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cause le reçût et le portât au fisc, pour que la paix, dit la loi, fût éternelle entre les Ripuaires.

La grandeur du fredum se proportionna à la grandeur de la protection': ainsi le fredum pour la protection du roi fut plus grand que celui accordé pour la protection du comte et des autres juges.

Je vois déjà naître la justice des seigneurs. Les fiefs comprenoient de grands territoires, comme il paroît par une infinité de monuments. J'ai déjà prouvé que les rois ne levoient rien sur les terres qui étoient du partage des Francs; encore moins pouvoient-ils se réserver des droits sur les fiefs. Ceux qui les obtinrent eurent à cet égard la jouissance la plus étendue; ils en tirèrent tous les fruits et tous les émoluinents: et comme un des plus considérables étoit les profits judiciaires (freda) que l'on recevoit par les usages des Francs, il suivoit que celui qui avoit le fief avoit aussi la justice, qui ne s'exerçoit que par des compositions aux parents, et des profits au seigneur. Elle n'é

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1 Capitulare incerti anni, ch. LVII, dans Baluze, tome 1, p. 515. Et il faut remarquer que ce que l'on appelle fredum ou faida, dans les monuments de la première race, s'appelle bannum dans ceux de la seconde, comme il paroît par le capitulaire de partibus Saxoniæ, de l'an 789.

2 Voyez le capitulaire de Charlemagne, de villis où il met ces freda au nombre des grands revenus de ce qu'on appelait ville ou domaines du roi.

toit autre chose que le droit de faire payer les compositions de la loi, et celui, d'exiger les amendes de la loi.

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On voit, par les formules qui portent la confirmation ou la translation à perpétuité d'un fief en faveur d'un leude ou fidèle ', ou des priviléges des fiefs en faveur des églises', que les fiefs avoient ce droit. Cela paroît encore par une infinité de chartres qui contiennent une défense aux juges ou officiers du roi d'entrer dans le territoire pour y exercer quelque acte de justice que ce fût, et y exiger quelque émolument de justice que ce fût. Dès que les juges royaux ne pouvoient plus rien exiger dans un district, ils n'entroient plus dans ce district; et ceux à qui restoit ce district y faisoient les fonctions que ceux-là y avoient, faites.

Il est défendu aux juges royaux d'obliger les parties de donner des cautions pour comparoître devant eux : c'étoit donc à celui qui recevoit le territoire de les exiger. Il est dit que les envoyés du roi ne pourroient plus demander de logement: en effet ils n'y avoient plus aucune fonction.

La justice fut donc, dans les fiefs anciens et dans les fiefs nouveaux, un droit inhérent au fief

1. Voyez les formules 3, 4 et 17, liv. 1 de Marculfe.

2 Ibid. form. 2, 3 et 4.

1 Voyez les recueils de ces chartres, surtout celui qui est à la fin du cinquième volume des Historiens de France des PP. bénédictins.

même, un droit lucratif qui en faisoit partie. C'est pour cela que, dans tous les dans tous les temps, elle a été regardée ainsi d'où est né ce principe que justices sont patrimoniales en France.

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Quelques-uns ont cru que les justices tiroient leur origine des affranchissements que les rois et les seigneurs firent de leurs serfs. Mais les nations germaines, et celles qui en sont descendues, ne sont pas les seules qui aient affranchi des esclaves, et ce sont les seules qui aient établi des justices patrimoniales. D'ailleurs les formules de 'Marculfe nous font voir des hommes libres dépendants de ces justices dans les premiers temps : les serfs ont donc été justiciables, parce qu'ils se sont trouvés dans le territoire; et ils n'ont pas donné l'origine aux fiefs pour avoir été englobés dans le fief.

D'autres gens ont pris une voie plus courte : les seigneurs ont usurpé les justices, ont-ils dit; et tout a été dit. Mais n'y a-t-il eu sur la terre que les peuples descendus de la Germanie qui aient usurpé les droits des princes? L'histoire nous apprend assez que d'autres peuples ont fait des entreprises sur leurs souverains; mais on n'en voit pas naître ce que l'on a appelé les justices

1 Voyez la 3, 4 et 14 du liv. 1; et la chartre de Charlemagne, de l'an 771, dans Martenne, tome 1, Anecdot. collect. xI. Præcipientes jubemus ut ullus judex publicus... homines ipsius ecclesiæ et monasterii ipsius Morbacensis, tam ingenuos quam et servos, et qui super eorum terras manere, etc.

des seigneurs. C'étoit donc dans le fond des usages et des coutumes des Germains qu'il en falloit chercher l'origine.

Je prie de voir dans Loyseau, quelle est la manière dont il suppose que les seigneurs procédèrent pour former et usurper leurs diverses justices. Il faudroit qu'ils eussent été les gens du monde les plus raffinés, et qu'ils eussent volé, non pas comme les guerriers pillent, mais comme des juges de village et des procureurs se volent entre eux. Il faudroit dire que ces guerriers, dans toutes les provinces particulières du royaume, et dans tant de royaumes, auroient fait un systéme général de politique. Loyseau les fait raisonner comme dans son cabinet il raisonnoit lui-même.

Je le dirai encore : si la justice n'étoit point une dépendance du fief, pourquoi voit-on partout' que le service du fief étoit de servir le roi ou le seigneur, et dans leurs cours et dans leurs guerres ?

↑ Traité des justices de village.

Voyez M. du Cange, au mot hominium.

CHAPITRE XXI.

De la justice territoriale des églises.

Les églises acquirent des biens très-considérables. Nous voyons que les rois leur donnèrent de grands fiscs, c'est-à-dire de grands fiefs; et nous trouvons d'abord les justices établies dans les domaines de ces églises. D'où auroit pris son origine un privilége si extraordinaire? Il étoit dans la nature de la chose donnée; le bien des ecclésiastiques avoit ce privilége, parce qu'on ne le lui ôtoit pas. On donnoit un fisc à l'église; et on lui laissoit les prérogatives qu'il auroit eues si on l'avoit donné à un leude: aussi fut-il soumis au service que l'état en auroit tiré s'il avoit été accordé au laïque, comme on l'a déjà vu.

Les églises eurent donc le droit de faire payer les compositions dans leur territoire, et d'en exiger le fredum; et comme ces droits emportoient nécessairement celui d'empêcher les officiers royaux d'entrer dans le territoire pour exiger ces freda et y exercer tous actes de justice, le droit qu'eurent les ecclésiastiques de rendre la justice dans leur territoire fut appelé immunité,

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