Page images
PDF
EPUB

de manière qu'elles ne choquent point la nature des choses. Dans la proscription du prince d'Orange, Philippe II promet à celui qui le tuera de donner à lui, ou à ses héritiers, vingt-cinq mille écus et la noblesse, et cela en parole de roi, et comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action! une telle action ordonnée en qualité de serviteur de Dieu! tout cela renverse également les idées de l'honneur, celles de la morale, et celles de la religion.

Il est rare qu'il faille défendre une chose qui n'est pas mauvaise, sous prétexte de quelque perfection qu'on imagine.

Il faut dans les lois une certaine candeur. Faites pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir elles-mêmes la plus grande innocence. On peut voir dans la loi des Visigoths cette requête ridicule par laquelle on fit obliger les Juifs à manger toutes les choses apprêtées avec du cochon, pourvu qu'ils ne mangeassent pas du cochon même. C'étoit une grande cruauté; on les soumettoit à une loi contraire à la leur; on ne leur laissoit garder de la leur que ce qui pouvoit être un signe pour les reconnoître.

1 Liv. XII, tit. 11, § 16.

CHAPITRE XVII.

Mauvaise manière de donner des lois.

Les empereurs romains manifestoient, comme nos princes, leurs volontés par des décrets et des édits mais ce que nos princes ne font pas, ils permirent que les juges ou les particuliers, dans leurs différends, les interrogeassent par lettres; et leurs réponses étoient appelées des rescripts. Les décrétales des papes sont, à proprement parler, des rescripts. On sent que c'est une mauvaise sorte de législation. Ceux qui demandent ainsi des lois sont de mauvais guides pour le législateur; les faits sont toujours mal exposés. Trajan, dit Jules Capitolin', refusa souvent de donner de ces sortes de rescripts, afin qu'on n'étendît pas à tous les cas une décision et souvent une faveur particulière. Macrin avoit résolu d'abolir tous ces rescripts2; il ne pouvoit souffrir qu'on regardât comme des lois les réponses de Commode, de Caracalla, et de tous ces autres princes pleins d'impéritie. Justinien pensa autrement, et il en remplit sa compilation.

Je voudrois que ceux qui lisent les lois romaines distinguassent bien ces sortes d'hypothèses d'avec les sénatus-consultes, les plébiscites, les

[blocks in formation]

constitutions générales des empereurs, et toutes les lois fondées sur la nature des choses, sur la fragilité des femmes, la foiblesse des mineurs, et l'utilité publique.

CHAPITRE XVIII.

Des idées d'uniformité.

Il y a de certaines idées d'uniformité qui saisissent quelquefois les grands esprits (car elles ont touché Charlemagne), mais qui frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection qu'ils reconnoissent, parce qu'il est impossible de ne le pas découvrir; les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes lois dans l'état, la même religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours à propos sans exception? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir? Et la grandeur du génie ne consisteroit-elle pas mieux à savoir dans quel cas il faut l'uniformité, et dans quel cas il faut des différences? A la Chine, les Chinois sont gouvernés par le cérémonial chinois, et les Tartares par le cérémonial tartare : c'est pourtant le peuple du monde qui a le plus la tranquillité pour objet. Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ?

m

CHAPITRE XIX.

Des législateurs.

Aristote vouloit satisfaire tantôt sa jalousie contre Platon, tantôt sa passion pour Alexandre. Platon étoit indigné contre la tyrannie du peuple d'Athènes. Machiavel étoit plein de son idole, le duc de Valentinois. Thomas More, qui parloit plutôt de ce qu'il avoit lu que de ce qu'il avoit pensé, vouloit gouverner tous les états avec la simplicité d'une ville grecque1. Arringhton ne voyoit que la république d'Angleterre, pendant qu'une foule d'écrivains trouvoient le désordre partout où ils ne voyoient point de couronne. Les lois rencontrent toujours les passions et les préjugés du législateur. Quelquefois elles passent au travers, et s'y teignent; quelquefois elles y restent, et s'y incorporent.

1 Dans son Utopie.

LIVRE XXX.

THÉORIE DES LOIS FÉODALES CHEZ LES FRANCS, DANS LE RAPPORT Qu'elles ont aVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE.

CHAPITRE PREMIER.

Des lois féodales.

Je croirois qu'il y auroit une imperfection dans mon ouvrage si je passois sous silence un événement arrivé une fois dans le monde, et qui n'arrivera peut-être jamais; si je ne parlois de ces lois que l'on vit paroître en un moment dans toute l'europe, sans qu'elles tinssent à celles que l'on avoit jusqu'alors connues; de ces lois qui ont fait des biens et des maux infinis; qui ont laissé des droits quand on a cédé le domaine; qui, en donnant à plusieurs personnes divers genres de seigneurie sur la même chose ou sur les mêmes personnes, ont diminué le poids de la seigneurie entière; qui ont posé diverses limites dans les empires trop étendus; qui ont produit la règle avec une inclinaison à l'anarchie, et l'anarchie avec une tendance à l'ordre et à l'harmonie.

Ceci demanderoit un ouvrage exprès; mais,

« PreviousContinue »