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fois qu'il a parlé de la religion en général, toutes les fois qu'il a employé le mot de religion, on a dit : C'est la religion chrétienne. Toutes les fois qu'il a comparé les pratiques religieuses de quelques nations quelconques, et qu'il a dit qu'elles étoient plus conformes au gouvernement politique de ce pays que telle autre pratique, on a dit Vous les approuvez donc, et abandonnez la foi chrétienne. Lorsqu'il a parlé de quelque peuple qui n'a point embrassé le christianisme, ou qui a précédé la venue de JésusChrist, on lui a dit : Vous ne reconnoissez donc pas la morale chrétienne? Quand il a examiné en écrivain politique quelque pratique que ce soit, on lui a dit : C'étoit tel dogme de théologie chrétienne que vous deviez mettre là. Vous dites que vous êtes jurisconsulte, et je vous ferai théologien malgré vous. Vous nous donnez d'ailleurs de trèsbelles choses sur la religion chrétienne; mais c'est pour vous cacher que vous les dites: car je connois votre cœur, et je lis dans vos pensées. Il est vrai que je n'entends point votre livre; il n'importe pas que j'aie démêlé bien ou mal l'objet dans lequel il a été écrit ; mais je connois au fond toutes vos pensées. Je ne sais pas un mot de ce que vous dites; mais j'entends très-bien ce que vous ne dites pas. Entrons à présent en matière.

DES CONSEILS DE RELIGION.

L'auteur, dans le livre sur la religion, a combattu l'erreur de Bayle. Voici ses paroles': << M. Bayle, après avoir insulté toutes les religions, << flétrit la religion chrétienne. Il ose avancer que « de véritables chrétiens ne formeroient pas un «< état qui pût subsister. Pourquoi non? Ce se<< roient des citoyens infiliment éclairés sur leurs

devoirs, et qui auroient un très-grand zèle pour « les remplir: ils sentiroient très-bien les droits « de la défense naturelle. Plus ils croiroient de«< voir à la religion, plus ils penseroient devoir à << la patrie. Les principes du christianisme bien

gravés dans leur cœur seroient infiniment plus << forts que ce faux honneur des monarchies, ces << vertus humaines des républiques, et cette «< crainte servile des états despotiques.

<< Il est étonnant que ce grand homme n'ait « pas su distinguer les ordres pour l'établisse<«< ment du christianisme, d'avec le christianisme «< même; et qu'on puisse lui imputer d'avoir mé«< connu l'esprit de sa propre religion. Lorsque le législateur, au lieu de donner des lois, a donné « des conseils, c'est qu'il a vu que ses conseils,

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1 Liv. XXIV, ch. vI.

« s'ils étoient ordonnés comme des lois, seroient «< contraires à l'esprit de ses lois. » Qu'a-t-on fait pour ôter à l'auteur la gloire d'avoir combattu ainsi l'erreur de Bayle? On prend le chapitre' suivant, qui n'a rien à faire avec Bayle: « Les «<lois humaines, y est-il dit, faites pour parler à << l'esprit, doivent donner des préceptes, et point <«< de conseils; la religion, faite pour parler au <«< cœur, doit donner beaucoup de conseils et << peu de préceptes. » Et de là on conclut que l'auteur regarde tous les préceptes de l'évangile comme des conseils. Il pourroit dire aussi que celui qui fait cette critique regarde lui-même tous les conseils de l'évangile comme des préceptes; mais ce n'est pas sa manière de raisonner, et encore moins sa manière d'agir. Allons au fait: il faut un peu allonger ce que l'auteur a raccourci. M. Bayle avoit soutenu qu'une société de chrétiens ne pourroit pas subsister; et il alléguoit pour cela l'ordre de l'évangile, de présenter l'autre joue quand on reçoit un soufflet, de quitter le monde, de se retirer dans les déserts, etc. L'auteur a dit que Bayle prenoit pour des préceptes ce qui n'étoit des conseils, pour que des règles générales ce qui n'étoit que des règles particulières : en cela l'auteur à défendu la religion. Qu'arrive-t-il?

1 C'est le chap. vII du liv. xxiv.

On pose pour premier article de sa croyance que tous les livres de l'évangile ne contiennent que des conseils.

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DE LA POLYGAMIE.

D'autres articles ont encore fourni des sujets commodes pour les déclamations. La polygamie en étoit un excellent. L'auteur a fait un chapitre exprès, où il l'a réprouvée: le voici.

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De la polygamie en elle-même.

« A regarder la polygamie en général, indépendamment des circonstances qui peuvent la «< faire un peu tolérer, elle n'est point utile au << genre humain ni à aucun des deux sexes, soit à << celui qui abuse, soit à celui dont on abuse. Elle << n'est pas non plus utile aux enfants; et un de ses grands inconvénients est que le père et la mère << ne peuvent avoir la même affection pour leurs << enfants; un père ne peut pas aimer vingt en<< fants comme une mère en aime deux. C'est « bien pis quand une femme a plusieurs maris; «< car pour lors l'amour paternel ne tient qu'à «< cette opinion, qu'un père peut croire, s'il veut,

«

<«< ou que les autres peuvent croire, que de cer<< tains enfants lui appartiennent.

« La pluralité des femmes, qui le diroit? mène << à cet amour que la nature désavoue : c'est qu'une dissolution en entraîne toujours une << autre, etc.

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« Il y a plus la possession de beaucoup de << femmes ne prévient pas toujours les désirs pour <«< celle d'un autre : il en est de la luxure comme « de l'avarice, elle augmente sa soif par l'acquisi«<tion des trésors.

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« Du temps de Justinien plusieurs philosophes, gênés par le christianisme, se retirèrent en Perse auprès de Cosroès: ce qui les frappa le plus, dit Agathias, ce fut que la polygamie étoit permise à << des gens qui ne s'abstenoient pas même de l'a<< dultère. >>

L'auteur a donc établi que la polygamie étoit par sa nature et en elle-même une chose mauvaise; il falloit partir de ce chapitre, et c'est pourtant de ce chapitre que l'on n'a rien dit. L'auteur a de plus examiné philosophiquement dans quels pays, dans quels climats, dans quelles circonstances elle avoit de mauvais effets; il a comparé les climats aux climats, et les pays aux pays; et il a trouvé qu'il y avoit des pays où elle avoit des effets moins mauvais que dans d'autres; parce que, suivant les relations, le nombre des hommes

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