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entre ceulx qui iouent à la paulme, celuy qui soustient, se desmarche et s'appreste, selon qu'il veoid remuer celuy qui luy iecte le coup, et selon la forme du coup.

cin ne trouve bon que vous dormez, que vous usez | la recevoir, selon le bransle qu'elle prend; comme de vin ou de telle viande, ne vous chaille; ie vous en trouveray un aultre qui ne sera pas de son advis: la diversité des arguments et opinions medecinales embrasse toute sorte de formes. Ie veis un miserable malade crever et se pasmer d'alteration, pour se guarir; et estre mocqué depuis par un aultre medecin, condemnant ce conseil comme nuisible: avoit il pas bien employé sa peine? Il est mort freschement, de la pierre, un homme de ce mestier, qui s'estoit servy d'extreme abstinence à combattre son mal: ses compaignons disent qu'au rebours ce ieusne l'avoit asseiché, et lui avoit cuict le sable dans les roignons.

l'ay apperceu qu'aux bleceures et aux maladies, le parler m'esmeutet me nuit, autant que desordre que ie face. La voix me couste et me lasse: car ie l'ay haulte et efforcee; si que quand ie suis venu à entretenir l'aureille des grands d'affaires de poids, ie les ay mis souvent en soing de moderer ma voix.

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L'experience m'a encores apprins cecy, Que nous nous perdons d'impatience. Les maulx ont leur vie et leurs bornes, leurs maladies et leur santé. La constitution des maladies est formee au patron de la constitution des animaulx ; elles ont leur fortune limitee dez leur naissance, et leurs iours: qui essaye de les abbreger imperieusement, par force, au travers de leur course, il les alonge et multiplie; et les harcelle, au lieu de les appaiser. Ie suis de l'advis de Crantor, « Qu'il ne fault ny obstineement s'opposer aux maulx, et à l'estourdie, ny leur succomber de mollesse; mais qu'il leur fault ceder naturellement, selon leur condition et la nostre. » On doibt donner passage aux maladies : et ie treuve qu'elles arrestent moins chez moy, qui les laisse faire; et en ay perdu, de celles qu'on estime plus opiniastres et tenaces, de leur propre decadence, sans ayde et sans art, et contre ses reigles. Laissons faire un peu à nature: elle entend mieulx ses affaires que nous.

ce mal là, d'un aultre; et combien n'ont pas laissé d'en mourir, ayants trois medecins à leur cul❜! L'exemple est un mirouer vague, universel, et à tout sens. Si c'est une medecine voluptueuse, ac

Ce conte merite de me divertir: Quelqu'un ', en certaine eschole grecque, parloit hault, comme moy; le maistre des cerimonies luy manda qu'il parlast plus bas : « Qu'il m'envoye, feit il, le ton auquel il veult que ie parle. » L'aultre luy repliqua,« Mais un tel en mourut. » Si ferez vous; sinon de Qu'il prinst son ton des aureilles de celuy à qui Il parloit. » C'estoit bien dict, pourveu qu'il s'entende, « Parlez selon ce que vous avez à faire à vostre auditeur; » car si c'est à dire, « Suffise vous qu'il vous oye, ou Reiglez vous par luy,»ceptez la ; c'est tousiours autant de bien present: ie ne treuve pas que ce feust raison. Le ton et ie ne m'arresteray ny au nom, ny à la couleur, mouvement de la voix a quelque expression et si elle est delicieuse et appetissante; le plaisir est signification de mon sens ; c'est à moy à le con- des principales especes du proufit. I'ay laissé enduire pour me representer : il y a voix pour ins-vieillir et mourir en moy, de mort naturelle, des truire, voix pour flatter, ou pour tanser; ie veulx que ma voix non seulement arrive à luy, mais à l'adventure, qu'elle le frappe, et qu'elle le perce. Quand ie mastine mon laquay d'un ton aigre et poignant, il seroit bon qu'il veinst à me dire: « Mon maistre, parlez plus doulx, ie vous oy bien. » Est quædam vox ad auditum accommodata, non magnitudine, sed proprietate. La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l'escoute; cettuy cy se doibt preparer à

Sans-Malice, médecin de François Ier, se fit appeler en grec Akakia (άxxxíz). Plus tard, Van der Beken s'appela Torrentius; Voorbroek, Perizonius, etc. Sous Louis XIV, deux jésuites changèrent leur nom, qui leur semblait ridicule : le P. Annat se nommait le P. Canard (Anas), et le P. Commire, le P. Commère. J. V. L.

1 C'était Carneade. Voy. la Vie de ce philosophe dans DioGÈNE LAERCE, IV, 63. C.

Il y a une sorte de voix qui est faite pour l'oreille, non pas tan: par son étendue que par sa propriété. QUINTILIEN, XI, 3.

rheumes, defluxions goutteuses, relaxations, battements de cœur, micraines, et aultres accidents, que i'ay perdus quand ie m'estois à demy formé à les nourrir : on les coniure mieulx par courtoisie que par braverie. Il fault souffrir doulcement les loix de nostre condition: nous sommes pour vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C'est la premiere leçon que les Mexicains font à leurs enfants, quand au partir du ventre des meres, il les vont saluant ainsin : « Enfant, tu es venu au monde pour endurer; endure, souffre, et tais toy. » C'est iniustice, de se douloir qu'il soit advenu à quelqu'un ce qui peult advenir à chascun indignare,

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si quid in te inique proprie constitutum est. Veoyez un vieillard qui demande à Dieu qu'il luy maintienne sa santé entiere et vigoreuse, c'est à dire qu'il le remette en ieunesse :

Stulte, quid hæc frustra votis puerilibus optas 1?

n'est ce pas folie? sa condition ne le porte pas. La goutte, la gravelle, l'indigestion, sont symptomes des longues annees; comme des longs voyages, la chaleur, les pluyes et les vents. Platon3 ne croit pas qu'Aesculape se meist en peine de prouveoir par regimes à faire durer la vie en un corps gasté et imbecille, inutile à son pays, inutile à sa vacation, et à produire des enfants sains et robustes; et ne treuve pas ce soing convenable à la iustice et prudence divine, qui doibt conduire toutes choses à utilité. Mon bon homme, c'est faict: on ne vous sçauroit redresser; on vous plastrera pour le plus, et estansonnera un peu, et alongera lon de quelque heure vostre misere:

Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,
Diversis contra nititur obiicibus;
Donec certa dies, omni compage soluta,

Ipsum cum rebus subruat auxilium 4.

Il fault apprendre à souffrir ce qu'on ne peult eviter nostre vie est composee, comme l'harmonie du monde, de choses contraires, aussi de divers tons, doulx et aspres, aigus et plats, mols et graves; le musicien qui n'en aymeroit que les uns, que vouldroit il dire? il fault qu'il s'en scache servir en commun, et les mesler; et nous aussi, les biens et les maulx, qui sont consubstantiels à nostre vie nostre estre ne peult, sans ce meslange; et y est l'une bande non moins necessaire que l'aultre. D'essayer à regimber contre la necessité naturelle, c'est representer la folie de Ctesiphon 5, qui entrepenoit de faire à coups de pied avecques sa mule.

Je consulte peu des altérations que ie sens; car ces gents icy sont advantageux, quand ils vous tiennent à leur misericorde : ils vous gourmandent les aureilles de leurs prognosticques; et me surprenants aultrefois affoibly du mal, m'ont iniurieusement traicté de leurs dogmes et trongne magistrale, me menaceants, tantost de grandes

■ Plains-toi, si l'on t'impose à toi seul une injuste loi. SÉNÈQUE, Epist. 91.

■ Insensé! à quoi bon ces vœux puérils, qui ne sauraient être accomplis? OVIDE, Trist. III, 8, 11.

3 République, liv. III, pag. 423. C.

4 Ainsi celui qui veut soutenir un bâtiment, l'étaye dans les endroits où il menace ruine; mais enfin toute la charpente se désunit, et les étais tombent avec l'édifice. PSEUDO-GALLUS, 1, 171.

5 Certain escrimeur, dont Plutarque rapporte cela dans le traité, Comment il fault refrener la cholere, c. 8 de la version d'Amyot. C.

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douleurs, tantost de mort prochaine. Ie n'en estois abbattu ny deslogé de ma place; mais l'en estoy heurté et poulsé : si mon iugement n'en estoit ny changé ny troublé, au moins il en estoit empesché; c'est tousiours agitation et combat.

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cement que ie puis, et la deschargeroy, si ie pouvoy, de toute peine et contestation; il la fault secourir, et flatter; et piper', qui peult: mon esprit est propre à cet office; il n'a point faulte d'apparences par tout; s'il persuadoit, comme il presche, il me secourroit heureusement. Vous en en plaist il un exemple? Il dict « Que c'est pour << mon mieulx que i'ay la gravelle; que les bas« timents de mon aage ont naturellement à souf<< frir quelque gouttiere: il est temps qu'ils com« mencent à se lascher et desmentir; c'est une «< commune necessité, et n'eust on pas faict pour « moy un nouveau miracle: ie paye, par là, «<le loyer deu à la vieillesse, et ne sçaurois en avoir meilleur compte : Que la compaignie me « doibt consoler, estant tumbé en l'accident le plus ordinaire des hommes de mon temps: i'en « veoy par tout d'affligez de mesme nature de << mal; et m'en est la societé honnorable, d'autant « qu'il se prend plus volontiers aux grands; son « essence a de la noblesse et de la dignité : Que des hommes qui en sont frappez, il en est peu « de quittes à meilleure raison; et si, il leur couste << la peine d'un fascheux regime, et la prinse en« nuyeuse et quotidienne des drogues medecina« les là où ie le dois purement à ma bonne fortune; car quelques bouillons communs, de l'eryngium' et herbe du Turc, que deux ou trois « fois i'ay avallez en faveur des dames qui, plus gratieusement que mon mal n'est aigre, m'en << offroient la moitié du leur, m'ont semblé egua«<lement faciles à prendre, et inutiles en opera«<tion : ils ont à payer mille vous à Aesculape, << et autant d'escus à leur medecin, de la proflu« vion3 de sable aysee et abondante, que ie receoy « souvent par le benefice de nature: la decence « mesme de ma contenance en compaignie n'en << est pas troublee; et porte mon eau dix heures, « et aussi long temps qu'un sain. La crainte de «< ce mal, faict il, t'effrayoit aultrefois, quand «< il t'estoit incogneu; les cris et le desespoir de

Or ie traicte mon imagination le plus doul

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. ceulx qui l'aigrissent par leur impatience, t'en | « des maladies medecinales et salutaires. La choengendroient l'horreur. C'est un mal qui te bat

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« les membres par lesquels tu as le plus failly: « tu es homme de conscience,

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lique est souvent non moins vivace que vous : il se veoid des hommes ausquels elle a continué depuis leur enfance iusques à leur extreme vieil«lesse; et s'ils ne luy eussent failly de compaignie, << elle estoit pour les assister plus oultre: vous la « tuez plus souvent qu'elle ne vous tue. Et quand elle te presenteroit l'image de la mort voysine,

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« seroit ce pas un bon office à un homme de tel

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aage, de le ramener aux cogitations de sa fin?

Quæ venit indigne pœna, dolenda venit '; regarde ce chastiement; il est bien doulx au prix d'aultres, et d'une faveur paternelle : regarde sa tardifveté; il n'incommode et occupe que la saison de ta vie qui, ainsi comme ainsin', «est meshuy perdue et sterile, ayant faict place « à la licence et plaisirs de ta ieunesse, comme « par composition. La crainte et pitié que le peuple a de ce mal, te sert de matiere de gloire; qualité de laquelle si tu as le iugement purgé, « et en as guary ton discours 3, tes amis pourtant « en recognoissent encores quelque teincture en "ta complexion. Il y a plaisir à ouyr dire de soy, Voylà bien de la force, voylà bien de la patience. On te veoid suer d'ahan, pallir, rougir, « trem

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bler, vomir iusques au sang, souffrir des con«tractions et convulsions estranges, degoutter « par fois de grosses larmes des yeulx, rendre « les urines espesses, noires et effroyables, ou les avoir arrestees par quelque pierre espineuse «<et herissee qui te poinct et escorche cruellement « le col de la verge; entretenant ce pendant les assistants, d'une contenance commune, bouf« fonnant à pauses avecques tes gents, tenant ta 4 partie en un discours tendu, excusant de pa« role ta douleur, et rabbattant de ta souffrance. « Te souvient il de ces gents du temps passé, qui « recherchoient les maulx avecques si grand' faim, « pour tenir leur vertu en haleine et en exercice? mets le cas que nature te porte et te poulse à « cette glorieuse eschole, en laquelle tu ne feusses «< iamais entré de ton gré. Si tu me dis que c'est << un mal dangereux et mortel : quels aultres ne <«<le sont ? car c'est une piperie medecinale, d'en « excepter aulcuns qu'ils disent n'aller point de droict fil à la mort : qu'importe, s'ils y vont « par accident, ou s'ils glissent et gauchissent « ayseement vers la voye qui nous y meine? Mais « tu ne meurs pas de ce que tu es malade; tu «< meurs de ce que tu es vivant : la mort te tue bien, sans le secours de la maladie; et à d'aulcuns « les maladies ont esloingné la mort, qui ont plus « vescu, de ce qu'il leur sembloit s'en aller mou« rant. Ioinct qu'il est, comme des playes, aussi

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Et qui pis est, tu n'as plus pourquoy guarir: ainsi comme ainsin, au premier iour la com« mune necessité t'appelle. Considere combien artificiellement et doulcement elle te desgouste de la vie et desprend du monde; non te for«< ceant d'une subiection tyrannique, comme tant d'aultres maulx que tu veois aux vieillards, qui les tiennent continuellement entravez, et sans relasche, de foiblesses et douleurs; mais par advertissements, et instructions reprinses à intervalles; entremeslant des longues pauses de « repos, comme pour te donner moyen de mediter et repeter sa leçon à ton ayse. Pour te donner « moyen de iuger sainement, et prendre party en homme de cœur, elle te presente l'estat de ta « condition entiere et en bien et en mal; et en « mesme iour, une vie tres alaigre tantost, tan«tost insupportable. Si tu n'accolles la mort, « au moins tu lui touches en paulme', une fois le mois par où tu as de plus à esperer qu'elle t'at‹ trappera un iour sans menace; et qu'estant si << souvent conduict iusques au port, te fiant d'estre << encores aux termes accoustumez, on t'aura, et « ta fiance, passé l'eau un matin inopineement. « On n'a point à se plaindre des maladies qui partagent loyalement le temps avecques la santé. »

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le suis obligé à la fortune, dequoy elle m'assault si souvent de mesme sorte d'armes : elle m'y façonne, et m'y dresse par usage, m'y durcit et habitue: ie sçay à peu prez meshuy en quoy l'en dois estre quitte. A faulte de memoire naturelle, i'en forge de papier : et comme quelque nouveau symptome survient à mon mal, ie l'escris; d'où il advient qu'asture, estant quasi passé par toute sorte d'exemples, si quelque estonnement me menace, feuillettant ces petits brevets descousus, comme des feuilles sibyllines, ie ne faulx plus de trouver où me consoler de quelque prognosticque favorable, en mon experience passee'. Me sert aussi l'accoustumance à mieulx es

Dans la paume de la main. E. J.

C'est le recueil de ces petits brevets qui compose en partie le Journal du Voyage de Montaigne en Italie, publié en 1774:

Le pis que ie veoye aux aultres maladies, c'est qu'elles ne sont pas si griefves en leur effect, comme elles sont en leur yssue: on est un an à se ravoir, tousiours plein de foiblesse et de crainte. Il y a tant de hazard, et tant de degrez à se reconduire à sauveté, que ce n'est iamais faict : avant qu'on vous aye deffublé d'un couvrechef, et puis d'une calotte; avant qu'on vous aye rendu l'usage de l'air, et du vin, et de vostre femme, et des melons, c'est grand cas si vous n'estes recheu en quelque nouvelle misere. Cette cy a ce privilege, qu'elle s'emporte tout net : là où les aultres laissent tousiours quelque impression et alteration qui rend le corps susceptible de nouveau mal, et se prestent la main les uns aux aultres. Ceulx là sont excusables, qui se contentent de leur possession sur nous sans l'estendre et sans introduire leur sequelle; mais courtois et gratieux sont ceulx de qui le passage nous apporte quelque utile consequence. Depuis ma cholique, ie me

perer pour l'advenir : car la conduicte de ce vui- | demangeaison que leur pesanteur avoit causé en dange ayant continué si long temps, il est à croire ses iambes, il se resiouït à considerer l'estroicte que nature ne changera point ce train, et n'en alliance de la douleur à la volupté; comme elles adviendra aultre pire accident que celuy que ie sont associees d'une liaison necessaire, si qu'à sens. En oultre, la condition de cette maladie n'est tours', elles se suyvent et entr'engendrent; et point mal advenante à ma complexion prompte s'escrioit au bon Esope, qu'il deust avoir prins de et soubdaine : quand elle m'assault mollement, cette consideration un corps propre à une belle elle me faict peur, car c'est pour long temps; mais fable 2. naturellement, elle a des excez vigoreux et gaillards, elle me secoue à oultrance, pour un iour ou deux. Mes reins ont duré un aage sans alteration; il y en a tantost un aultre qu'ils ont changé d'estat les maulx ont leur periode comme les biens, à l'adventure est cet accident à sa fin. L'aage affoiblit la chaleur de mon estomach; sa digestion en estant moins parfaicte, il renvoye cette matiere crue à mes reins: pourquoy ne pourra estre, à certaine revolution, affoiblie pareillement la chaleur de mes reins, si bien qu'ils ne puissent plus petrifier mon flegme; et nature s'acheminer à prendre quelque aultre voye de purgation? Les ans m'ont evidemment faict tarir aulcuns rheumes; pourquoy non ces excrements qui fournissent de matiere à la grave? Mais est il rien doulx au prix de cette soubdaine mutation, quand d'une douleur extreme, ie viens par le vuidange de ma pierre, à recouvrer, comme d'un esclair, la belle lumiere de la santé, si libre et si pleine, comme il advient en nos soubdaines et plus aspres choli-treuve deschargé d'aultres accidents, plus ce me ques? Y a il rien en cette douleur soufferte, qu'on puisse contrepoiser au plaisir d'un si prompt amendement? De combien la santé me semble plus belle aprez la maladie, si voysine et si contiguë, que ie les puis recognoistre, en presence l'une de l'aultre, en leur plus hault appareil; où elles se mettent à l'envy, comme pour se faire teste et contrecarre'! Tout ainsi que les stoïciens, qui disent que les vices sont utilement introduicts pour donner prix et faire espaule à la vertu2; nous pouvons dire, avecques meilleure raison, et coniecture moins hardie, que nature nous a presté la douleur pour l'honneur et service de la volupté et indolence. Lors que Socrates, aprez qu'on l'eust deschargé de ses fers, sentit la friandise de cette

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semble que ie n'estois auparavant, et n'ay point eu de fiebvre depuis ; i'argumente que les vomissements extremes et frequents que ie souffre, me purgent: et d'aultre costé, mes des goustements, et les ieusnes estranges que ie passe, digerent mes humeurs peccantes; et nature vuide, en ces pierres, ce qu'elle a de superflu et nuisible. Qu'on ne me die point que c'est une medecine trop cher vendue: car quoy, tant de puants bruvages, cauteres, incisions, suees, setons, dietes, et tant de formes de guarir, qui nous apportent souvent la mort, pour ne pouvoir soustenir leur violence et importunité? Par ainsi, quand ie suis attainct, ie le prens à medecine; quand ie suis exempt, ie le prens à constante et entiere delivrance.

Voycy encores une faveur de mon mal, particuliere : c'est qu'à peu prez, il faict son ieu à part, et me laisse faire le mien, où il ne tient qu'à faulte de courage; en sa plus grande esmotion, ie l'ay tenu dix heures à cheval. Souffrez seulement, Vous n'avez que faire d'aultre regime; iouez, disnez, courez, faictes cecy, et faictes encores cela

Si bien que tour à tour, etc. E. J.

2 PLATON, Phedon, p. 60. C.

si vous pouvez; vostre desbauche y servira plus |
qu'elle n'y nuira. Dites en autant à un verolé,
à un goutteux, à un hernieux. Les aultres mala-
dies ont des obligations plus universelles, gehen-
nent bien aultrement nos actions, troublent tout
nostre ordre, et engagent à leur consideration
tout l'estat de la vie : cette cy ne faict que pin-
cer la peau; elle vous laisse l'entendement et la
volonté en vostre disposition, et la langue, et les
pieds, et les mains; elle vous esveille plustost
qu'elle ne vous assopit. L'ame est frappee de l'ar-
deur d'une fiebvre, et atterree d'une epilepsie,
et disloquee par une aspre micraine, et enfin es-
tonnee par toutes les maladies qui blecent la masse
et les plus nobles parties: icy, on ne l'attaque
point; s'il luy va mal, à sa coulpe'; elle se tra-
hit elle mesme,
s'abbandonne et se desmonte. Il
n'y a que les fols qui se laissent persuader que ce
corps dur et massif qui se cuit en nos roignons,
se puisse dissouldre par bruvages: parquoy, de-
puis qu'il est esbranlé, il n'est que de luy don-
ner passage; aussi bien le prendra il.

recognoistre mon pouls et mes urines, pour y prendre quelque prevoyance ennuyeuse : ie seray assez à temps à sentir le mal, sans l'alonger par le mal de la peur. Qui craint de souffrir, il souffre desia de ce qu'il craint. Ioinct que la dubitation et ignorance de ceulx qui se meslent d'expliquer les ressorts de nature et ses internes progrez, et tant de fauls prognosticques de leur art, nous doibt faire cognoistre qu'elle a ses moyens infiniement incogneus: il y a grande incertitude, varieté et obscurité, de ce qu'elle nous promet ou menace. Sauf la vieillesse, qui est un signe indubitable de l'approche de la mort, de touts les aultres accidents, ie veoy peu de signes de l'advenir, sur quoy nous ayons à fonder nostre divination. Ie ne me iuge que par vray sentiment, non par discours : à quoy faire? puis que ie n'y veulx apporter que l'attente et la patience. Voulez vous sçavoir combien ie gaigne à cela? regardez ceulx qui font aultrement, et qui dependent de tant de diverses persuasions et conseils, combien souvent l'imagination les presse sans le corps. l'ay maintesfois prins plaisir, estant en seureté et delivré de ces accidents dangereux, de les communiquer aux medecins, comme naissants lors en moy: ie souffroy l'arrest de leurs horribles conclusions, bien à mon ayse; et en demeuroy de tant plus obligé à Dieu de sa grace, et mieulx instruict de la vanité de cette art.

Ie remarque encores cette particuliere commodité, que c'est un mal auquel nous avons peu à deviner : nous sommes dispensez du trouble auquel les aultres maulx nous iectent par l'incertitude de leurs causes, et conditions, et progrez; trouble infiniement penible: nous n'avons que faire de consultations et interpretations doctorales; les sens nous monstrent que c'est, et où c'est. Par tels arguments, et forts et foibles, comme Cicero' le mal de sa vieillesse, i'essaye d'endormir et amuser mon imagination, et graisser ses playes. Si elles s'empirent demain, demain nous y pourveoirons d'aultres eschappatoires. Qu'il soit vray : voycy, depuis de nouveau, que les plus legiers mouvements espreignent3 le pur sang de mes reins; quoy pour cela? ie ne laisse de me mouvoir comme devant, et picquer aprez mes chiens, d'une iuvenile ardeur et insolente; et treuve que l'ay grand'raison d'un si important accident, qui ne me couste qu'une sourde poisanteur et alteration en cette partie : c'est quelque grosse pierre, qui foule et consomme la subs-royale; un peu bien couvert. On ne bassine iamais tance de mes roignons, et ma vie, que ie vuide peu à peu, non sans quelque naturelle doulceur, comme un excrement hormais superflu et empeschant. Or sens ie quelque chose qui croule? ne vous attendez pas que i'aille m'amusant à

1 C'est sa faute. E. J.

Il n'est rien qu'on doibve tant recommender à la ieunesse que l'activité et la vigilance: nostre vie n'est que mouvement. Ie m'esbranle difficilement, et suis tardif par tout; à me lever, à me coucher, et à mes repas : c'est matin pour moy que sept heures; et où le gouverne, ie ne disne ny avant unze, ny ne souppe qu'aprez six heures. I'ay aultrefois attribué la cause des fiebvres et maladies où ie suis tumbé, à la pesanteur et assopissement que le long sommeil m'avoit apporté; et me suis tousiours repenty de me rendormir le matin. Platon veult plus de mal à l'excez du dormir, qu'à l'excez du boire. l'ayme à coucher dur, et seul; voire sans femme, à la

mon lict: mais depuis la vieillesse, on me donne, quand i'en ay besoing, des draps à eschauffer les pieds et l'estomach. On trouvoit à redire au grand Scipion, d'estre dormart'; non à mon advis pour aultre raison, sinon qu'il faschoit

I DIOGENE LAERCE, Vie de Platon, III, 39; et PLATON lui

2 Táche d'adoucir et d'amuser le mal de sa vieillesse (dans même, Lois, VII, 13, pag. 892. J. V. L. son livre de Senectute), j'essaye d'endormir, etc. C.

3 Expriment, tirent, font sortir. E. J.

2 PLUTARQUE, Qu'il est requis qu'un prince soit savant, c. 6, à la fin. C.

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