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tateurs (car, de semblables, ie fois grand doubte | prouveoir à leur seureté, voire avant que d'avoir qu'il y en ait eu), une si parfaicte habitude à la recogneu le peril : Que nous et les Espaignols, vertu, qu'elle leur est passee en complexion. Ce qui n'estions pas si fins, allions plus oultre; et n'est plus vertu penible, ny des ordonnances de la qu'il nous falloit faire veoir à l'œil et toucher à raison, pour lesquelles maintenir il faille que leur la main le dangier, avant que de nous en effroyer; ame se roidisse; c'est l'essence mesme de leur ame, et que lors aussi nous n'avions plus de tenue : c'est son train naturel et ordinaire; ils l'ont rendue mais Que les Allemans et les Souysses, plus grostelle par un long exercice des preceptes de la phi- siers et plus lourds, n'avoient le sens de se radlosophie, ayants rencontré une belle et riche na- viser, à peine lors mesme qu'ils estoient accablez ture les passions vicieuses qui naissent en nous soubs les coups. Ce n'estoit à l'adventure que pour ne treuvent plus par où faire entree en eulx; la rire. Si est il bien vray qu'au mestier de la guerre force et roideur de leur ame estouffe et esteinct les apprentifs se iectent bien souvent aux hazards, les concupiscences aussitost qu'elles commencent d'aultre inconsideration qu'ils ne font aprez y à s'esbranler. avoir esté eschauldez :

Or, qu'il ne soit plus beau, par une haulte et divine resolution, d'empescher la naissance des tentations, et de s'estre formé à la vertu, de maniere que les semences mesmes des vices en soyent desracinees, que d'empescher à vifve force leur progrez, et s'estant laissé surprendre aux esmotions premieres des passions, s'armer et se bander pour arrester leur course et les vaincre; et que ce second effect ne soit encores plus beau, que d'estre simplement garny d'une nature facile et debonnaire, et desgoustee par soy mesme de la desbauche et du vice, ie ne pense point qu'il y ait doubte: car cette tierce et derniere façon, il semble bien qu'elle rende un homme innocent, mais non pas vertueux; exempt de mal faire, mais non assez apte à bien faire : ioinct que cette condition est si voysine à l'imperfection et à la foiblesse, que ie ne sçay pas bien comment en desmesler les confins et les distinguer; les noms mesmes de Bonté et d'Innocence sont à cette cause

aulcunement noms de mespris. Ie veoy que plusieurs vertus, comme la chasteté, sobrieté et temperance, peuvent arriver à nous par defaillance corporelle; la fermeté aux dangiers (si fermeté il la faut appeller), le mespris de la mort, la patience aux infortunes, peuvent venir et se treuvent souvent aux hommes par faulte de bien iuger de tels accidents, et ne les concevoir tels qu'ils sont : la faulte d'apprehension et la bestise contrefont ainsi par fois les effects vertueux; comme i'ay veu souvent advenir qu'on a loué des hommes de ce dequoy ils meritoient du blasme. Un seigneur italien tenoit une fois ce propos en ma presence, au desadvantage de sa nation : Que la subtilité des Italiens et la vivacité de leurs

Haud ignarus... quantum nova gloria in armis, Et prædulce decus, primo certamine, possit1. Voylà pourquoy, quand on iuge d'une action particuliere, il fault considerer plusieurs circonstances, et l'homme tout entier qui l'a produicte, avant la baptizer.

Pour dire un mot de moy mesme i'ay veu quelquesfois mes amis appeller prudence en moy ce qui estoit fortune; et estimer advantage de courage et de patience ce qui estoit advantage de iugement et opinion; et m'attribuer un tiltre pour

aultre, tantost à mon gaing, tantost à ma perte. Au demourant, il s'en fault tant que ie sois arrivé à ce premier et plus parfaict degré d'excellence, où de la vertu il se faict une habitude, que du second mesme ie n'en ay faict gueres de preuves. Ie ne me suis mis en grand effort pour brider les desirs dequoy ie me suis trouvé pressé : ma vertu, c'est une vertu, ou intuite. Si ie feusse nay d'une complexion plus nocence, pour mieulx dire, accidentale et fordesreiglee, ie crains qu'il feust allé piteusement de mon faict; car ie n'ay essayé gueres de fermeté en mon ame pour soustenir des passions, si elles eussent esté tant soit peu vehementes : ie ne sçay point nourrir des querelles et du debat chez moy. Ainsi, ie ne me puis dire nul grand mercy dequoy ie me treuve exempt de plusieurs

vices;

Si vitiis mediocribus et mea paucis
Mendosa est natura, alioqui recta: velut si
Egregio inspersos reprehendas corpore nævos:
ie le dois plus à ma fortune qu'à ma raison. Elle

conceptions estoit si grande, qu'ils preveoyoient gloire, et la douce espérance d'un premier triomphe. VIRG.

les dangiers et accidents qui leur pouvoient advenir, de si loing, qu'il ne falloit pas trouver estrange si on les veoyoit souvent à la guerre

On sait ce que peut sur un jeune guerrier la soif de la Eneid. XI, 154.

2 Si je n'ai que des défauts peu considérables et en petit nombre, comme quelques taches légères qui seraient éparses sur un beau visage. Hon. Sat. I, 6, 65.

mie, et d'un tres bon pere: ie ne sçay s'il a es-
coulé en moy partie de ses humeurs, ou bien si
les exemples domestiques, et la bonne institu-
tion de mon enfance, y ont insensiblement aydé,
ou si ie suis aultrement ainsi nay,

Seu Libra, seu me Scorpius adspicit
Formidolosus, pars violentior

m'a faict naistre d'une race fameuse en preud'hom- | pour estre bon tout à faict, il nous le faille estre par occulte, naturelle et universelle proprieté, sans loy, sans raison, sans exemple? Les desbordements ausquels ie me suis trouvé engagé ne sont pas, Dieu mercy, des pires; ie les ay bien condemnez chez moy selon qu'ils le valent, car moniugement ne s'est pas trouvé infecté par eulx; au rebours, ie les accuse plus rigoureusement en moy qu'en un aultre : mais c'est tout; car, au demourant, i'y apporte trop peu de resistance, et me laisse trop ayseement pencher à l'aultre part de la balance, sauf pour les reigler et empescher du meslange d'aultres vices, lesquels s'entretiennent et s'entr'enchaisnent pour la pluspart les uns aux aultres, qui ne s'en prend garde; les miens, ie les ay retrenchez et contraincts les plus seuls et les plus simples que i'ay peu ;

Natalis horæ, seu tyrannus
Hesperia Capricornus undæ ';

mais tant y a que la pluspart des vices, ie les
ay de moy mesme en horreur. Le mot d'Antis-
thenes à celuy qui luy demandoit le meilleur
apprentissage, « Desapprendre le mal2, » semble
s'arrester à cette image. Ie les ay, dis ie, en hor-
reur, d'une opinion si naturelle et si mienne,
que ce mesme instinct et impression que i'en
ay apporté de la nourrice, ie l'ay conservé sans
qu'aulcunes occasions me l'ayent sceu faire al-
terer; voire non pas mes discours propres, qui
pour s'estre desbandez en aulcunes choses de la
route commune, me licentieroient ayseement à
des actions que cette naturelle inclination me
faict haïr. Je diray un monstre, mais ie le diray
pourtant ie treuve par là en plusieurs choses
plus d'arrest et de reigle en mes mœurs qu'en
mon opinion; et ma concupiscence moins desbau-
chee que ma raison. Aristippus establit des opi-
nions si hardies en faveur de la volupté et des
richesses, qu'il meit en rumeur toute la philo-
sophie à l'encontre de luy mais quant à ses
mœurs, Dionysius le tyran luy ayant presenté
trois belles garses pour qu'il en feist le chois, il
respondit qu'il les choisissoit toutes trois, et qu'il
avoit mal prins à Paris d'en preferer une à ses
compaignes; mais les ayant conduictes à son lo-
gis, il les renvoya sans en taster 3. Son valet se
trouvant surchargé en chemin de l'argent qu'il
portoit aprez luy, il luy ordonna qu'il en versast
et iectast là ce qui luy faschoit 4. Et Epicurus,
duquel les dogmes sont irreligieux et delicats,
se porta en sa vie tres devotieusement et laborieu-
sement il escrit à un sien amy qu'il ne vit que
de pain bis et d'eau; le prie de luy envoyer un
peu de fromage, pour quand il vouldra faire
quelque sumptueux repas 5, Seroit il vray que

'Soit que je sois né sous le signe de la Balance, ou sous celui du Scorpion, dont le regard est si terrible au moment de la naissance, ou sous le Capricorne, qui règne sur les mers d'Occident. HOR. Od. II', 17, 17. C.

2 DIOGÈNE LAERCE, VI, 17. C.

3 ID. II, 67. C.

4 ID. ibid. 17; et HORACE, Sat. II, 3, 100. C.

5 DIOGENE LAERCE, X, II. C.

Errorem foveo'.

Nec ultra

Car quant à l'opinion des stoïciens, qui disent,
« le sage œuvrer, quand il œuvre, par toutes les
vertus ensemble, quoy qu'il y en ayt une plus
apparente, selon la nature de l'action » (et à cela
leur pourroit servir aulcunement la similitude du
corps humain; car l'action de la cholere ne se
peult exercer que toutes les humeurs ne nous y
aydent, quoy que la cholere predomine): si de
là ils veulent tirer pareille consequence, que quand
le faultier fault, il fault par touts les vices en-
semble, ie ne les en croy pas ainsi simplement,
ou ie ne les entens pas; car ie sens par effect
le contraire : ce sont subtilitez aiguës, insubs-
tantielles, ausquelles la philosophie s'arreste par
fois. Ie suy quelques vices; mais i'en fuy d'aultres
autant que sçauroit faire un sainct. Aussi desad-

vouent les peripateticiens cette connexité et cous-
ture indissoluble; et tient Aristote, qu'un homme
prudent et iuste peult estre et intemperant et
incontinent. Socrates advouoit à ceulx qui reco-
gnoissoient en sa physionomie quelque inclination
au vice, que c'estoit, à la verité, sa propension
naturelle, mais qu'il l'avoit corrigee par dis-
cipline et les familiers du philosophe Stilpo
disoient qu'estant nay subiect au vin et aux
femmes, il s'estoit rendu par estude tres abstinent
de l'un et de l'aultre 3.

2

Ce que i'ay de bien, ie l'ay, au rebours, par le sort de ma naissance; ie ne le tiens ny de loy, ny de precepte, ou aultre apprentissage: l'in

'Hors de là, je ne suis pas vicieux. JUVENAL, Sat. VIII,

164.

2 CIC. Tuse. quæst. IV, 37. C.
3 CIC. de Fato, c. 5. C.

Quis non malarum, quas amor curas habet,
Hæc inter obliviscitur *?

nocence qui est en moy est une innocence niaise; | perions le moins; cette secousse, et l'ardeur de peu de vigueur, et point d'art. Ie hay, entre aul- ces huees, nous frappe si bien, qu'il seroit mal tres vices, cruellement la cruauté, et par nature aysé à ceulx qui ayment cette sorte de petite et par iugement, comme l'extreme de touts les chasse, de retirer sur ce poinct la pensee ailvices; mais c'est iusques à telle mollesse, que ie leurs et les poëtes font Diane victorieuse du ne veoy pas esgorger un poulet sans desplaisir, brandon et des fleches de Cupidon : et oy impatiemment gemir un lievre soubs les dents de mes chiens, quoy que ce soit un plaisir violent que la chasse. Ceulx qui ont à combattre la volupté usent volontiers de cet argument, pour monstrer qu'elle est toute vicieuse et desraisonnable, «Que lorsqu'elle est en son plus grand effort, elle nous maistrise de façon que la raison n'y peult avoir accez1;» et alleguent l'experience que nous en sentons en l'accointance des femmes,

Quum iam præsagit gaudia corpus, Atque in eo est Venus, ut muliebria conserat arva': où il leur semble que le plaisir nous transporte si fort hors de nous, que nostre discours ne sçauroit lors faire son office, tout perclus et ravy en la volupté. Le sçay qu'il en peult aller aultrement, et qu'on arrivera par fois, si on veult, à reiecter l'ame, sur ce mesme instant, à aultres pensements: mais il la fault tendre et roidir d'aguet 3. Ie sçay qu'on peult gourmander l'effort de ce plaisir : et m'y cognoy bien; et n'ay point trouvé Venus si imperieuse deesse, que plusieurs et plus reformez que moy la tesmoignent. Ie ne prens pour miracle, comme faict la royne de Navarre en l'un des contes de son Heptameron (qui est un gentil livre pour son estoffe), ny pour chose d'extreme difficulté, de passer des nuicts entieres, en toute commodité et liberté, avecques une maistresse de long temps desiree, maintenant la foy qu'on luy aura engagee de se contenter des baisers et simples attouchements. Ie croy que l'exemple du plaisir de la chasse y seroit plus propre comme il y a moins de plaisir, il y a plus de ravissement et de surprinse, par où nostre raison estonnee perd ce loisir de se preparer à l'encontre, lors qu'aprez une longue queste la beste vient en sursault à se presenter en lieu où à l'adventure nous l'es

ICIC. de Senect. c. 12. J. V. L.

2 Aux approches du plaisir, au moment où Vénus va fé

conder son domaine. LUCRÈCE, IV, 1099.

3 C'est-à-dire de guet à pens, appensé, ou pourpensé, de propos deliberé, ex præparato, dedita opera. NICOT. De guetter on a fait le composé aguetter, d'où aguet et d'aguet. MÉNAGE, dans son Dictionnaire étymologique. Au lieu d'aguet, nous disons aujourd'hui de guet-apens; et cela par corruption pour de guet appensé, dont on se servait autrefois pour dire de propos délibéré. Appenser est un vieux mot qui se trouve souvent dans les grandes chroniques de France, pour délibérer. MÉNAGE, ibid. C.

Pour revenir à mon propos, ie me compassionne fort tendrement des afflictions d'aultruy', et pleurerois ayseement par compaignie si, pour occasion que ce soit, ie sçavoy pleurer. Il n'est rien qui tente mes larmes que les larmes, non vrayes seulement, mais comment que ce soit, ou feinctes ou peinctes. Les morts, ie ne les plains gueres, et les envieroy plustost; mais ie plains bien fort les mourants. Les sauvages ne m'offensent pas tant de rostir et manger les corps des trespassez, que ceulx qui les tormentent et persecutent vivants. Les executions mesmes de la iustice, pour raisonnables qu'elles soient, ie ne les puis veoir d'une veue ferme. Quelqu'un ayant à tesmoigner la clemence de Iulius Cesar : « Il estoit, diet il, doulx en ses vengeances : ayant forcé les pirates de se rendre à luy, qui l'avoient auparavant prins prisonnier et mis à rançon; d'autant qu'il les avoit menacez de les faire mettre en croix, il les y condemna, mais ce feut aprez les avoir faict estrangler. Philemon, son secretaire, qui l'avoit voulu empoisonner, il ne le punit pas plus aigrement que d'une mort simple. » Sans dire qui est cet aucteur latin', qui ose alleguer pour tesmoignage de clemence, de seulement tuer ceulx desquels on a esté offensé, il 'est aysé à deviner qu'il est frappé des vilains et horribles exemples de cruauté que les tyrans romains meirent en usage.

Quant à moy, en la iustice mesme, tout ce qui est au delà de la mort simple me semble pure cruauté; et notamment à nous, qui debvrions avoir respect d'envoyer les ames en bon estat; ce qui ne se peult, les ayants agitees et desesperees par torments insupportables. Ces iours passez, un soldat prisonnier ayant apperceu, d'une tour où il estoit, que le peuple s'assembloit en la place, et que des charpentiers y dressoient leurs ouvrages, creut que c'estoit pour luy; et entré en la resolution de se tuer, ne trouva qui l'y

1 Peut-on, au milieu de ces distractions, ne pas oublier les soucis du cruel amour? HOR. Epod. II, 37. Dans les premières éditions des Essais, Montaigne disait, après cette citation : « C'est icy un fagotage de pieces descousues: ie me suis destourné de ma voye pour dire ce mot de la chasse. » SVÉTONE, César, c. 74. C.

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peust secourir, qu'un vieux clou de charrette | taxerxes, l'aspreté des loix anciennes de Perse, rouillé, que la fortune luy offrit: dequoy il se ordonnant que les seigneurs qui avoient failly donna premierement deux grands coups autour en leur charge, au lieu qu'on les souloit fouetter, de la gorge; mais veoyant que ce avoit esté sans feussent despouillez, et leurs vestements fouettez effect, bientost aprez il s'en donna un tiers dans pour eulx; et au lieu qu'on leur souloit arrale ventre, où il laissa le clou fiché. Le premier cher les cheveux, qu'on leur ostast leur hault de ses gardes qui entra où il estoit, le trouva en chapeau seulement. Les Aegyptiens, si devocet estat, vivant encores, mais couché, et tout tieux, estimoient bien satisfaire à la iustice diaffoibly de ses coups. Pour employer le temps vine, luy sacrifiant des pourceaux en figure et avant qu'il defaillist, on se hasta de luy pronon-representez 2: invention hardie, de vouloir payer cer sa sentence; laquelle ouïe, et qu'il n'estoit en peincture et en umbrage Dieu, substance si condemné qu'à avoir la teste trenchee, il sembla essentielle! reprendre un nouveau courage, accepta du vin qu'il avoit refusé, remercia ses iuges de la doulceur inesperee de leur condemnation; qu'il avoit prins party d'appeller la mort, pour la crainte d'une mort plus aspre et insupportable, ayant conceu opinion, par les apprests qu'il avoit veu faire en la place, qu'on le voulsist tormenter de quelque horrible supplice; et sembla estre delivré de la mort, pour l'avoir changee'.

le conseilleroy que ces exemples de rigueur, par le moyen desquels on veult tenir le peuple en office, s'exerceassent contre les corps des criminels: car de les veoir priver de sepulture, de les veoir bouillir et mettre à quartiers, cela toucheroit quasi autant le vulgaire, que les peines qu'on faict souffrir aux vivants; quoyque, par effect, ce soit peu ou rien, comme Dieu dict, qui corpus occidunt, et postea non habent, quod faciant: et les poëtes font singulierement valoir l'horreur de cette peincture, et au dessus de la mort:

Heu! reliquias semiassi regis, denudatis ossibus,
Per terram sanie, delibutas foede divexarier 3!

le me rencontray un iour à Rome, sur le poinct
qu'on desfaisoit Catena, un voleur insigne : on
l'estrangla, sans aulcune esmotion de l'assistance;
mais quand on veint à le mettre à quartiers, le
bourreau ne donnoit coup, que le peuple ne
suyvist d'une voix plaintifve et d'une exclama-
tion, comme si chascun eust presté son senti-
ment à cette charongne. Il fault exercer ces inhu-
mains excez contre l'escorce, non contre le vif.
Ainsin amollit, en cas aulcunement pareil, Ar-

Les gens de goût qui voudront comparer ce récit dans l'édition de 1595, p. 277, et dans celle de 1802, t. II, p. 128, ne douteront pas que la première n'ait donné le vrai texte. J. V. L.

Ils tuent le corps, et après cela ne peuvent rien faire de plus. S. Luc, o. XII, v. 4.

3 Ah! ne leur laissez pas sur ces champs désolés Trainer d'un roi sanglant les os demi brûlés.

Cic. Tuscul. 1, 44.

Ie vis en une saison en laquelle nous abondons en exemples incroyables de ce vice, par la licence de nos guerres civiles; et ne veoid on rien aux histoires anciennes de plus extreme, que ce que nous en essayons touts les iours: mais cela ne m'y a nullement apprivoisé. A peine me pouvoy ie persuader, avant que ie l'eusse veu, qu'il se feust trouvé des ames si farouches, qui pour le seul plaisir du meurtre, le voulussent commettre; hacher et destrencher les membres d'aultruy; aiguiser leur esprit à inventer des torments inusitez et des morts nouvelles, sans inimitié, sans proufit, et pour cette seule fin de iouyr du plaisant spectacle des gestes et mouvements pitoyables, des gemissements et voix lamentables d'un homme mourant en angoisse. Car voylà l'extreme poinct où la cruauté puisse attaindre : ut homo hominem, non iratus, non timens, tantum spectaturus, occidat 3. De moy, ie n'ay pas sceu veoir seulement sans desplaisir poursuyvre et tuer une beste innocente qui est sans deffense, et de qui nous ne recevons aulcune offense; et comme il advient communement que le cerf se sentant hors d'haleine et de force,

n'ayant plus aultre remede, se reiecte et rend
dant mercy par ses larmes,
à nous mesmes qui le poursuyvons, nous deman-

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Primoque a cæde ferarum Incaluisse puto maculatum sanguine ferrum '. Les naturels sanguinaires à l'endroict des bestes tesmoignent une propension naturelle à la cruauté. Aprez qu'on se feut apprivoisé à Rome aux spectacles des meurtres des animaulx, on veint aux hommes et aux gladiateurs. Nature a, ce crains ie, elle mesme attaché à l'homme quelque instinct à l'inhumanité : nul ne prend son esbat à veoir des bestes s'entreiouer et caresser; et nul ne fault de le prendre à les veoir s'entredeschirer et desmembrer. Et à fin qu'on ne se mocque de cette sympathie que i'ay avecques elles, la theologie mesme nous ordonne quelque faveur en leur endroict; et considerant qu'un mesme maistre nous a logez en ce palais pour son service, et qu'elles sont comme nous de sa famille, elle a raison de nous enioindre quelque respect et affection envers elles. Pythagoras emprunta la metempsychose des Aegyptiens; mais depuis elle a esté receue par plusieurs nations, et notamment par nos Druydes :

Morte carent animæ; semperque, priore relicta

Sede, novis domibus vivunt, habitantque receptæ2 : la religion de nos anciens Gaulois portoit que les ames estants eternelles, ne cessoient de se remuer et changer de place d'un corps à un aultre : meslant en oultre à cette fantasie quelque consideration de la iustice divine; car selon les deportements de l'ame, pendant qu'elle avoit esté chez Alexandre, ils disoient que Dieu luy ordonnoit un aultre corps à habiter, plus ou moins penible, et rapportant à sa condition :

Muta ferarum

Cogit vincla pati: truculentos ingerit ursis,
Prædonesque lupis; fallaces vulpibus addit.

Atque ubi per varios annos, per mille figuras Egit. Lethæo purgatos flumine, tandem Rursus ad humanæ revocat primordia formæ 3: et si elle avoit esté vaillante, ils la logeoient au corps d'un lyon; si voluptueuse, en celuy d'un pourceau; si lasche, en celuy d'un cerf ou d'un lievre; si malicieuse, en celuy d'un regnard;

ainsi du reste, iusques à ce que, purifiee par ce

1 C'est, je crois, du sang des animaux que le premier glaive a été teint. OVIDE, Métam. XV, 106.

Les ȧmes ne meurent point; mais après avoir quitté leur premier domicile, elles vont habiter et vivre dans de nouvelles demeures. OVID. Métam. XV, 158.

3 Il emprisonne les âmes dans le corps des animaux : le cruel habite au sein d'un ours; le ravisseur, dans les flancs d'un loup; le renard est le cachot du fourbe... Soumises, pendant un long cercle d'années, à mille diverses métamorphoses, les ámes sont enfin purifiées dans le fleuve de l'Oubli, et Dieu les rend à leur forme première. CLAUDIEN, in Rufin. II, 482491.

chastiement, elle reprenoit le corps de quelque aultre homme :

Ipse ego, nam memini, Troiani tempore belli,
Panthoides Euphorbus eram1.

Quant à ce cousinage là d'entre nous et les bestes, ie n'en fois pas grande recepte: ny de ce aussi que plusieurs nations, et notamment des plus anciennes et plus nobles, ont non seulement receu des bestes à leur societé et compaignie, mais leur ont donné un reng bien loing au dessus d'eulx, les estimants tantost familieres et favories de leurs dieux, et les ayants en respect et reverence plus qu'humaine; et d'aultres ne recognoissants aultre dieu ny aultre divinité qu'elles. Belluæ a barbaris propter beneficium conse

cratæ 2:

Crocodilon adorat

Pars hæc illa pavet saturam serpentibus ibin: Effigies sacri hic nitet aurea cercopitheci;

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hic piscem fluminis, illic

Oppida tota canem venerantur 3.

Et l'interpretation mesme que Plutarque 4 donne à cette erreur, qui est tres bien prinse, leur est encores honnorable car il dict que ce n'estoit pas le chat ou le bœuf (pour exemple) que les Aegyptiens adoroient, mais qu'ils adoroient en ces bestes là quelque image des facultez divines: en cette cy, la patience et l'utilité; en cette là, la vivacité, ou comme nos voysins les Bourguignons, avecques toute l'Allemaigne, l'impatience de se veoir enfermez; par où ils representoient la Liberté, qu'ils aymoient et adoroient au delà de toute aultre faculté divine; et ainsi des aultres. Mais quand ie rencontre, parmy les opinions plus moderees, les discours qui essayent à monstrer la prochaine ressemblance de nous aux animaulx, et combien ils ont de part à nos plus grands privileges, et avecques combien de vraysemblance on nous les apparie, certes, i'en rabbats beaucoup de nostre presumption, et me desmets volontiers de cette royauté imaginaire qu'on nous donne sur les aultres creatures.

certain respect qui nous attache, et un general

Quand tout cela en seroit à dire, si y a il un

1 Moi-même (il m'en souvient encore), au temps de la guerre de Troie, j'étais Euphorbe, fils de Panthée. C'est Pythagore qui parle ainsi de lui-même, dans OVIDE, Metam. XV, 160.

2 Les barbares ont divinisé les bêtes, parce qu'ils en recevaient du bien. Cic. de Nat. deor. I, 36.

3 Les uns adorent le crocodile : les autres regardent avec une frayeur religieuse un ibis engraissé de serpents : ici, sur les autels, brille la statue d'or d'un singe à longue queue; là on adore un poisson du Nil, et des villes entières se prosternent devant un chien. JUVEN. XV, 2-7.

4 Dans son traité d'Isis et d'Osiris, c. 39. C.

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