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qu'on ne la rende, on vive à discrétion dans sa maison jusqu'à ce que la justice soit rendue. Je citerai encore deux capitulaires de Charles-leChauve; l'un de l'an 861 ', où l'on voit des juridictions particulières établies, des juges et des officiers sous eux; l'autre de l'an 864, où il fait la distinction de ses propres seigneuries d'avec celles des particuliers.

On n'a point de concessions originaires des fiefs, parce qu'ils furent établis par le partage qu'on sait avoir été fait entre les vainqueurs. On ne peut donc pas prouver par des contrats originaires que les justices, dans les commencements, aient été attachées aux fiefs: mais si, dans les formules des conformations ou des translations à perpétuité de ces fiefs, on trouve, comme on a dit, que la justice y étoit établie, il falloit bien que ce droit de justice fût de la nature du fief, et une de ses principales prérogatives.

Nous avons un plus grand nombre de monuments qui établissent la justice patrimoniale des églises dans leur territoire que nous n'en avons

4 Edictum in Carisiaco, dans Baluze, tome 1, p. 152. Unusquisque advocatus pro omnibus de sua advocatione... in convenientia ut cum ministerialibus de sua advocatione quos invenerit contra hunc bannum nostrum fecisse... castiget.

2 Edictum Pistense, art. 18, édit. de Baluze, tome 11, p. 181. Si in fiscum nostrum, vel in quamcumque immunitatem, aut alicujus potentis potestatem vel proprietatem, confugerit, etc.

pour prouver celle des bénéfices ou fiefs des leudes ou fidèles; par deux raisons : la première, que la plupart des monuments qui nous restent ont été conservés ou recueillis par les moines pour l'utilité de leurs monastères : la seconde, que le patrimoine des églises ayant été formé par des concessions particulières et une espèce de dérogation à l'ordre établi, il falloit des chartres pour cela; au lieu que les concessions faites aux leudes étant des conséquences de l'ordre politique, on n'avoit pas besoin d'avoir et encore moins de conserver une chartre particulière. Souvent même les rois se contentoient de faire une simple tradisceptre, comme il paroît par la vie de

tion par

S. Maur.

le

Mais la troisième formule ' de Marculfe nous prouve assez que le privilége d'immunité, et par conséquent celui de la justice, étoient communs aux ecclésiastiques et aux séculiers, puisqu'elle est faite pour les uns et pour les autres. Ils en est de même de la constitution de Clotaire II '.

1Liv. 1. Maximum regni nostri augere credimus monimentum, si beneficia opportuna locis ecclesiarúm, aut cui volueris dicere, benevola deliberatione concedimus.

2 Je l'ai citée dans le chapitre précédent : Episcopi vel potentes.

2

CHAPITRE XXIII.

Idée générale du livre de l'Etablissement de la monarchie françoise dans les Gaules, par M. l'abbé Dubos.

Il est bon qu'avant de finir ce livre j'examine un peu l'ouvrage de M. l'abbé Dubos, parce que mes idées sont perpétuellement contraires aux siennes; et que, s'il a trouvé la vérité, je ne l'ai pas trouvée.

Cet ouvrage a séduit beaucoup de gens, parce qu'il est écrit avec beaucoup d'art; parce qu'on y suppose éternellement ce qui est en question; parce que, plus on y manque de preuves, plus on y multiplie les probabilités; parce qu'une infinité de conjectures sont mises en principe, et qu'on en tire comme conséquences d'autres conjectures. Le lecteur oublie qu'il a douté, pour cominencer à croire. Et comme une érudition sans fin est placée, non pas dans le système, mais à côté du système, l'esprit est distrait par des accessoires, et ne s'occupe plus du principal. D'ailleurs tant de recherches ne permettent pas d'imaginer qu'on n'ait rien trouvé: la longueur du voyage fait croire qu'on est enfin arrivé.

Mais, quand on examine bien, on trouve un

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

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il

colosse immense qui a des pieds d'argile; et c'est parce que les pieds sont d'argile que le colosse est immense. Si le système de M. l'abbé Dubos avoit eu de bons fondements, il n'auroit pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver; auroit tout trouvé dans son sujet; et, sans aller chercher de toutes parts ce qui en étoit très-loin, la raison elle-même se seroit chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L'histoire et nos lois lui auroient dit : « Ne prenez << pas tant de peine, nous rendrons témoignage

<<< de vous. >>

CHAPITRE XXIV.

Continuation du même sujet. Réflexion sur le fond du système.

M. l'abbé Dubos veut ôter toute espèce d'idée que les Francs soient entrés dans les Gaules en conquérants selon lui, nos rois, appelés par les peuples, n'ont fait que se mettre à la place et succéder aux droits des empereurs romains.

Cette prétention ne peut pas s'appliquer au temps où Clovis, entrant dans les Gaules, saccagea et prit les villes; elle ne peut pas s'appliquer non plus au temps où il défit Syagrius, officier ro

main, et conquit le pays qu'il tenoit : elle ne peut donc se rapporter qu'à celui où Clovis, devenu maître d'une grande partie des Gaules par la violence, auroit été appelé par le choix et l'amour des peuples à la domination du reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait été reçu, il faut qu'il ait été appelé; il faut que M. l'abbé Dubos prouve que les peuples ont mieux aimé vivre sous la domination de Clovis que de vivre sous la domination des Romains, ou sous leurs propres lois. Or les Romains de cette partie des Gaules qui n'avoit point encore été envahie par les barbares étoient, selon M. l'abbé Dubos, de deux sortes; les uns étoient de la confédération armorique, et avoient chassé les officiers de l'empereur pour se défendre eux-mêmes contre les barbares, et se gouverner par leurs propres lois; les autres obéissoient aux officiers romains. Or M. l'abbé Dubos prouve-t-il que les Romains qui étoient encore soumis à l'empire aient appelé Clovis? Point du tout. Prouve-t-il que la république des Armoriques ait appelé Clovis et fait même quelque traité avec lui? Point du tout encore. Bien loin qu'il puisse nous dire quelle fut la destinée de cette républiqué, il n'en sauroit pas même montrer l'existence; et, quoiqu'il la suive depuis le temps d'Honorius jusqu'à la conquête de Clovis, quoiqu'il y rapporte avec un art admirable tous les

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