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Il y a plus : nous avons une infinité de chartres où l'on donne les priviléges des fiefs à des terres ou districts possédés par des hommes libres, et dont je parlerai beaucoup dans la suite. On exempte ces terres de toutes les charges qu'exigeoient sur elles les comtes et autres officiers du roi; et, comme on énumère en particulier toutes ces charges, et qu'il n'y est point question de tributs, il est visible qu'on n'en levoit pas.

Il étoit aisé que la maltôte romaine tombât d'elle-même dans la monarchie des Francs : c'étoit un art très-compliqué et qui n'entroit ni dans les idées ni dans le plan de ces peuples simples. Si les Tartares inondoient aujourd'hui l'Europe, il faudroit bien des affaires pour leur faire entendre c'est qu'un financier parmi nous.

ce que

L'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire', parlant des comtes et autres officiers de la nation des Francs que Charlemagne établit en Aquitaine, dit qu'il leur donna la garde de la frontière, le pouvoir militaire, et l'intendance des domaines qui appartenoient à la couronne. Cela fait voir l'état des revenus du prince dans la seconde race. Le prince avoit gardé des domaines qu'il faisoit valoir par ses esclaves. Mais les indictions, la capitation, et autres impôts levés du

Voyez ci-après le ch. xx de ce livre.

2 Dans Duchesne, tome 11, p. 287.

temps des empereurs sur la personne ou les biens des hommes libres, avoient été changés en une obligation de garder la frontière, ou d'aller à la guerre.

On voit, dans la même histoire, que Louis-leDébonnaire ayant été trouver son père en Allemagne, ce prince lui demanda comment il pouvoit être si pauvre, lui qui étoit roi; que Louis lui répondit qu'il n'étoit roi que de nom, et que les seigneurs tenoient presque tous ses domaines; que Charlemagne craignant que ce jeune prince ne perdit leur affection s'il reprenoit lui-même ce qu'il avoit inconsidérément donné, il envoya des commissaires pour rétablir les choses.

Les évêques écrivant à Louis', frère de Charlesle-Chauve, lui disoient : « Ayez soin de vos terres, <«< afin que vous ne soyez pas obligé de voyager << sans cesse par les maisons des ecclésiastiques, << et de fatiguer leurs serfs par des voitures. Faites << en sorte, disoient-ils encore, que vous ayiez de quoi vivre et recevoir des ambassades. » Il est visible que les revenus des rois consistoient alors dans leurs domaines 3.

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▲ Duchesne, tome 11, p. 89.

2 Voyez le capitulaire de l'an 858, art. 14.

3 Ils levoient encore quelques droits sur les rivières lorsqu'il y avoit un pont ou un passage.

mres

CHAPITRE XIV.

De ce qu'on appeloit census.

Lorsque les barbares sortirent de leur pays, ils voulurent rédiger par écrit leurs usages; mais comme on trouva de la difficulté à écrire des mots germains avec des lettres romaines, on donna ces lois en latin.

Dans la confusion de la conquête et de ses progrès, la plupart des choses changèrent de nature; il fallut, pour les exprimer, se servir des anciens mots latins qui avoient le plus de rapport aux nouveaux usages. Ainsi, ce qui pouvoit réveiller l'idée de l'ancien cens des Romains', on le nomma census, tributum; et, quand les choses n'y eurent aucun rapport quelconque, on exprima comme on put les mots germains avec des lettres romaines : ainsi on forma le mot fredum, dont je parlerai beaucoup dans les chapitres suivants.

Les mots census et tributum ayant été aussi employés d'une manière arbitraire, cela a jeté

1 Le census étoit un mot si générique, qu'on s'en servit pour exprimer les péages des rivières, lorsqu'il y avoit un bac ou un pont à passer. Voyez le capitulaire 111 de l'an 803, édit de Baluze, p. 395, art. 1; et le v de l'an 819, p. 616. On appela encore de ce nom les voitures fournies par les hommes libres au roi ou à ses envoyés, comme il paroît par le capitulaire de Charles-le-Chauve, de l'an 865, art. 8.

quelque obscurité dans la signification qu'avoient ces mots dans la première et dans la seconde race: et des auteurs modernes, qui avoient des systèmes particuliers', ayant trouvé ce mot dans les écrits de ces temps-là, ils ont juré que ce qu'on appeloit census étoit précisément le cens des Romains; et ils en ont tiré. cette conséquence, que nos rois des deux premières races s'étoient mis à la place des empereurs romains, et n'avoient rien changé à leur administration: et comme de certains droits levés dans la seconde race ont été, par quelques hasards et par de certaines modifications, convertis en d'autres, ils ont conclu que ces droits étoient le cens des Romains': et, comme depuis les réglements modernes ils ont vu que le domaine de la couronne étoit absolument inaliénable, ils ont dit que ces droits, qui représentoient le cens des Romains, et qui ne forment pas une partie de ce domaine, étoient de pures usurpations. Je laisse les autres conséquences.

Transporter dans des siècles reculés toutes les idées du siècle où l'on vit, c'est des sources de

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1 M. l'abbé Dubos, et ceux qui l'ont suivi.

Voyez la foiblesse des raisons de M. l'abbé Dubos, Établissement de la monarchie françoise, tome 111, 1. vi, ch. xiv, surtout l'induction qu'il tire d'un passage de Grégoire de Tours sur un démêlé de son église avec le roi Charibert.

Par exemple, par les affranchissements.

!

l'erreur celle qui est la plus féconde. A ces gens qui veulent rendre modernes tous les siècles anciens, je dirai ce que les prêtres d'Égypte dirent à Solon : « O Athéniens, vous n'êtes que des <<< enfants. >>

CHAPITRE XV.

Que ce qu'on appeloit census ne se levoit que sur les serfs, et non pas sur les hommes libres.

Le roi, les ecclésiastiques, et les seigneurs, levoient des tributs réglés chacun sur les serfs de ses domaines. Je le prouve, à l'égard du roi, par le capitulaire de villis; à l'égard des ecclésiastiques, par les codes des lois des barbares '; à l'égard des seigneurs, par les réglements que Charlemagne fit. là-dessus '.

Ces tributs étoient appelés census: c'étoient des droits économiques, et non pas fiscaux; des redevances uniquement privées, et non pas des charges publiques.

Je dis que ce qu'on appeloit census étoit un tribut levé sur les serfs. Je le, prouve par une formule de Marculfe qui contient une permission

1 Loi des Allemands, ch. xx11; et la loi des Bavarois, tit. 1, ch. xiv, où l'on trouve les réglements que les ecclésiastiques firent sur leur état.

2 Liv. v des capitulaires, ch. ccc11.

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