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elle étoit élective, parce que le peuple choisissoit entre les enfants. Comme les choses vont toujours de proche en proche, et qu'une loi politique a toujours du rapport à une autre loi politique, on suivit pour la succession des fiefs le même esprit que l'on avoit suivi pour la succession à la couronne '. Ainsi les fiefs passèrent aux enfants, par droit de succession et par droit d'élection; et chaque fief se trouva, comme la couronne, électif et héréditaire.

et

Ce droit d'élection dans la personne du seigneur ne subsistoit pas du temps des auteurs des livres des fiefs'; c'est-à-dire sous le règne de l'empereur Frédéric I".

CHAPITRE XXX.

Continuation du même sujet.

Il est dit dans le livre des fiefs'

que, quand l'empereur Conrad partit pour Rome, les fidèles qui étoient à son service lui demandèrent de faire

4 Au moins en Italie et en Allemagne.

2 Quod hodie ita stabilitum est, ut ad omnes æqualiter veniat. Livre I, des fiefs, titre 1.

Gerardus Niger, et Aubertus de Orto.

▲ Liv. 1, des fiefs, tit. 1.

une loi pour què les fiefs qui passoient aux enfants passassent aux petits-enfants; et que celui dont le frère étoit mort sans héritiers légitimes pût succéder au fief qui avoit appartenu à leur père commun: cela fut accordé.

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On y ajoute, et il faut se souvenir que ceux qui parlent vivoient du temps de l'empereur Frédéric I, « que les anciens jurisconsultes avoient toujours tenu que la succession des fiefs en ligne collatérale ne passoit point au-delà des « frères germains, quoique dans des temps mo<< dernes on l'eût portée jusqu'au septième degré; «< comme par le droit nouveau, on l'avoit portée << en ligne directe jusqu'à l'infini'. » C'est ainsi la loi de Conrad reçut peu que des extensions.

à peu

Toutes ces choses supposées, la simple lecture de l'Histoire de France fera voir que la perpétuité des fiefs s'établit plutôt en France qu'en Allemagne. Lorsque l'empereur Conrad II commença à régner en 1024, les choses se trouvèrent encore en Allemagne comme elles étoient déjà en France sous le règne de Charles-le-Chauve, qui mourut en 877. Mais en France, depuis le règne de Charles-le-Chauve, il se fit de tels changements que Charles-le-Simple se trouva hors d'état

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de disputer à une maison étrangère ses droits incontestables à l'empire; et qu'enfin, du temps de Hugues Capet, la maison régnante, dépouillée de tous ses domaines, ne put pas même soutenir la

couronne.

La foiblesse d'esprit de Charles-le-Chauve mit en France une égale foiblesse dans l'état. Mais comme Louis-le-Germanique, son frère, et quelques-uns de ceux qui lui succédèrent eurent de plus grandes qualités, la force de leur état se soutint plus long-temps.

Que dis-je? peut-être que l'humeur flegmatique, et, si j'ose le dire, l'immutabilité de l'esprit de la nation allemande, résista plus long-temps que celui de la nation françoise à cette disposition des choses qui faisoit que les fiefs, comme par une tendance naturelle, se perpétuoient dans les familles.

J'ajoute que le royaume d'Allemagne ne fut pas dévasté, et, pour ainsi dire, anéanti, comme le fut celui de France, par ce genre particulier de guerre que lui firent les Normands et les Sarrasins. Il y avoit moins de richesses en Allemagne moins de villes à saccager, moins de côtes à parcourir, plus de marais à franchir, plus de forêts à pénétrer. Les princes, qui ne virent pas à chaque instant l'état prêt à tomber, eurent moins besoin de leurs vassaux, c'est-à-dire en dépendirent moins

Et il y a apparence que si les empereurs d'Allemagne n'avoient été obligés de s'aller faire couronner à Rome, et de faire des expéditions continuelles en Italie, les fiefs auroient conservé plus long-temps chez eux leur nature primitive.

CHAPITRE XXXI.

Comment l'empire sortit de la maison de Charlemagne.

L'empire, qui, au préjudice de la branche de Charles-le-Chauve, avoit déjà été donné aux bâtards de celle de Louis-le-Germanique', passa encore dans une maison étrangère par l'élection de Conrad, duc de Franconie, l'an 912. La branche qui régnoit en France, et qui pouvoit à peine disputer des villages, étoit encore moins en état de disputer l'empire. Nous avons un accord passé entre Charles-le-Simple et l'empereur Henri I, qui avoit succédé à Conrad. On l'appelle le pacte de Bonn. Les deux princes se rendirent dans un navire qu'on avait placé au milieu du Rhin, et se jurèrent une amitié éternelle. On employa un mezzo termine assez bon. Charles prit le titre de

1 Arnoul et son fils Louis IV.

2 De l'an 926, rapporté par Aubert-le-Mire, cod. donationum piarum, ch. xxvII.

roi de la France occidentale, et Henri celui de roi de la France orientale. Charles contracta avec le roi de Germanie, et non avec l'empereur.

CHAPITRE XXXII.

Comment la couronne de France passa dans la maison de Hugues Capet.

L'hérédité des fiefs et l'établissement général des arrière-fiefs éteignirent le gouvernement politique et formèrent le gouvernement féodal. Au lieu de cette multitude innombrable de vassaux que les rois avoient eus, ils n'en eurent plus que quelques-uns dont les autres dépendirent. Les rois n'eurent presque plus d'autorité directe: un pouvoir qui devoit passer par tant d'autres pouvoirs, et par de si grands pouvoirs, s'arrêta ou se perdit avant d'arriver à son terme. De si grands vassaux n'obéirent plus, et ils se servirent même de leurs arrière-vassaux pour ne plus obéir. Les rois, privés de leurs domaines, réduits aux villes de Reims et de Laon, restèrent à leur merci. L'arbre étendit trop loin ses branches, et la tête se sécha. Le royaume se trouva sans domaine, comme est aujourd'hui l'empire. On donna la couronne à un des plus puissants vassaux.

Les Normands ravageoient le royaume; ils ve

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