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levez pour toute la iournee : car ils ne font aultre | science ethique ne contient que ces deux articles: repas que celuy là. Ils ne boivent pas lors, comme de la resolution à la guerre, et affection à leurs Suidas dict de quelques aultres peuples d'Orient, femmes. Cettuy cy leur prognosticque les choses qui beuvoient hors du manger; ils boivent à à venir, et les evenements qu'ils doibvent esperer plusieurs fois sur iour, et d'autant. Leur bruvage de leurs entreprinses; les achemine ou destourne est faict de quelque racine, et est de la couleur de la guerre: mais c'est par tel si, que où il fault de nos vins clairets; ils ne le boivent que tiede. à bien deviner, et s'il leur advient aultrement Ce bruvage ne se conserve que deux ou trois qu'il ne leur a predict, il est haché en mille pieiours; il a le goust un peu picquant, nullement ces s'ils l'attrappent, et condemné pour fauls profumeux, salutaire à l'estomach, et laxatif àphete. A cette cause, celuy qui s'est une fois mesceulx qui ne l'ont accoustumé : c'est une bois- conté, on ne le veoid plus. son tres agreable à qui y est duict. Au lieu de C'est don de Dieu que la divination : voylà pain, ils usent d'une certaine matiere blanche pourquoy ce debvroit estre une imposture punissa'comme du coriandre confict: i'en ay tasté; leble d'en abuser. Entre les Scythes, quand les degoust en est doulx et un peu fade. Toute la vins avoient failly de rencontre, on les couchoit, iournee se passe à dancer. Les plus ieunes vont enforgez de pieds et de mains, sur des chariotes à la chasse des bestes, à tout des arcs. Une pleines de bruyere, tirees par des bœufs, en quoy partie des femmes s'amusent ce pendant à chauf- on les faisoit brusler 1. Ceulx qui manient les fer leur bruvage, qui est leur principal office. choses subiectes à la conduicte de l'humaine sufIl y a quelqu'un des vieillards qui, le matin, fisance sont excusables d'y faire ce qu'ils peuavant qu'ils se mettent à manger, presche en vent mais ces aultres, qui nous viennent pipant commun toute la grangee, en se promenant d'un des asseurances d'une faculté extraordinaire qui bout à aultre, et redisant une mesme clause à est hors de nostre cognoissance, fault il pas les plusieurs fois, iusques à ce qu'il ayt achevé le punir de ce qu'ils ne maintiennent l'effect de leur tour; car ce sont bastiments qui ont bien cent promesse, et de la temerité de leur imposture? pas de longueur. Il ne leur recommende que deux choses, la vaillance contre les ennemis, et l'amitié à leurs femmes et ne faillent iamais de remarquer cette obligation pour leur refrain, «< que ce sont elles qui leur maintiennent leur boisson tiede et assaisonnee. » Il se veoid en la plusieurs lieux, et entre aultres chez moy, forme de leurs licts, de leurs cordons, de leurs espees, et brasselets de bois, dequoy ils couvrent leurs poignets aux combats, et des grandes cannes ouvertes par un bout, par le son desquelles ils soustiennent la cadence en leur dance. As sont raz par tout, et se font le poil beaucoup plus nettement que nous, sans aultre rasoir que de bois ou de pierre. Ils croient les ames eternelles; et celles qui ont bien merité des dieux, estre logees à l'endroict du ciel où le soleil se leve; les mauldictes, du costé de

l'occident.

Ils ont ie ne sçay quels presbtres et prophetes, qui se presentent bien rarement au peuple, ayants leur demeure aux montaignes. A leur arrivee, il se faict une grande feste et assemblee solennelle de plusieurs villages : chasque grange, comme je l'ai descripte, faict un village, et sont environ à une lieue françoise l'une de l'aultre. Ce prophete parle à eulx en publicque, les exhortant à la vertu et à leur debvoir: mais toute leur

Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au delà de leurs montaignes, plus avant en la terre ferme; ausquelles ils vont touts nuds, n'ayants aultres armes que des arcs ou des espees de bois appoinctees par un bout, à la mode des langues de nos espieux. C'est chose esmerveillable que de la fermeté de leurs combats, qui ne finissent iamais que par meurtre et effusion de sang car de routes et d'effroy, ils ne sçavent que c'est. Chascun rapporte pour son trophee la teste de l'ennemy qu'il a tué, et l'attache à l'entree de son logis. Aprez avoir long temps bien traicté leurs prisonniers, et de toutes les commoditez dont ils se peuvent adviser, celuy qui en est le maistre faict une grande assemblee de ses cognoissants. Il attache une chorde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient esloingné de quelques pas, de peur d'en estre offensé, et donne au plus cher de ses amis l'aultre bras à tenir de mesme; et eulx d'eux, en presence de toute l'assemblee, l'assomment à coups d'espee. Cela faict, ils le rostissent, et en mangent en commun, et en envoyent des loppins à ceulx de leurs amis qui sont absents. Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisoient anciennement les Scythes; c'est

* HÉRODOTE, IV, 69. J. V. L.

LIVRE I, CHAPITRE XXX.

et

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eu esgard aux reigles de la raison; mais non pas
eu esgard à nous, qui les surpassons en toute
sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble
et genereuse, et a autant d'excuse et de beaulté
que cette maladie humaine en peult recevoir :
elle n'a aultre fondement parmy eulx, que la
seule ialousie de la vertu. Ils ne sont pas en de-
bat de la conqueste de nouvelles terres, car ils
iouïssent encores de cette uberté naturelle qui
les fournit, sans travail et sans peine, de toutes
choses necessaires, en telle abondance, qu'ils
n'ont que faire d'aggrandir leurs limites. Ils sont
encores en cet heureux poinct de ne desirer qu'au-
tant que leurs necessitez naturelles leur ordon-

pour representer une extreme vengeance
qu'il soit ainsin, ayants apperceu que les Portu-
gais, qui s'estoient ralliez à leurs adversaires,
usoient d'une aultre sorte de mort contre eulx,
quand ils les prenoient, qui estoit de les enter-
rer iusques à la ceincture, et tirer au demourant
du corps force coups de traicts, et les pendre
aprez; ils penserent que ces gents icy de l'aultre |
monde (comme ceulx qui avoient semé la co-
gnoissance de beaucoup de vices parmy leur
voysinage, et qui estoient beaucoup plus grands
maistres qu'eulx en toute sorte de malice), ne
prenoient pas sans occasion cette sorte de ven-
geance, et qu'elle debvoit estre plus aigre que la
leur; dont ils commencerent de quitter leur façonnent tout ce qui est au delà est superflu pour
ancienne pour suyvre cette cy. Ie ne suis pas
marry que nous remarquions l'horreur barba-
resque qu'il y a en une telle action; mais ouy bien
dequoy, iugeants à poinct de leurs faultes, nous
soyons si aveuglez aux nostres. Ie pense qu'il y
a plus de barbarie à manger un homme vivant,
qu'à le manger mort; à deschirer par torments et
par gehennes un corps encores plein de senti-
ment, le faire rostir par le menu, le faire mor-
dre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux
(comme nous l'avons non seulement leu, mais
veu de fresche memoire, non entre des ennemis
anciens, mais entre des voysins et concitoyens,
et qui pis est, soubs pretexte de pieté et de re-
ligion), que de le rostir et manger aprez qu'il
est trespassé.

eulx. Ils s'entr'appellent generalement, ceulx de
mesme aage, freres; enfants, ceulx qui sont au
dessoubs; et les vieillards sont peres à touts les
aultres. Ceulx cy laissent à leurs heritiers en com-
mun cette pleine possession de bien par indivis,
sans aultre tiltre que celuy tout pur que nature
donne à ses creatures, les produisant au monde.
Si leurs voysins passent les montaignes pour les
venir assaillir, et qu'ils emportent la victoire sur
eulx, l'acquest du victorieux c'est la gloire et
l'advantage d'estre demouré maistre en valeur et
en vertu car aultrement ils n'ont que faire des
biens des vaincus; et s'en retournent à leurs païs,
où ils n'ont faulte d'aulcune chose necessaire, ny
faulte encores de cette grande partie, de sçavoir
heureusement iouyr de leur condition et s'en con-
tenter. Autant en font ceulx cy à leur tour; ils ne
demandent à leurs prisonniers aultre rançon que
la confession et la recognoissance d'estre vaincus;
mais il ne s'en treuve pas un en tout un siecle
qui n'ayme mieulx la mort que de relascher, ny
par contenance ny de parole, un seul poinct d'une
grandeur de courage invincible; il ne s'en veoid
aulcun qui n'ayme mieulx estre tué et mangé,
que de requerir seulement de ne l'estre pas. Ils
les traictent en toute liberté, à fin que la vie
leur soit d'autant plus chere; et les entretiennent
communement des menaces de leur mort fu-
ture, des torments qu'ils y auront à souffrir,
apprests qu'on dresse pour cet effect, du destren-
chement de leurs membres, et du festin qui se
fera à leurs despens. Tout cela se faict pour cette
seule fin, d'arracher de leur bouche quelque pa-
role molle ou rabbaissee, ou de leur donner envie
de s'enfuyr, pour gaigner cet advantage de les
avoir espouvantez et d'avoir faict force à leur
constance. Car aussi, à le bien prendre, c'est en
ce seul poinct que consiste la vraye victoire :

* Chrysippus et Zenon, chefs de la secte stoïc-
que, ont bien pensé qu'il n'y avoit aulcun mal
de se servir de nostre charongne à quoy que ce
feust pour nostre besoing, et d'en tirer de la
nourriture 1; comme nos ancestres, estants as-
siegez par Cesar en la ville d'Alexia, se resolu-
rent de soustenir la faim de ce siege par les corps
des vieillards, des femmes et aultres personnes
inutiles au combat.

Vascones, fama est, alimentis talibus usi
Produxere animas 2.

Et les medecins ne craignent pas de s'en servir
à toute sorte d'usage pour nostre santé, soit pour
l'appliquer au dedans ou au dehors. Mais il ne
se trouva iamais aulcune opinion si desreiglee
qui excusast la trahison, la desloyauté, la tyran-
nie, la cruauté, qui sont nos faultes ordinaires.
Nous les pouvons donc bien appeller barbares,

I DIOGÈNE LAERCE, VII, 188. C.

> On dit que les Gascons prolongèrent leur vie en se nourrissant de chair humaine. Juv. Sat. XV, 93.

des

Victoria nulla est, Quam quæ confessos animo quoque subiugat hostes'. Les Hongres, tres belliqueux combattants, ne poursuyvoient iadis leur poincte oultre ces termes, d'avoir rendu l'ennemy à leur mercy; car en ayants arraché cette confession, ils le laissoient aller sans offense, sans rançon: sauf, pour le plus, d'en tirer parole de ne s'armer dez lors en avant contre eulx. Assez d'advantages gaignons nous sur nos ennemis, qui sont advantages empruntez, non pas nostres; c'est la qualité d'un portefais, non de la vertu, d'avoir les bras et les iambes plus roides : c'est une qualité morte et corporelle, que la disposition; c'est un coup de la fortune, de faire bruncher nostre ennemy, et de luy esblouyr les yeulx par la lumiere du soleil; c'est un tour d'art et de science, et qui peult tumber en une personne lasche et de neant, d'estre suffisant à l'escrime. L'estimation et le prix d'un homme consiste au cœur et en la volonté : c'est là où gist son vray honneur. La vaillance, c'est la fermeté, non pas des iambes et des bras, mais du courage et de l'ame; elle ne consiste pas en la valeur de nostre cheval, ny de nos armes, mais en la nostre. Celuy qui tumbe obstiné en son courage, si succiderit, de genu pugnat; qui pour quelque danger de la mort voysine, ne relasche aulcun poinct de son asseurance; qui regarde encores, en rendant l'ame, son ennemy d'une veue ferme et desdaigneuse, il est battu, non pas de nous, mais de la fortune 3; il est tué, non pas vaincu : les plus vaillants sont par fois les plus infortunez. Aussi y a il des pertes triumphantes à l'envi des victoires. Ny ces quatre victoires sœurs, les plus belles que le soleil aye oncques veu de ses yeulx, de Salamine, de Platee, de Mycale, de Sicile, n'oserent oncques opposer toute leur gloire ensemble à la gloire de la desconfiture du roy Leonidas et des siens au pas des Thermopyles. Qui courut iamais d'une plus glorieuse envie et plus ambitieuse au gaing du combat, que le capitaine Ischolas à la perte 4? qui plus ingenieusement et curieusement s'est asseuré de son salut, que luy de sa ruyne? Il estoit commis à deffendre certain pasdu Peloponnese contre les Arcadiens: pour quoy faire se trouvant du tout incapable, veu la

sage

■ Il n'y a de véritable victoire que celle qui force l'ennemi à s'avouer vaincu. CLAUDIEN, de sexto Consulatu Honorii, v. 248.

2 S'il tombe, il combat à genoux. SÉNÈQUE, de Providentia, c. 2. Le texte porte, etiam si ceciderit. J. V. L.

3 SÉNÈQUE, de Constantia sapientis, c. 6. C.

4 DIODORE DE SICILE, XV, 64. J. V. L.

nature du lieu et inegualité des forces, et se resolvant que tout ce qui se presenteroit aux ennemis auroit de necessité à y demourer; d'aultre part, estimant indigne et de sa propre vertu et magnanimité, et du nom lacedemonien, de faillir à sa charge, il print entre ces deux extremités un moyen party, de telle sorte : les plus ieunes et dispos de sa trouppe, il les conserva à la tuition et service de leur païs, et les y renvoya; et avecques ceulx desquels le default estoit moins important, il delibera de soustenir ce pas, et par leur mort en faire achepter aux ennemis l'entree la plus chere qu'il luy seroit possible, comme il adveint; car estant tantost environné de toutes parts par les Arcadiens, aprez en avoir faict une grande boucherie, luy et les siens feurent touts mis au fil de l'espee. Est il quelque trophee assigné pour les vainqueurs qui ne soit mieulx deu à ces vaincus? Le vray vaincre a pour son roolle l'estour', non pas le salut; et consiste l'honneur de la vertu à combattre, non à battre.

Pour revenir à nostre histoire, il s'en fault tant que ces prisonniers se rendent pour tout ce qu'on leur faict, qu'au rebours, pendant ces deux ou trois mois qu'on les garde, ils portent une contenance gaye, ils pressent leurs maistres de se haster de les mettre en cette espreuve, ils les desfient, les iniurient, leur reprochent leur lascheté et le nombre des battailles perdues contres les leurs. I'ay une chanson faicte par un prisonnier, où il y a ce traict: « Qu'ils viennent hardiement trestouts, et s'assemblent pour disner de luy; car ils mangeront quand et quand leurs peres et leurs ayeulx, qui ont servy d'aliment et de nourriture à son corps: ces muscles, dict il, cette chair et ces veines, ce sont les vostres, pauvres fols que vous estes; vous ne recognoissez pas que la substance des membres de vos ancestres s'y tient encores; savourez les bien, vous y trouverez le goust de vostre propre chair. » Invention qui ne sent aulcunement la barbarie. Ceulx qui les peignent mourants, et qui representent cette action quand on les assomme, ils peignent le prisonnier crachant au visage de ceulx qui le tuent, et leur faisant la moue. De vray, ils ne cessent iusques au dernier souspir de les braver et desfier de parole et de contenance. Sans mentir, au prix de nous, voylà des hommes bien sauvages; car ou il faut qu'ils le soyent bien à bon escient, ou que nous le soyons: il y a une merEstour ou estor, vieux mot qui signifie choc, mélée, combat. C.

veilleuse distance entre leur forme et la nostre. | Les hommes y ont plusieurs femmes, et en ont d'autant plus grand nombre, qu'ils sont en meilleure reputation de vaillance. C'est une beaulté remarquable en leurs mariages, que la mesme ialousie que nos femmes ont pour nous empescher de l'amitié et bienveillance d'aultres femmes, les leurs l'ont toute pareille pour la leur acquerir estants plus soigneuses de l'honneur de leurs maris que de toute aultre chose, elles cherchent et mettent leur solicitude à avoir le plus de compaignes qu'elles peuvent, d'autant que c'est un tesmoignage de la vertu du mary. Les nostres crieront au miracle: ce ne l'est pas; c'est une vertu proprement matrimoniale, mais du plus hault estage. Et en la Bible, Lia, Rachel, Sara, et les femmes de Iacob, fournirent leurs belles servantes à leurs maris : et Livia seconda les appetits d'Auguste1, à son interest: et la femme du roy Deiotarus, Stratonique, presta non seulement à l'usage de son mary une fort belle ieune fille de chambre qui la servoit, mais en nourrit soigneusement les enfants, et leur feit espaule à succeder aux estats de leur pere 3. Et à fin qu'on ne pense point que tout cecy se face par une simple et servile obligation à leur usance, et par l'impression de l'auctorité de leur ancienne coustume, sans discours et sans iugement, et pour avoir l'ame si stupide que de ne pouvoir prendre aultre party, il fault alleguer quelques traicts de leur suffisance. Oultre celuy que ie viens de reciter de l'une de leurs chansons guerrieres, i'en ay une aultre amoureuse, qui commence en ce sens : « Couleuvre, arreste toy; arreste toy, couleuvre, à fin que ma sœur tire sur le patron de ta peincture la façon et l'ouvrage d'un riche cordon que ie puisse donner à ma mie: ainsi soit en tout temps ta beaulté et ta disposition preferee à touts les aultres serpents. » Ce premier couplet, c'est le refrain de la chanson. Or i'ay assez de commerce avec la poësie pour iuger cecy, que non seulement il n'y a rien de barbarie en cette imagination, mais qu'elle est tout à faict anacreontique. Leur langage, au demourant, c'est un langage doulx, et qui a le son agreable, retirant aux terminaisons grecques.

Trois d'entre eulx, ignorants combien coustera un iour à leur repos et à leur bonheur la

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cognoissance des corruptions de deçà, et que de ce commerce naistra leur ruyne, comme ie presuppose qu'elle soit desia avancee (bien miserables de s'estre laissez piper au desir de la nouvelleté, et avoir quitté la doulceur de leur ciel pour venir veoir le nostre!), feurent à Rouan du temps que le feu roy Charles neufviesme y estoit. Le roy parla à eulx long temps. On leur feit veoir nostre façon, nostre pompe, la forme d'une belle ville. Aprez cela, quelqu'un en demanda leur advis, et voulut sçavoir d'eux ce qu'ils y avoient trouvé de plus admirable : ils respondirent trois choses, dont i'ay perdu la troisiesme, et en suis bien marry; mais i'en ay encores deux en memoire. Ils dirent qu'ils trouvoient en premier lieu fort estrange que tant de grands hommes portants barbe, forts et armez, qui estoient autour du roy (il est vraysemblable qu'ils parloient des Souisses de sa garde), se soubmissent à obeïr à un enfant, et qu'on ne choisissoit plustast quelqu'un d'entre eulx pour commander. Secondement (ils ont une façon de langage telle, qu'ils nomment les hommes moitié les uns des aultres), qu'ils avoient apperceu qu'il y avoit parmy nous des hommes pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez, et que leurs moitiez estoient mendiants à leurs portes, descharnez de faim et de pauvreté; et trouvoient estrange comme ces moitiez icy necessiteuses pouvoient souffrir une telle iniustice, qu'ils ne prinssent les aultres à la gorge, ou meissent le feu à leurs maisons.

le parlay à l'un d'eulx fort long temps; mais i'avois un truchement qui me suyvoit si mal et qui estoit si empesché à recevoir mes imaginations, par sa bestise, que ie n'en peus tirer rien qui vaille. Sur ce que ie luy demanday, Quel fruict il recevoit de la superiorité qu'il avoit parmy les siens? (car c'estoit un capitaine, et nos matelots le nommoient roy), il me dict « que c'estoit, marcher le premier à la guerre : » De combien d'hommes il estoit suyvi? il me monstra une espace de lieu, pour signifier que c'estoit autant qu'il en pourroit en une telle espace; ce pouvoit estre quatre ou cinq mille hommes: Si hors la guerre toute son auctorité estoit expiree? il dict« qu'il luy en restoit cela, que quand il visitoit les villages qui dependoient de luy, on luy dressoit des sentiers au travers des hayes de leurs bois, par où il peust passer bien à l'ayse. » Tout cela ne va pas trop mal: mais quoy! ils ne portent point de hault de chausses.

CHAPITRE XXXI.

vantageux, qu'il en esbranle sa foy : comme aux guerres où nous sommes pour la religion, ceulx

Qu'il fault sobrement se mesler de iuger des qui eurent l'advantage à la rencontre de la Ro

ordonnances divines.

Le vray champ et subiect de l'imposture sont les choses incogneues : d'autant qu'en premier lieu l'estrangeté mesme donne credit; et puis, n'estants point subiectes à nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de les combattre. A cette cause, dict Platon, est il bien plus aysé de satisfaire, parlant de la nature des dieux, que de la nature des hommes; parce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carriere, et toute liberté au maniement d'une matiere cachee. Il advient de là qu'il n'est rien creu si fermement que ce qu'on sçait le moins; ny gents si asseurez que ceulx qui nous content des fables, comme alchymistes, prognosticqueurs iudiciaires, chiromantiens, medecins, id genus omne: ausquels ie ioindroy volontiers, si i'osois, un tas de gents, interpretes et contreroolleurs ordinaires des desseings de Dieu, faisants estat de trouver les causes de chasque accident, et de veoir dans les secrets de la volonté divine les motifs incomprehensibles de ses œuvres; et quoy que la varieté et discordance continuelle des evenements les reiecte de coing en coing, et d'orient en occident, ils ne laissent de suyvre pourtant leur esteuf3, et de mesme creon peindre le blanc et le noir.

3

chelabeille', faisants grand'feste de cet accident, et se servants de cette fortune pour certaine approbation de leur party; quand ils viennent aprez à excuser leurs desfortunes de Montcontour et de Iarnac 2, sur ce que ce sont verges et chastiements paternels, s'ils n'ont un peuple du tout à leur mercy, ils luy font assez ayseement sentir que c'est prendre d'un sac deux moultures, et de mesme bouche souffler le chauld et le froid. Il vauldroit mieulx l'entretenir des vrays fondements de la verité. C'est une belle battaille navale qui s'est gaignee ces mois passez 3 contre les Turcs, soubs la conduicte de dom Ioan d'Austria : mais il a bien pleu à Dieu en faire aultrefois veoir d'aultres telles à nos despens. Somme, il est mal aysé de ramener les choses divines à nostre balance, qu'elles n'y souffrent du deschet. Et qui vouldroit rendre raison de ce que Arius, et Leon son pape4, chefs principaulx de cette heresie, moururent en divers temps de morts si pareilles et si estranges (car retirez de la dispute, par douleur de ventre, à la garderobbe, touts deux y rendirent subitement l'ame), et exaggerer cette vengeance divine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encores adiouster la mort de Heliogabalus, qui feut aussi tué en un retraict 6 : mais quoy! Irenee se treuve engagé en mesme fortune. Dieu nous voulant apprendre que les bons ont aultre chose à esperer, et les mauvais aultre chose à craindre, que les fortunes ou infortunes de ce monde : il les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous oste le moyen d'en faire sottement nostre proufit. Et se moc

En une nation indienne, il y a cette louable observance : quand il leur mesadvient en quelque rencontre ou battaille, ils en demandent publicquement pardon au soleil, qui est leur dieu, comme d'une action iniuste; rapportants leur heur ou malheur à la raison divine, et luy soub-quent ceulx qui s'en veulent prevaloir selon l'humettants leur iugement et discours. Suffit à un chrestien croire toutes choses venir de Dieu, les recevoir avecques recognoissance de sa divine et inscrutable sapience; pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage qu'elles luy soyent envoyees. Mais ie treuve mauvais, ce que ie veoy en usage, de chercher à fermir et appuyer nostre religion par la prosperité de nos entreprinses. Nostre creance a assez d'aultres fondements, sans l'auctoriser par les evenements; car le peuple ligny et celles du duc d'Anjou, au mois de mai 1569. C.

accoustumé à ces arguments plausibles et proprement de son goust, il est dangier, quand les evenements viennent à leur tour contraires et desad

Dans le dialogue intitulé Critias, p. 107, éd. d'Estienne. C. 2 Et tous les gens de cette espèce. HoR. Sat. 1, 2, 2. 3 Au propre, leur balle; au figurė, leur jeu. E. J.

maine raison: ils n'en donnent iamais une touche, qu'ils n'en reçoivent deux. Sainct Augustin en faict une belle preuve sur ses adversaires. C'est un conflict qui se decide par les armes de la memoire, plus que par celles de la raison. Il se fault contenter de la lumiere qu'il plaist au soleil nous communiquer par ses rayons; et qui esle

I Grande escarmouche entre les troupes de l'amiral de Co

2 La bataille de Montcontour gagnée par le duc d'Anjou, en 1569, au mois d'octobre. Ce prince avait gagné celle de Jarnac au mois de mars de la même année. C.

3 Dans le golfe de Lépante, le 7 octobre 1571. J. V. L. 4 Voyez SANDIUS, Nucleus Hist. eccles. II, pag. 110; et les Centuriateurs de Magdebourg, cent. IV, c. 10. C.

5 Athanase, Epist. ad Serapionem, et Épiphane, de Morte Arii, lib. II, rapportent ainsi la mort d'Arius. C.

6 In latrina, dit Lampride, Heliogabal. c. 17. C.

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