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noient sur des espèces de radeaux ou de petits bâtiments, entroient par l'embouchure des rivières, les remontoient, et dévastoient le pays des deux côtés. Les villes d'Orléans et de Paris arrêtoient ces brigands '; et ils ne pouvoient avancer ni sur la Seine ni sur la Loire. Hugues Capet, qui possédoit ces deux villes, tenoit dans ses mains les deux clefs des malheureux restes du royaume : on lui déféra une couronne qu'il étoit seul en état de défendre. C'est ainsi que depuis on a donné l'empire à la maison qui tient immobiles les frontières des Turcs.

L'empire étoit sorti de la maison de Charlemagne dans le temps que l'hérédité des fiefs ne s'établissoit que comme une condescendance. Elle fut même plus tard en usage chez les Allemands que chez les François : cela fit que l'empire, considéré comme un fief, fut électif. Au contraire, quand la couronne de France sortit de la maison de Charlemagne, les fiefs étoient réellement héréditaires dans ce royaume : la couronne, comme un grand fief, le fut aussi.

Du reste, on a eu grand tort de rejeter sur le moment de cette révolution tous les changements

1 Voyez le capitulaire de Charles-le-Chauve, de l'an 877, apud Carisiacum, sur l'importance de Paris, de Saint-Denis et des châteaux sur la Loire, dans ces temps-là.

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qui étoient arrivés ou qui arrivèrent depuis. Tout se réduisit à deux événements: la famille régnante changea, et la couronne fut unie à un grand fief.

CHAPITRE XXXIII.

Quelques conséquences de la perpétuité des fiefs.

Il suivit de la perpétuité des fiefs que le droit d'aînesse et de primogéniture s'établit parmi les François. On ne le connoissoit point dans la première race: la couronne se partageoit entre les frères, les aleux se divisoient de même ; et les fiefs, amovibles ou à vie, n'étant pas un objet de succession, ne pouvoient pas être un objet de partage.

Dans la seconde race, le titre d'empereur qu'avoit Louis-le-Débonnaire, et dont il honora Lothaire son fils aîné, lui fit imaginer de donner à ce prince une espèce de primauté sur ses cadets. Les deux rois devoient aller trouver l'empereur chaque année, lui porter des présents', et en recevoir de lui de plus grands; ils devoient conférer avec lui sur les affaires communes. C'est ce qui

1 Voyez la loi salique et la loi des Ripuaires, au titre des aleux. 2 Voyez le capitulaire de l'an 817, qui contient le premier partage que Louis-le-Débonnaire fit entre ses enfants.

donna à Lothaire ces prétentions qui lui réussirent si mal. Quand Agobard écrivit pour ce prince', il allégua la disposition de l'empereur même, qui avoit associé Lothaire à l'empire, après que, par trois jours de jeûne et par la célébration des saints sacrifices, par des prières et des aumônes, Dieu avoit été consulté; que la nation lui avoit prêté serment; qu'elle ne pouvoit point se parjurer; qu'il avoit envoyé Lothaire à Rome pour être confirmé par le pape. Il pèse sur tout ceci et non pas sur le droit d'aînesse. Il dit bien que l'empereur avoit désigné un partage aux cadets, et qu'il avoit préféré l'aîné: mais en disant qu'il avoit préféré l'aîné, c'étoit dire en même temps qu'il auroit pu préférer les cadets.

Mais quand les fiefs furent héréditaires, le droit d'aînesse s'établit dans la succession des fiefs; et par la même raison dans celle de la couronne qui était le grand fief. La loi ancienne qui formait des partages ne subsista plus : les fiefs étant chargés d'un service, il falloit que le possesseur fût en état de le remplir. On établit un droit de primogéniture; et la raison de la loi féodale força celle de la loi politique ou civile.

Les fiefs passant aux enfants du possesseur, les seigneurs perdoient la liberté d'en disposer; et

* Voyez ses deux lettres à ce sujet, dont l'une a pour titre de divisione imperii.

pour s'en dédommager ils établirent un droit qu'on appeloit droit de rachat, dont parlent nos coutumes, qui se paya d'abord en ligne directe, et qui, par usage, ne se paya plus qu'en ligne collatérale.

Bientôt les fiefs purent être transportés aux étrangers comme un bien patrimonial. Cela fit naître le droit de lods et ventes établi dans presque tout le royaume. Ces droits furent d'abord arbitraires; mais quand la pratique d'accorder ces permissions devint générale on les fixa dans chaque contrée.

Le droit de rachat devoit se payer à chaque mutation d'héritier, et se paya même d'abord en ligne directe'. La coutume la plus générale l'avoit fixé à une année du revenu. Cela étoit onéreux et incommode au vassal, et affectoit, pour ainsi dire, le fief. Il obtint souvent dans l'acte d'hommage que le seigneur ne demanderoit plus pour le rachat qu'une certaine somme d'argent', laquelle, par les changements arrivés aux monnoies, est devenue de nulle importance: ainsi le droit de rachat se trouve aujourd'hui presque réduit à

1 Voyez l'ordonnance de Philippe-Auguste, de l'an 1209, sur les fiefs.

2 On trouve dans les chartres plusieurs de ces conventions, comme dans le capitulaire de Vendôme et celui de l'abbaye de Saint-Cyprien, en Poitou, dont M. Galland, page 55, a donné des extraits.

rien, tandis que celui de lods et ventes a subsisté dans toute son étendue. Ce droit-ci ne concernant ni le vassal ni ses héritiers, mais étant un cas fortuit qu'on ne devoit ni prévoir ni attendre, on ne fit point ces sortes de stipulations, et on continua payer une certaine portion du prix.

à

Lorsque les fiefs étoient à vie, on ne pouvoit pas donner une partie de son fief pour le tenir pour toujours en arrière-fief; il eût été absurde qu'un usufruitier eût disposé de la propriété de la chose. Mais lorsqu'ils devinrent perpétuels cela fut permis', avec de certaines restrictions que mirent les coutumes', ce qu'on appela se jouer de son fief.

La perpétuité des fiefs ayant fait établir le droit de rachat, les filles purent succéder à un fief au défaut des mâles. Car le seigneur donnant le fief à sa fille, il multiplioit les cas de son droit de rachat, parce que le mari devoit le le mari devoit le payer comme la femmes. Cette disposition ne pouvoit avoir lieu la couronne; car, comme elle ne relevoit de il ne pouvoit y avoir de droit de rachat

pour

personne,

sur elle.

1 Mais on ne pouvoit pas abréger le fief, c'est-à-dire en éteindre une portion.

2 Elles fixèrent la portion dont on pouvoit se jouer.

C'est pour cela que le seigneur contraignoit la veuve de se remarier.

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