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gendus in nostris '. Et est sainctement dict à un sainct Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exsequiarum, magis sunt vivorum solatia, quam subsidia mortuorum 2. Pour tant Socrates à Criton, qui sur l'heure de sa fin luy demande comment il veult estre enterré: « Comme vous voudrez 3, » respond il. Si i̇'avois à m'en empescher plus avant, ie trouveroy plus galand d'imiter ceulx, qui entreprennent, vivants et respirants, iouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture, et qui se plaisent de veoir en marbre leur morte contenance. Heureux qui scachent resiouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort!

A peu que ie n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire, quoy qu'elle me semble la plus naturelle et equitable, quand il me souvient de cette inhumaine iniustice du peuple athenien, de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouyr en leurs deffenses, ces braves capitaines venants dè gaigner contre les Lacedemoniens la battaille navale prez les isles Argineuses, la plus contestee, la plus forte battaille que les Grecs ayent oncques donnee en mer de leurs forces; parce qu'aprez la victoire ils avoient suyvy les occasions que la loi de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse le faict de Diomedon cettuy cy est l'un des condemnez, homme de notable vertu et militaire et politique, lequel se tirant avant pour parler, aprez avoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l'evidente iniustice d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soing de la conservation de ses iuges, priant les dieux de tourner ce iugement à leur bien; et à fin que, par faulte de rendre les vœux que luy et ses compaignons avoient vouez en recognoissance d'une illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des dieux sur eulx, les advertissant quels vœux c'estoient; et sans dire aultre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice 3.

・ C'est un soin qu'il faut mépriser pour soi-même, et ne pas négliger pour les siens. CICERON, Tuscul. quæst. I, 45.

2 Le soin des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques, sont moins nécessaires à la tranquillité des morts qu'à la consolation des vivants. SAINT AUGUSTIN, Cité de Dieu, I, 12.

3 PLATON, vers la fin du Phedon. C.

4 Peu s'en faut.

5 DIODORE DE Sicile, XIII, 31, 32. C.

La fortune, quelques annees aprez, les punit
de mesme pain soupe: car Chabrias, capitaine
| general de leur armee de mer, ayant eu le des-
sus du combat contre Pollis, admiral de Sparte,
en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et
comptant de sa victoire, tres important à leurs
affaires, pour n'encourir le malheur de cet
exemple; et pour ne perdre peu de corps morts
de ses amis qui flottoient en mer, laissa voguer
en sauveté un monde d'ennemis vivants qui, de-
puis, leur feirent bien acheter cette importune
superstition'.

Quæris, quo iaceas, post obitum, loco?
Quo non nata iacent 2.

Cet aultre redonne le sentiment du repos à un
corps sans ame;

Neque sepulcrum, quo recipiatur, habeat, portum corporis, Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat a malis 3 : tout ainsi que nature nous faict veoir que plusieurs choses mortes ont encores des relations occultes à la vie : le vin s'altere aux caves, selon aulcunes mutations des saisons de sa vigne; et la chair de venaison change d'estat aux saloirs, et de goust, selon les loix de la chair vifve, à ce qu'on dict.

CHAPITRE IV

Comme l'ame descharge ses passions sur des obiects fauls, quand les vrais luy defaillent.

Un gentilhomme des nostres, merveilleusement subiect à la goutte, estant pressé par les medecins de laisser du tout l'usage des viandes salees, avoit accoustumé de respondre plaisamment, « que sur les efforts et torments du mal, il vouloit avoir à qui s'en prendre; et que s'escriant, et mauldissant tantost le cervelat, tantost la langue de bœuf et le iambon, il s'en sentoit d'autant allegé. » Mais, en bon escient, comme le bras estant haulsé pour frapper, il nous deult 4 si le coup ne rencontre et qu'il aille au vent; aussi que pour rendre une veue plaisante, il ne fault pas qu'elle soit perdue et escartee dans le vague de l'air, ains qu'elle ayt butte pour la soustenir à raisonnable distance :

↑ DIODORE DE SICILE, XV, 9. C.

2 Veux-tu savoir où tu seras apres la mort? Où sont les choses à naître. SÉNÈQUE, Troad. chor. act. II, v. 30.

3 Loin de toi, pour jamais, cette paix des tombeaux,
Où le corps fatigué trouve enfin le repos !
ENNIUS apud Cic. Tuscul. I, 44. J. V. L.
Il nous fait mal. Deult, du latin dolet.

Ventus ut amittit vires, nisi robore densæ
Occurrant silvæ, spatio diffusus inani 1 :

2

de mesme il semble que l'ame esbranlee et esmue se perde en soy mesme si on ne lui donne prinse; et fault tousiours luy fournir d'obiect où elle s'abbutte et agisse. Plutarque dict, à propos de ceulx qui s'affectionnent aux guenons et petits chiens, que la partie amoureuse qui est en nous, à faulte de prinse legitime, plustost que de demourer en vain, s'en forge ainsin une faulse et frivole. Et nous veoyons que l'ame en ses passions se pipe plustost elle mesme, se dressant un fauls subiect et fantastique, voire contre sa propre creance, que de n'agir contre quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage à s'attaquer à la pierre et au fer qui les a blecees, et à se venger à belles dents sur soy mesme du mal qu'elles sentent :

et Caligula ruina une tres belle maison, pour le plaisir que sa mere y avoit eu.

Le peuple disoit en ma ieunesse, qu'un roy de nos voysins', ayant receu de Dieu une bastonade, iura de s'en venger, ordonnant que de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny, autant qu'il estoit en son auctorité, qu'on ne creust en luy. Par où on vouloit peindre non tant la sottise que la gloire naturelle à la nation dequoy estoit le conte; ce sont vices tousiours conioincts: mais telles actions tiennent, à la vérité, un peú plus encores d'oultrecuidance que de bestise. Augustus Cesar ayant esté battu de la tempeste sur mer, se print à desfier le dieu Neptunus, et en la pompe des ieux circenses feit oster son image du reng où elle estoit parmy les aultres dieux, pour se venger de luy 3: en quoy il est encores moins excusable que les precedents, et moins qu'il ne feut depuis, lors qu'ayant perdu une battaille soubs Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de cholere et de desespoir chocquant sa teste contre la muraille, en s'escriant: « Varus, rens moy mes soldats 4 :» car ceulx là surpassent toute folie, d'autant que l'impieté y est ioincte, qui s'en adressent à Dieu mesme ou à la fortune, comme si elle avoit des aureilles subiectes à nostre batterie; à l'exemple des Thraces, qui quand il tonne ou esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d'une vengeance titanienne, pour renger Dieu à raison à coups de fleches 5. Or, comme dict cet ancien poëte, chez Plutarque 6,

Pannonis haud aliter post ictum sævior ursa, Cui iaculum parva Libys amentavit habena; Se rotat in vulnus, telumque irata receptum Impetit, et secum fugientem circuit hastam 3. Quelles causes n'inventons nous des malheurs qui nous adviennent? à quoy ne nous prenons nous, à tort ou à droict, pour avoir où nous escrimer ? Ce ne sont pas ces tresses blondes que tu deschires, ny la blancheur de cette poictrine que despitee tu bats si cruellement, qui ont perdu d'un malheureux plomb ce frere bien aymé prens t'en ailleurs. Livius parlant de l'armee romaine en Espaigne, aprez la perte des deux freres ses grands capitaines 4, flere omnes repente, et offensare capita: c'est un usage commun. Et le philosophe Bion, de ce roy qui de dueil s'arrachoit les poils, feut il pas plaisant? Cettuy cy pense il que la pelade soulage le dueil 5? » Qui n'a veu mascher et engloutir les chartes, se gorger d'une bale de dez, pour avoir où se venger de la perte de son argent? Xerxes Si le chef d'une place assiegee doibt sortir pour fouetta la mer, mont Athos 6; et Cyrus amusa toute une armee 7 plusieurs iours à se venger de la riviere de Gyndus, pour la peur qu'il avoit eue en la passant;

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et escrivit un cartel de desfi au

* Et comme le vent, si d'épaisses forêts n'irritent sa fureur, perd ses forces dissipées dans le vague de l'air. LUCAIN, III, 362. 2 Dans la Vie de Périclès, au commencement. C. 3 Ainsi l'ourse, plus terrible après sa blessure, se replie sur sa plaie; furieuse, elle veut mordre le trait qui la déchire, et poursuit le fer qui tourne avec elle. LUCAIN, VI, 220.

4 Publius et Cnéius Scipion. TITE-LIVE dit, XXV, 37, « que chacun se mit aussitôt à pleurer et à se frapper la tête. » J. V. L.

5 CICERON, Tuscul. III, 26. C.

6 HÉRODOTE, VII, 24, 35; PLUTARQUE, de la Colère, page 455. J. V. L.

7 HERODOTE, I, 189; SÉNÈQUE, de Ira, III, 21. J. V. L.

Point ne se fault courroucer aux affaires;
Il ne leur chault de toutes nos choleres.

Mais nous ne dirons iamais assez d'iniures au
desreiglement de notre esprit.

CHAPITRE V.

parlementer.

Lucius Marcius 7, legat des Romains en la guerre contre Perseus, roi de Macedoine, vou

Ou peut-être le déplaisir, car elle y avait été renfermée. SÉNÈQUE, de Ira, III, 22. C.

2 Je crois qu'il s'agit ici d'Alphonse XI, roi de Castille, mort en 1350. Voy. la Géométrie pratique de Charles de Bovelles, édit. de 1547, fol. 62. A. D.

3 SUÉTONE, Auguste, c. 16. C.

4 In. ibid. c. 23. C.

5 HÉRODOTE, IV, 94. J. V. L.

6 Dans son traité du Contentement ou Repos de l'esprit, c. 4 de la traduction d'Amyot. C.

7 TITE-LIVE nomme ce lieutenant des Romains Quintus Mar cius, XLII, 37. Il raconte, chap. 47, comment la ruse de Q. Marcius fut blåmée par quelques membres du sénat. J. V. L.,

lant gaigner le temps qu'il luy falloit encores à mettre en poinct son armee, sema des entreiects' d'accord, desquels le roy endormy accorda trefve pour quelques iours, fournissant par ce moyen son ennemy d'opportunité et loisir pour s'armer; d'où le roy encourut sa derniere ruyne. Si est ce que les vieux du senat, memoratifs des mœurs de leurs peres, accuserent cette practique, comme ennemie de leur style ancien, qui feut, disoient ils, combattre de vertu, non de finesse, ny par surprinses et rencontres de nuict, ni par fuittes appostees et recharges inopinees; n'entreprenants guerre qu'aprez l'avoir denoncee, et souvent aprez avoir assigné l'heure et le lieu de la battaille. De cette conscience ils renvoyerent à Pyrrhus son traistre medecin, et aux Phalisques leur desloyal maistre d'eschole. C'estoient les formes vrayement romaines, non de la grecque subtilité et astuce punique, où le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peult servir pour le coup: mais celuy seul se tient pour surmonté, qui sçait l'avoir esté ny par ruse ny de sort, mais par vaillance, de trouppe à trouppe, en une franche et iuste guerre. Il appert bien par ce langage de ces bonnes gents, qu'ils n'avoient encores receu cette belle sentence,

Dolus, an virtus, quis in hoste requirat ?? Les Achaïens, dict Polybe3, detestoient toute voye de tromperie en leurs guerres, n'estimants victoire, sinon où les courages des ennemis sont abbattus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam, quæ, salva fide et integra dignitate, parabitur 4, dict un aultre.

Vosne velit, an me, regnare hera, quidve ferat, fors,
Virtute experiamur 5.

Au royaume de Ternate, parmy ces nations que si à pleine bouche nous appellons barbares, la coustume porte qu'ils n'entreprennent guerre sans l'avoir premierement denoncee; y adioustants ample declaration des moyens qu'ils ont à y employer, quels, combien d'hommes, quelles munitions, quelles armes, offensifves et defensifves; mais aussi, cela faict, si leurs ennemis ne

Ou, comme on a mis dans quelques éditions, interjets, c'est-à-dire propositions, ouvertures. C.

a Qu'importe qu'on triomphe ou par force ou par ruse?
VIRG. Én. II, 390, trad. de Delille.

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Quant à nous, moins superstitieux, qui tenons celuy avoir l'honneur de la guerre, qui en a le proufit, et qui, aprez Lysander, disons « que, la peau du lyon ne peult suffire, il y fault coudre un loppin de celle du renard2, » les plus ordinaires occasions de surprinse se tirent de cette practique; et n'est heure, disons nous, où un chef doibve avoir plus l'œil au guet, que celle des parlements et traictez d'accord: et pour cette cause, c'est une reigle, en la bouche de touts les hommes de guerre de nostre temps, « qu'il ne fault iamais que le gouverneur en une place assiegee sorte luy mesme pour parlementer. » Du temps de nos peres, cela feut reproché aux seigneurs de Montmord et de l'Assigni, deffendants Mouson contre le comte de Nansau3. Mais aussi, à ce compte, celuy là seroit excusable qui sortiroit en telle façon, que la seureté et l'advantage demourast de son costé; comme feit en la ville de Regge le comte Guy de Rangon (s'il en fault croire du Bellay, car Guicciardin dict que ce feut luy mesme 4), lors que le seigneur de l'Escut s'en approcha pour parlementer; car il abandonna de si peu son fort, qu'un trouble s'estant esmeu pendant ce parlement, non seulement monsieur de l'Escut et sa trouppe, qui estoit approchee avecques luy, se trouva le plus foible, de façon qu'Alexandre Trivulce y feut tué, mais luy mesme feut contrainct, pour le plus seur, de suyvre le comte, et se iecter, sur sa foy, à l'abri des coups dans la ville.

Eumenes, en la ville de Nora, pressé par Antigonus, qui l'assiegeoit, de sortir pour luy parler, alleguant que c'estoit raison qu'il veinst

Du nom de saint Murtin, dérivé de celui de Murs, dieu de la guerre. E. J.- De là, peut-être, le mot de Pierre Capponi, premier secrétaire florentin, qui déchirant le papier où étaient écrites les conditions que leur faisait présenter Charles VIII, s'écria: «Eh bien! s'il en est ainsi, vous sonnerez vos trompettes, et nous sonnerons nos cloches. » Voy. l'Histoire des Républiques italiennes, par M. Sismondi, t. XII, p. 168. J. V. L.

2 PLUTARQUE, Vie de Lysander, c. 4. C.

3 Pont-à-Mousson contre le comte de Nassau. E. J.

4 MARTIN DU BELLAY, liv. I, fol. 59; GUICCIARDIN, liv. XIV, pag. 183, 184. C.

devers luy, attendu qu'il estoit le plus grand et le plus fort; aprez avoir faict cette noble response, «Ie n'estimeray iamais homme plus grand que moy, tant que i'auray mon espee en ma puissance,» n'y consentit, qu'Antigonus ne luy eust donné Ptolemeus son propre nepveu en ostage, comme il demandoit 1.

les

Si est ce qu'encores en y a il qui se sont tres bien trouvez de sortir sur la parole de l'assaillant: tesmoing Henry de Vaux, chevalier champenois, lequel estant assiegé dans le chasteau de Commercy par les Anglois, Barthelemy de Bonnes2, qui commandoit au siege, ayant par dehors faict sapper la pluspart du chasteau, si qu'il ne restoit que le feu pour accabler les assiegez soubs ruynes, somma ledit Henry de sortir à parlementer pour son proufit, comme il feit luy quatriesme; et son evidente ruyne luy ayant este montree à l'œil, il s'en sentit singulierement obligé à l'ennemy; à la discretion duquel aprez qu'il se feut rendu et sa trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons de bois venus à faillir, le chasteau feut emporté de fond en comble.

Ie me fie ayseement à la foy d'aultruy; mais malayseement le feroy ie, lors que ie donnerois à iuger l'avoir plustost faict par desespoir et faulte de cœur, que par franchise et fiance de sa loyauté.

CHAPITRE VI.

vient de se rendre par doulce et favorable composition, et d'en laisser, sur la chaulde, l'entree libre aux soldats.

L. Aemilius Regillus, preteur romain, ayant perdu son temps à essayer de prendre la ville de Phocees à force, pour la singuliere prouesse des habitants à se bien deffendre, feit pache avec eulx de les recevoir pour amis du peuple romain, et d'y entrer comme en ville confederee, leur ostant toute crainte d'action hostile: mais y ayant quand et luy introduict son armee pour s'y faire veoir en plus de pompe, il ne feut en sa puissance, quelque effort qu'il y employast, de tenir la bride à ses gents; et veit devant ses yeulx fourrager bonne partie de la ville, les droicts de l'avarice et de la vengeance suppeditants 1 ceulx de son auctorité et de la discipline militaire 2.

I

Cleomenes disoit que quelque mal qu'on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par dessus la iustice, et non subiect à icelle, tant envers les dieux qu'envers les hommes; et ayant faict trefve avec les Argiens pour sept iours, la troisiesme nuict aprez il les alla charger touts endormis, et les desfeit, alleguant qu'en sa trefve il n'avoit pas esté parlé des nuicts; mais les dieux vengerent cette perfide subtilité3.

ne

Pendant le parlement, et qu'ils musoient sur leurs seuretez, la ville de Casilinum feut saisie par surprinse 4; et cela pourtant au siecle et des plus iustes capitaines et de la plus parfaicte milice romaine: car il n'est pas dict qu'en temps et lieu il ne soit permis de nous prevaloir de la L'heure des parlements, dangereuse. sottise de nos ennemis, comme nous faisons de Toutesfois ie veis dernierement en mon voyleur lascheté. Et certes la guerre a naturellesinage de Mussidan3, que ceulx qui en feurent ment beaucoup de privileges raisonnables, au deslogez à force par nostre armee, et aultres de preiudice de la raison ; et icy fault la reigle, leur party, crioient, comme de trahison, de ce minem id agere, ut ex alterius prædetur inscique Xenoque pendant les entremises d'accord, et le traictétia5: mais ie m'estonne de l'estendue se continuant encores, on les avoit surprins et phon 6 leur donne, et par les propos, et par mis en pieces: chose qui eust eu à l'adventure divers exploicts de son parfaict empereur; aucteur de merveilleux poids en telles choses, comme apparence en aultre siecle. Mais, comme ie viens de dire, nos façons sont entierement esloingnees grand capitaine, et philosophe des premiers disde ces reigles; et ne se doibt attendre fiance des ciples de Socrates; et ne consens pas à la mesure uns aux aultres, que le dernier sceau d'obligade sa dispense en tout et par tout. tion n'y soit passé; encores y a il lors assez à faire et a tousiours esté conseil hazardeux de fier à la licence d'une armee victorieuse l'observation de la foy qu'on a donnee à une ville, qui

:

' PLUTARQUE, Vie d'Eumènes, c. 5. C.

> FROISSART (vol. I, chap. 209), de qui Montaigne a pris tout ceci, le nomme Barthelemy de Brunes. C.

3 Ou Mucidan, petite ville du Périgord, dans le voisinage du château de Montaigne. C.

Monsieur d'Aubigny assiegeant Capoue, et aprez y avoir faict une furieuse batterie, le sei

1 Suppediter, subjuguer, dompter, fouler aux pieds. COTSuppediter, vaincre. NICOT.

GRAVE.

2 TITE-LIVE, XXXVII, 32. C.

3 PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens, à l'article Cléomènes. Montaigne copie Amyot. C.

4 TITE-LIVE, XXIV, 19. C.

5 Que personne ne doit chercher à faire son profit de la sot tise d'autrui. Cic. de Offic. III, 17.

6 Dans sa Cyropėdie. C.

gneur Fabrice Colonne, capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer de dessus un bastion, et ses gents faisants plus molle garde, les nostres s'en emparerent et meirent tout en

pieces. Et de plus fresche memoire, à Yvoy', le seigneur Iulian Rommero ayant faict ce pas de clerc, de sortir pour parlementer avecques monsieur le connestable, trouva au retour sa

place saisie. Mais à fin que nous ne nous en allions pas sans revenche, le marquis de Pesquaire assiegeant Genes, où le duc Octavian Fregose commandoit soubs nostre protection, et l'accord entre eulx ayant esté poulsé si avant, qu'on le tenoit pour faict; sur le point de la conclusion, les Espaignols s'estants coulés dedans, en userent comme en une victoire planiere '. Et depuis, à Ligny en Barrois, où le comte de Brienne commandoit, l'empereur l'ayant assiegé et Bertheville, lieutenant dudict comte, estant sorty pour parlementer, pendant

en personne,

le parlement la ville se trouva saisie 3.

Fù il vincer sempremai laudabil cosa,
Vincasi o per fortuna, o per ingegno 4,

disent ils: mais le philosophe Chrysippus n'eust pas esté de cet advis; et moy aussi peu : car il disoit que ceulx qui courent à l'envy doibvent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais il ne leur est pourtant aulcunement loisible de mettre la main sur leur adversaire pour l'arrester, ny de luy tendre la iambe pour le faire cheoir 5. Et plus genereusement encores ce grand Alexandre à Polypercon, qui luy suadoit de se servir de l'advantage que l'obscurité de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius : « Point, dict il, ce n'est pas à moy de chercher des victoires desrobbees: malo me fortunæ pœniteat, quam victoriæ pudeat 6.

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Atque idem fugientem haud est dignatus Oroden Sternere, nec iacta cæcum dare cuspide vulnus : Obvius, adversoque occurrit, seque viro vir Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis 7.

Yvoy ou Carignan, petite ville de l'ancien Luxembourg français (département des Ardennes ), sur la rivière de Chiers, à quatre lieues de Sedan. J. V. L.

2 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, fol. 57, vers. C. 3 Mémoires de GUILLAUME DU BELLAY, liv. IX, fol. 495. C. 4 Que la victoire soit due au hasard ou à l'habileté, elle est toujours glorieuse. ARIOSTO, cant. XV, v. I.

5 CICERON, de Offic. III, 10. C.

6 J'aime mieux avoir à me plaindre de la fortune, qu'à rougir de ma victoire. QUINTE-CURCE, IV, 13.

7 Le tier Mézence ne daigne pas frapper Orode dans sa fuite, ni lancer un dard que l'œil de son ennemi ne puisse voir partir; il le poursuit, l'atteint, l'attaque de front; ennemi de la ruse, il veut vaincre par la seule valeur. VIRGILE Énéide, X, 752.

CHAPITRE VII. Que l'intention iuge nos actions. dict on,

La mort,

nous acquitte de toutes nos

ve

obligations. I'en sçay qui l'ont prins en diverse façon. Henry septiesme, roy d'Angleterre, feit composition avec dom Philippe, fils de l'empereur Maximilian, ou, pour le confronter plus honorablement, pere de l'empereur Charles cinquiesme, que ledict Philippe remettroit entre ses mains le duc de Suffolc de la Rose blanche, Païs Bas, moyennant qu'il promettoit de n'atson ennemy, lequel s'en estoit fuy et retiré au tenter rien sur la vie dudict duc : toutesfois, nant à mourir, il commanda par son testament à son fils, de le faire mourir soubdain aprez qu'il seroit decedé. Dernierement, en cette tragedie que le duc d'Albe nous feit veoir à Bruxelles ez tout plein de choses remarquables; et entre aulcomtes de Horne et d'Aiguemond', il y eut tres, que le comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance duquel le comte de Horne s'estoit venu rendre au duc d'Albe, requit avec grande instance qu'on le feist mourir le premier, à fin que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il avoit audict comte de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargé le premier de sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesme sans mourir. Nous ne pouvons estre tenus au delà de nos forces et de nos moyens; à cette cause, parce que les effects et executions ne sont aulcunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien à bon escient en nostre puissance, que la volonté; en celle là se fondent par necessité et s'establissent toutes les reigles du debvoir do l'homme : par ainsi le comte d'Aiguemond tenant son ame et volonté endebtee à sa promesse, bien que la puissance de l'effectuer ne feust pas en ses mains, estoit sans doubte absouls de son debvoir, quand il eust survescu le comte de Horne. Mais le roy d'Angleterre faillant à sa parole par son intention, ne se peult excuser pour avoir retardé iusques aprez sa mort l'execution de sa desloyauté; non plus que le masson de Herodote 3, lequel ayant loyalement conservé durant sa vie le secret des thresors du roy d'Aegypte son maistre, mourant le descouvrit à ses enfants.

Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. I, fol. 9. C.

2 Philippe II de Montmorency-Nivelle, comte de Horn, et Lamoral, comte d'Egmond, décapités le 4 juin 1568. J. V. L 3 L'architecte du trésor de Rhampsinite. HERODOTE, II, 121. J. V. L.

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