui estoit venu faire ses affaires à Milan, et qui n'avoit iamais vescu là soubs aultre visage; desadvouant mesme avoir sceu qu'il feust en estat de la maison du roy, ny cogneu de luy, tant s'en fault qu'il le prinst pour ambassadeur : le roy, à son tour, le pressant de diverses obiections et demandes, et le chargeant de toutes parts, l'accula enfin sur le poinct de l'execution faicte de nuict et comme à la desrobbee; à quoy le pauvre homme embarrassé respondit, pour faire l'honneste, que pour le respect de sa maiesté, le duc eust été bien marry que telle execution se feust faicte de iour. Chascun peult penser comme il feut relevé, s'estant si lourdement couppé, à l'endroict d'un tel nez que celuy du roy François '.

Le pape Iule second ayant envoyé un ambassadeur vers le roy d'Angleterre, pour l'animer contre le roy François, l'ambassadeur ayant esté ouy sur sa charge, et le roy d'Angleterre s'estant arresté en sa response aux difficultez qu'il trouvoit à dresser les preparatifs qu'il fauldroit pour combattre un roy si puissant, et en alleguant quelques raisons; l'ambassadeur repliqua mal à propos qu'il les avoit aussi considerees de sa part, et les avoit bien dictes au pape. De cette parole, si esloingnee de sa proposition, qui estoit de le poulser incontinent à la guerre, le roy d'Angleterre print le premier argument de ce qu'il trouva depuis par effect, que cet ambassadeur, de son intention particuliere, pendoit du costé de France; et en ayant adverty son maistre, ses biens feurent contisquez, et ne teint à gueres qu'il n'en perdist la

vie '.

CHAPITRE X.

Du parler prompt, ou tardif.

Onc ne feurent à touts toutes graces donnees': aussi veoyons nous qu'au don d'eloquence, les uns ont la facilité et la promptitude, et, се qu'on diet, le boutehors si aysé, qu'à chasque bout de champ ils sont prests; les aultres, plus tardifs, ne parlent iamais rien qu'elaboré et pre

medité.

Comme on donne des reigles aux dames, de prendre les ieux et les exercices du corps, selon l'advantage de ce qu'elles ont le plus beau; si

i'avois à conseiller de mesme en ces deux divers

advantages de l'eloquence, de laquelle il semble en nostre siecle que les prescheurs et les advocats facent principale profession, le tardif seroit mieulx prescheur, ce me semble, et l'aultre mieulx advocat : parce que la charge de cettuy là luy donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer; et puis sa carriere se passe d'un fil et d'une suitte sans interruption : là où les commoditez de l'advocat le pressent à toute heure de se mettre en lice; et les responses improuveues de sa partie adverse le reiectent de son bransle, où il luy fault sur le champ prendre nouveau party. Si est ce qu'à l'entrevue du pape Clement et du roy François à Marseille, il adveint, tout au rebours, que monsieur Poyet, homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de faire la harangue au pape, et l'ayant de longue main pourpensee, voire, à ce qu'on dict, apportee de Paris toute preste; le iour mesme qu'elle debvoit estre prononcee, le pape se craignant qu'on luy teinst propos qui peust offenser les ambassadeurs des aultres princes qui estoient autour de luy, manda au roy l'argument qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu, mais, de fortune, tout aultre que celuy sur lequel monsieur Poyet s'estoit travaillé; de façon que sa harangue demeuroit inutile, et luy en falloit promptement refaire une aultre: mais s'en sentant incapable, il fallut que monsieur le cardinal du Bellay en prinst la charge 2. La part de l'advocat est plus difficile que celle du pres

1 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. IV, fol. 156 et suiv. cheur; et nous trouvons pourtant, ce m'est advis,

Ce fait est de l'an 1534. C.

2 ERASMI Op. tom. IV, col. 684, C, éd. de Leyde, 1705,

in

fol. C

Ce vers, qui est du célèbre ami de Montaigne, Estienne de la Boëtie, ne se trouve point dans les vingt-neuf sonnets de ce jeune poëte, cités au chapitre vingt-huitième de ce premier livre des Essais. Il fait partie des Vers francois publiés par Montaigne en 1572, et il y termine le quatorzième sonnet. Fol. 16, verso. J. V. L.

Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. IV, fol. 163 et suiv. C.

plus de passables advocats que prescheurs, | bien, mornee' pour un aultre, affilee pour moy: au moins en France. Il semble que ce soit plus le propre de l'esprit, d'avoir son operation prompte et soubdaine; et plus le propre du iugement, de l'avoir lente et posee. Mais celuy qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer, et celuy aussi à qui le loisir ne donne advantage de mieulx dire, sont en pareil degré d'estrangeté.

laissons toutes ces honnestetez; cela se dict par chascun selon sa force): ie l'ay si bien perdue, que ie ne sçay ce que l'ay voulu dire; et l'a l'estrangier descouverte par fois avant moy. Si ie portoy le rasoir par tout où cela m'advient, ie me desferoy tout. Le rencontre m'en offrira le iour quelque aultre fois, plus apparent que celuy du midy, et me fera estonner de ma hesitation.

CHAPITRE XI.

Des prognostications.

On recite de Severus Cassius, qu'il disoit mieulx sans y avoir pensé; qu'il debvoit plus à la fortune qu'à sa diligence; qu'il luy venoit à proufit d'estre troublé en parlant; et que ses adversaires craignoient de le picquer, de peur que la cholere ne luy feist redoubler son eloquence. le cognoy par experience cette condition de nature, qui ne peult soustenir une vehemente premeditation et laborieuse : si elle ne va gayement et librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d'aulcuns ouvrages, qu'ils puent à l'huyle et à la lampe, pour certaine aspreté et rudesse que le travail imprime en ceulx où il a grande párt. Mais oultre cela, la solicitude de bien faire, et cette contention de l'ame trop bandee et trop tendue à son entreprinse, la rompt et l'empesche; ainsi qu'il advient à l'eau qui, par force de se presser, de sa violence et abondance ne peult trouver issue en un goulet ouvert. En cette condition de nature dequoy ie parle, il y a quand et quand aussi cela, qu'elle demande à estre non pas esbranlee et picquee par ces passions fortes, comme la cholere de Cassius ( car ce mouvement seroit trop aspre), elle veult estre non pas secouee, mais solicitee; elle veult estre eschauffee et resveillee par les occasions estrangieres, presentes, et fortuites: si elle va toute seule, elle ne faict que traisner et languir; l'agitation est sa vie et sa grace. Ie ne me tiens pas bien en ma possession et disposition : le hazard y a plus de droict que moy; l'occasion, la compaignie, le bransle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que ie n'y treuve lors que ie le sonde et employe à part moy. Ainsi les paroles en valent mieulx que les escripts, s'il y peult avoir chois où il n'y a point de prix. Cecy m'advient aussi, que ie ne me treuve pas où ie me cherche; et me treuve plus par rencontre, que par inquisition de mon iugement. l'auray Delphes est si méprisé? CIC. de Divinat. II, 67. eslancé quelque subtibilité en escrivant (i'entens

Quant aux oracles, il est certain que bohue piece 2 avant la venue de Iesus Christ, ils avoient commencé à perdre leur credit ; car nous veoyons que Cicero se met en peine de trouver la cause de leur defaillance; et ces mots sont à luy : Cur isto modo iam oracula Delphis non eduntur, non modo nostra ætate, sed iamdiu, ut nihil possit esse contemptius 3? Mais quant aux aultres prognosticques qui se tiroient de l'anatomie des bestes aux sacrifices, ausquels Platon attribue en partie la constitution naturelle des membres internes d'icelles, du trepignement des poulets, du vol des oyseaux (Aves quasdam... rerum augurandarum causa natas esse putamus 4), des fouldres, du tournoyement des rivieres (Multa cernunt aruspices, multa augures provident, multa oraculis declarantur, multa vaticinationibus, multa somniis, multa portentis 5), et aultres sur lesquels l'antiquité appuyait la pluspart des entreprinses tant publicques que privees, nostre religion les a abolies. Et encores qu'il reste entre nous quelques moyens de divination ez astres, ez esprits, ez figures du corps, ez songes, et ailleurs; notable exemple de la forcenee curiosité de nostre nature, s'amusant à preoccuper les choses futures, comme si elle n'avoit pas assez à faire à digerer les presentes,

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C'est-à-dire, émoussée, sans pointe. E. J.

2 Longtemps, ou, comme on a mis dans quelques éditions,

dès longtemps. C'est un italianisme, un buon pezzo. Montaigne dit ailleurs pieça, qu'on trouve encore dans Chaulieu.

J. V. L.

3 D'où vient que de nos jours, et même depuis longtemps. on ne rend plus de tels oracles? d'où vient que le trépied de

4 Nous croyons qu'il est des oiseaux qui naissent exprès pour servir à l'art des augures. CIC. de Nat. deor. II, 64.

5 Les aruspices voient quantité de choses; les augures en prévoient aussi un grand nombre; plusieurs événements sont annoncés par les oracles, et plusieurs par les devins, par les songes, par les prodiges. In. ibid. c. 65

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