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point parlé du péché originel : il le prend encore sur le fait; il n'a point parlé de la grâce. C'est une chose triste d'avoir affaire à un homme qui censure tous les articles d'un livre, et n'a qu'une idée 'dominante. C'est le conte de ce curé de village à qui des astronomes montroient la lune dans un télescope, et qui n'y voyoit que son clocher.

L'auteur de l'Esprit des lois a cru qu'il devoit commencer par donner quelque idée des lois générales et du droit de la nature et des gens. Ce sujet étoit immense, et il l'a traité dans deux chapitres; il a été obligé d'omettre quantité de choses qui appartenoient à son sujet ; à plus forte raison a-t-il omis celles qui n'y avoient point de rapport.

DIXIÈME OBJECTION.

L'auteur a dit qu'en Angleterre l'homicide de soi-même étoit l'effet d'une maladie, et qu'on ne pouvoit pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la démence. Un sectateur de la religion naturelle n'oublie pas que l'Angleterre est le berceau de sa secte; il pâsse l'éponge sur tous les crimes qu'il y aperçoit.

RÉPONSE.

L'auteur ne sait point si l'Angleterre est le berceau de la religion naturelle; mais il sait que

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l'Angleterre n'est pas son berceau. Parce qu'il a parlé d'un effet physique qui se voit en Angleterre, il ne pense pas sur la religion comme les Anglois; pas plus qu'un Anglois qui parleroit d'un effet physique arrivé en France ne penseroit sur la religion comme les François. L'auteur de l'Esprit des lois n'est point du tout sectateur de la religion naturelle; mais il voudroit que son critique fût sectateur de la logique naturelle.

Je crois avoir déjà fait tomber des mains du critique les armes effrayantes dont il s'est servi : je vais à présent donner une idée de son exorde, qui est tel que je crains que l'on ne pense que ce soit par dérision que j'en parle ici.

Il dit d'abord, et ce sont ses paroles, « que

le

<< livre de l'Esprit des lois est une de ces produc<< tions irrégulières.... qui ne se sont si fort multi

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pliées que depuis l'arrivée de la bulle Unigenitus.» Mais faire arriver l'Esprit des lois à cause de l'arrivée de la constitution Unigenitus, n'est-ce pas vouloir faire rire? La bulle Unigenitus n'est point la cause occasionnelle du livre de l'Esprit des lois; mais la bulle Unigenitus et le livre de l'Esprit des lois ont été les causes occasionnelles qui ont fait faire au critique un raisonnement si puéril. Le critique continue : « L'auteur dit qu'il a bien << des fois commencé et abandonné son ouvrage...

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productions, il étoit moins éloigné de la vérité « que lorsqu'il a commencé à être content de son << travail. >> Qu'en sait-il? Il ajoute : « Si l'auteur « avoit voulu suivre un chemin frayé, son ouvrage « lui auroit coûté moins de travail. » Qu'en sait-il encore? Il prononce ensuite cet oracle : « Il ne « faut pas beaucoup de pénétration pour aperce« voir que le livre de l'Esprit des lois est fondé sur a le système de la religion naturelle.... On a mona tré, dans les lettres contre le poëme de Pope, « intitulé: Essai sur l'homme, que le système de << la religion naturelle rentre dans celui de Spi<< nosa : c'en est assez pour inspirer à un chrétien « l'horreur du nouveau livre que nous annonçons.»

Je réponds que non-seulement c'en est assez, mais même que c'en seroit beaucoup trop. Mais je viens de prouver que le système de l'auteur n'est pas celui de la religion naturelle; et, en lui passant que le système de la religion naturelle rentrât dans celui de Spinosa, le système de l'auteur n'entreroit pas dans celui de Spinosa, puisqu'il n'est pas celui de la religion naturelle.

Il veut donc inspirer de l'horreur avant d'avoir prouvé qu'on doit avoir de l'horreur.

Voici les deux formules des raisonnements répandus dans les deux écrits auxquels je réponds. L'auteur de l'Esprit des lois est un sectateur de la religion naturelle, donc il faut expliquer ce qu'il

dit par les principes de la religion naturelle : or, si ce qu'il dit est fondé sur les principes de la religion naturelle, il est sectateur de la religion naturelle.

L'autre formule est celle-ci : L'auteur de l'Esprit des lois est un sectateur de la religion natuturelle; donc ce qu'il dit dans son livre en faveur de la révélation n'est que pour cacher qu'il est un sectateur de la religion naturelle : or, s'il se cache ainsi, il est un sectateur de la religion naturelle.

Avant de finir cette première partie, je serois tenté de faire une objection à celui qui en a tant fait. Il a si fort effrayé les oreilles du mot de sectateur de la religion naturelle, que moi, 'qui défends l'auteur, je n'ose presque prononcer ce nom je vais cependant prendre courage. Ses deux écrits ne demanderoient-ils pas plus d'explication que celui que je défends? Fait-il bien, en parlant de la religion naturelle et de la révélation, de se jeter perpétuellement tout d'un côté, et de faire perdre les traces de l'autre? Fait-il bien de ne distinguer jamais ceux qui ne reconnoissent que la seule religion naturelle, d'avec ceux qui reconnoissent et la religion naturelle et la révélation? Fait-il bien de s'effaroucher toutes les fois que l'auteur considère l'homme dans l'état de la religion naturelle, et qu'il explique quelque

chose sur les principes de la religion naturelle? Fait-il bien de confondre la religion naturelle avec l'athéisme? N'ai-je pas toujours ouï dire que nous avions tous une religion naturelle? N'ai-je pas ouï dire que le christianisme étoit la perfection de la religion naturelle? N'ai-je pas ouï dire que l'on employoit la religion naturelle pour prouver la révélation contre les déistes, et que l'on employoit la même religion naturelle pour prouver l'existence de Dieu contre les athées? Il dit que les Stoïciens étoient des sectateurs de la religion naturelle, et moi je lui dis qu'ils étoient des athées', puisqu'ils croyoient qu'une fatalité aveugle gouvernoit l'univers; et que c'est par la religion naturelle que l'on combat les stoïciens. Il dit que le système de la religion naturelle rentre dans celui de Spinosa 2; et moi je lui dis qu'ils sont contradictoires, et que c'est par la religion naturelle qu'on détruit le système de Spinosa. Je lui dis que, confondre la religion naturelle avec l'a

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1 Voyez la page 165 des feuilles du 9 octobre 1749. « Les stoïciens n'admettoient qu'un Dieu; mais ce Dieu n'étoit autre chose que ⚫ l'âme du monde. Ils vouloient que tous les êtres, depuis le premier, fussent nécessairement enchaînés les uns avec les autres;

• une nécessité fatale entraînoit tout. Ils nioient l'immortalité de l'âme, et faisoient consister le souverain bonheur à vivre con«formément à la nature. C'est le fond du système de la religion « naturelle.»

2 Voyez page 161 de la première feuille du 9 octobre 1749, à la fin de la première colonne.

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