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politique que par la loi civile, et qu'ils étoient le sort d'une armée et non le patrimoine d'une famille.

Les biens réservés pour les leudes furent appelés des biens fiscaux ; des bénéfices, des honneurs, des fiefs, dans les divers auteurs et dans les divers temps.

On ne peut pas douter que d'abord les fiefs ne fussent amovibles. On voit, dans Grégoire de Tours, que l'on ôte à Sunégisile et à Galloman tout ce qu'ils tenoient du fisc, et qu'on ne leur laisse que ce qu'ils avoient en propriété. Gontran, élevant au trône son neveu Childebert, eut une conférence secrète avec lui, et lui indiqua ceux à qui il devoit donner des fiefs, et ceux à qui il devoit les ôter. Dans une formule de Marculfe', le roi donne en échange non-seulement des bénéfices que son fisc tenoit, mais encore ceux qu'un autre avoit tenus. La loi des Lombards oppose les bénéfices à la propriété. Les historiens, les for

1 Fiscalia. Voyez la formule 14 de Marculfe, liv. 1. Il est dit dans la Vie de saint Maur, dedit fiscum unum ; et dans les Annales de Metz, sur l'an 747, dedit illi comitatus et fiscos plurimos. Les biens destinés à l'entretien de la famille royale étoient appelés regalia. 2 Voyez le liv. I, tit. 1, des fiefs; et Cujas sur ce livre.

3 Liv. IX,

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ch. XXXVIII.

Quos honoraret muneribus, quos ab honore depelleret. ibid.

liv. VII.

5 Vel reliquis quibuscumque beneficiis, quodcumque ille, vel fiscus noster, in ipsis locis tenuisse noscitur. Liv. 1, form. 30. 6 Liv. III, tit. VIII, § 3.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

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mules, les codes des différents peuples barbares, tous les monuments qui nous restent, sont unanimes. Enfin ceux qui ont écrit le livre des fiefs ' nous apprennent que d'abord les seigneurs purent les ôter à leur volonté; qu'ensuite ils les assurèrent pour un an, et après les donnèrent pour la vie.

CHAPITRE XVII.

Du service militaire des hommes libres.

Deux sortes de gens étoient tenus au service militaire; les leudes ou vassaux ou arrière-vassaux, qui y étoient obligés en conséquence de leur fief; et les hommes libres, Francs, Romains et Gaulois, qui servoient sous le comte, et étoient menés par lui et ses officiers.

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On appeloit hommes libres ceux qui, d'un côté, n'avoient point de bénéfices ou fiefs, et qui, de l'autre, n'étoient point soumis à la servitude de la glèbe; les terres qu'ils possédoient étoient ce qu'on appeloit des terres allodiales.

Les comtes assembloient les hommes libres, et les menoient à la guerre3 : ils avoient sous eux 1 Feudorum, lib. 1, tit. 1.

2 C'étoit une espèce de précaire que le seigneur renouveloit ou ne renouveloit pas l'année d'ensuite, comme Cujas l'a remarqué.

3 Voyez le capitulaire de Charlemagne, de l'an 812, art. 3 et 4, édit. de Baluze, tome 1, p. 491; et l'édit de Pistes, de l'an 864, art. 26, tome 11, p. 186.

des officiers qu'ils appeloient vicaires'; et, comme tous les hommes libres étoient divisés en centaines, qui formoient ce que l'on appeloit un bourg, les comtes avoient encore sous eux des officiers qu'on appeloit centeniers, qui menoient les hommes libres du bourg, ou leurs centaines, à la guerre '.

Cette division par centaines est postérieure à l'établissement des Francs dans les Gaules. Elle fut faite par Clotaire et Childebert, dans la vue d'obliger chaque district à répondre des vols qui s'y feroient on voit cela dans les décrets de ces princes. Une pareille police s'observe encore aujourd'hui en Angleterre.

Comme les comtes menoient les hommes libres à la guerre, les leudes y menoient aussi leurs vassaux ou arrière-vassaux; et les évêques, abbés, ou leurs avoués, y menoient les leurs'.

Les évêques étoient assez embarrassés : ils ne convenoient pas bien eux-mêmes de leurs faits ". Ils demandèrent à Charlemagne de ne plus les

1 Et habebat unusquisque comes vicarios et centenarios secum. Liv. II des capitulaires, art. 28.

2 On les appeloit Compagenses.

* Donnés vers l'an 595, art. 1. Voyez les capitulaires, édit. de Baluze, , p. 20. Ces règlements furent sans doute faits de concert. • Advocati.

6 Capitulaire de Charlemagne, de l'an 812, art. 1 et 5, édit. de

Baluze, tome 1, p. 490.

Voyez le capitulaire de l'an 803, donné à Worms, édit. de Baluze, p. 408 et 410.

obliger d'aller à la guerre; et, quand ils l'eurent obtenu, ils se plaignirent de ce qu'on leur faisoit perdre la considération publique : et ce prince fut obligé de justifier là-dessus ses intentions. Quoi qu'il en soit, dans les temps où ils n'allèrent plus à la guerre, je ne vois pas que leurs vassaux y aient été menés par les comtes; on voit au contraire que les rois ou les évêques choisissoient un des fidèles pour les y conduire '.

Dans un capitulaire de Louis-le-Débonnaire', le roi distingue trois sortes de vassaux; ceux du roi, ceux des évêques, ceux du comte. Les vassaux d'un leude' ou seigneur n'étoient menés à la guerre par le comte que lorsque quelque emploi dans la maison du roi empêchoit ces leudes de les mener eux-mêmes.

Mais qui est-ce qui menoit les leudes à la guerre? On ne peut douter que ce ne fût le roi, qui étoit toujours à la tête de ses fidèles. C'est pour cela que, dans les capitulaires, on voit toujours une opposition entre les vassaux du roi et ceux des

1 Capitulaire de Worms, de l'an 803, édit. de Baluze, p. 409; et le concile de l'an 845, sous Charles-le-Chauve, in verno palatio › édit. de Baluze, tome 11, p. 17, art 8.

2 Capitulare quintum anni 819, art. 27, édit. de Baluze, p. 618. 3 De vassis dominicis qui adhuc intra casam serviunt, et tamen beneficia habere noscuntur, statutum est ut quicumque ex eis cum domino imperatore domi remanserint, vassallos suos casatos secum non retineant, sed cum comite cujus pagenses sunt ire permittant. Capitul. II, de l'an 812, art. 7, édit. de Baluze, tome 1, p. 494.

évêques. Nos rois, courageux, fiers et magnanimes, n'étoient point dans l'armée pour se mettre à la tête de cette milice ecclésiastique; ce n'étoient point ces gens-là qu'ils choisissoient pour vaincre ou mourir avec eux.

Mais ces leudes menoient de même leurs vassaux et arrière-vassaux; et cela paroît bien par ce capitulaire' où Charlemagne ordonne que tout homme libre qui aura quatre manoirs, soit dans sa propriété, soit dans le bénéfice de quelqu'un, aille contre l'ennemi, ou suive son seigneur. Il est visible que Charlemagne veut dire que celui qui n'avoit qu'une terre en propre entroit dans la milice du comte, et que celui qui tenoit un bénéfice du seigneur partoit avec lui.

Cependant M. l'abbé Dubos prétend que, quand il est parlé dans les capitulaires des hommes qui dépendoient d'un seigneur particulier, il n'est question que des serfs; et il se fonde sur la loi des Wisigoths, et la pratique de ce peuple. Il vaudroit

mieux se fonder sur les capitulaires mêmes. Celui

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▲ Capitulaire r', de l'an 812, art. S. De hominibus nostris, et episcoporum et abbatum, qui vel beneficia vel talia propria habent, etc., édit. de Baluze, tome 1, p. 490.

2 De l'an 812, ch. 1, édit. de Baluze, p. 490. Ut omnis homo liber qui quatuor mansos vestitos de proprio suo, sive de alicujus beneficio, habet, ipse se præparet, et ipse in hostem pergat, sive cum seniore suo.

3 Tome 111, liv. vi, ch. IV, p. 299. Établiss. de la mon. fr.

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