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«< aucun intérêt à l'opprimer. Ainsi, quand Anti<< pater établit à Athènes que ceux qui n'auroient pas deux mille drachmes seroient exclus du << droit de suffrage', il forma la meilleure aristo<«< cratie qui fût possible; parce que ce cens étoit si petit qu'il n'excluoit que peu de gens, et personne qui eût quelque considération dans la cité. Les familles aristocratiques doivent donc être peuple << autant qu'il est possible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle sera parfaite; et elle le deviendra moins à mesure qu'elle approchera de la monarchie. »

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Dans une lettre insérée dans le journal de Trévoux du mois d'avril 1749, on a objecté à l'auteur sa citation même. On a, dit-on, devant les yeux l'endroit cité, et on y trouve qu'il n'y avoit que neuf mille personnes qui eussent le cens prescrit par Antipater; qu'il y en avoit vingtdeux mille qui ne l'avoient pas: d'où l'on conclut que l'auteur applique mal ses citations, puisque, dans cette république d'Antipater, le petit nombre étoit dans le cens, et que le grand nombre n'y étoit pas.

1

Diodore, liv. xvIII, p. 601, édit. de Rhodoman.

296 ÉCLAIRCISSEMENTS SUR L'ESPRIT DES LOIS.

RÉPONSE.

Il eût été à désirer que celui qui a fait cette critique eût fait plus d'attention, et à ce qu'a dit l'auteur, et à ce qu'a dit Diodore.

1°. Il n'y avoit point vingt-deux mille personnes qui n'eussent pas le cens dans la république d'Antipater: les vingt-deux mille personnes dont parle Diodore furent reléguées et établies dans la Thrace; et il ne resta pour former cette république que les neuf mille citoyens qui avoient le cens, et ceux du bas peuple qui ne voulurent pas partir pour la Thrace. Le lecteur peut consulter Diodore.

2°. Quand il seroit resté à Athènes vingt-deux mille personnes qui n'auroient pas eu le cens, l'objection n'en seroit pas plus juste. Les mots de grand et de petit sont relatifs : neuf mille souverains dans un état font un nombre immense; et vingt-deux mille sujets dans le même état font un nombre infiniment petit.

REMERCIEMENT

SINCERE

A UN HOMME CHARITABLE,

PAR VOLTAIRE '.

A Marseille, mai 1750.

Vous avez rendu service au genre humain en vous déchaînant sagement contre des ouvrages faits pour le pervertir. Vous ne cessez d'écrire contre l'Esprit des lois, et même il paroît à votre style que vous êtes l'ennemi de toute sorte d'esprit. Vous avertissez que vous avez préservé le monde du venin répandu dans l'Essai sur l'homme, de Pope, livre que je ne cesse de relire pour me convaincre de plus en plus de la force de vos raisons et de l'importance de vos services. Vous ne vous amusez pas, monsieur, à examiner le fond de l'ouvrage sur les lois, à vérifier les citations, à discuter s'il de la justesse, de la profondeur, de la clarté, de la sagesse; si les chapitres naissent les uns des autres, s'ils forment un tout ensemble; si enfin ce

y a

1 FACÉTIES. Tome 60, page 1o des OEuvres complètes; éd. Baudouin, 1829-1830.

Cet homme charitable était Jacques Fontaine de La Roche, auteur des nouvelles ecclésiastiques, journal dans lequel Montesquieu avait été attaqué avec acharnement. (Nouv. édit.)

livre, qui devroit être utile, ne seroit pas par malheur un livre agréable.

Vous allez d'abord au fait; et, regardant M. de Montesquieu comme le disciple de Pope, vous les regardez tous deux comme les disciples de Spinosa. Vous leur reprochez avec un zèle merveilleux d'être athées, parce que vous découvrez, ditesvous, dans toute leur philosophie, les principes de la religion naturelle. Rien n'est assurément, monsieur, ni plus charitable ni plus judicieux, que de conclure qu'un philosophe ne connoît point de Dieu, de cela même qu'il pose pour principe que Dieu parle au cœur de tous les hommes. << Un honnête homme est le plus noble ouvrage « de Dieu, » dit le célèbre poète philosophe; vous vous élevez au-dessus de l'honnête homme. Vous confondez ces maximes funestes, que la Divinité est l'auteur et le lien de tous les êtres, que tous les hommes sont frères, que Dieu est leur père commun, qu'il faut ne rien innover dans la religion, ne point troubler la paix établie par un monarque sage; qu'on doit tolérer les sentiments des hommes, ainsi que leurs défauts. Continuez, monsieur, écrasez cet affreux libertinage, qui est au fond la ruine de la société. C'est beaucoup que par vos gazettes ecclésiastiques vous ayez saintement essayé de tourner en ridicule toutes les puissances; et, quoique la grâce d'être plaisant

vous ait manqué, volenti et conanti, cependant vous avez le mérite d'avoir fait tous vos efforts pour écrire agréablement des invectives. Vous avez voulu quelquefois réjouir des saints, mais vous avez souvent essayé d'armer chrétiennement les fidèles les uns contre les autres. Vous prêchez le schisme pour la plus grande gloire de Dieu. Tout cela est très-édifiant: mais ce n'est point

encore assez.

Votre zèle n'a rien fait qu'à demi, si vous ne parvenez à faire brûler les livres de Pope, de Locke et de Bayle, l'Esprit des lois, etc., dans un bûcher auquel on mettra le feu avec un paquet de Nouvelles ecclésiastiques.

En effet, monsieur, quels maux épouvantables n'ont pas fait dans le monde une douzaine de vers répandus dans l'Essai sur l'homme de ce scélérat de Pope, cinq ou six articles du dictionnaire de cet abominable Bayle, une ou deux pages de ce coquin de Locke, et d'autres incendiaires de cette espèce! Il est vrai que ces hommes ont mené un vie pure et innocente, que tous les honnêtes gens les chérissoient et les consultoient; mais c'est par là qu'ils sont dangereux. Vous voyez leurs sectateurs, les armes à la main, troubler les royaumes, porter partout le flambeau des guerres civiles. Montaigne, Charron, le président de Thou, Descartes, Gassendi, Rohault, le Vayer,

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